"La montagne et moi, c’est une histoire de passion", Laurent Guillaume se livre sans retenue sur 25 ans de Chroniques d’en Haut

Alors qu’il fête ses 25 ans aux commandes du magazine "Chroniques d’en Haut", Laurent Guillaume revient sur la genèse de sa passion pour les milieux montagnards. Ce Lyonnais d’origine partage sa vie entre sa ville natale où il travaille, et la Maurienne où il se ressource.

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Tout a commencé un jour de tempête en février 1974. Ce jour-là, la station de Valloire était plongée dans le noir lors d’une forte tempête hivernale. Le nez collé à la fenêtre, bien au chaud, je regardais la neige tourbillonner dans les rues du village où plus aucune voiture ne circulait à l’exception du chasse-neige qui luttait péniblement contre les congères en formation, éclairant la nuit avec la danse de son gyrophare. Je me souviens avoir été fasciné par la force des éléments qui se déchaînaient, et le silence qui accompagnait cette déferlante de neige poudreuse balayée par le vent. Car en montagne, en hiver, le temps peut se déchaîner en silence. La neige, même abondante, ne fait aucun bruit lorsqu’elle tombe. Seul le sifflement des bourrasques venait de temps à autre troubler l’apparente quiétude de cette mémorable chute de neige. La violence et l’apaisement… La fureur et le silence. 

Le lendemain, comme dans un rêve qui s’efface devant le jour qui s’annonce, j’ouvrais les volets et ma station était méconnaissable, croulant sous une épaisse couche de neige, arborant des congères sculptées par les vents, là où hier encore des voitures stationnaient sur le parking. Le soleil brillait de tous ses feux et les rues, impraticables, étaient toujours désertes. Le froid était vif, l’air sentait bon, c’était l’hiver, le vrai, celui qui se respire, qui se ressent de l’intérieur. Il en était peut-être tombé un mètre, ou plus, peut-être moins, je ne sais pas. Mais un mètre, quand on est un petit bonhomme, ça fait jusqu’au nombril. J’avais sept ans, et cette image a été le point de départ de ma passion pour la montagne.

Au départ, il y avait la neige…

Car c’est par la neige que la montagne m’a pris. Cette matière étincelante, pure et froide qui recouvre chaque imperfection et assourdit les sons. Cette neige qui rend tout magnifique, et qui garde la trace de chaque pas à la manière d’un palimpseste dont les écrits ne s’effaceront qu’avec la prochaine tempête. Neige vierge, dit-on : n’est-ce pas la manifestation la plus pure de la nature ? Je suis né à Lyon et j’aime cette ville. Mais quoi de pire que ses hivers doucereux, blafards et gris, quoi de plus déprimant que le bitume dégoulinant sous l’humidité des stratus, ces sinistres nuages bas, sans âme ni relief, sans forme et sans fin, qui recouvrent la ville parfois durant des semaines... Le paradis est pourtant juste au-dessus, en altitude, où brille le soleil d’hiver, où grondent les tempêtes, où crissent les pas dans la neige gelée qui illumine les courtes journées d’hiver. Cette passion-là ne m’a jamais lâché : je suis devenu hivernophile-maniaco-compulsif, un trouble du comportement que je n’ai jamais voulu soigner, tant cette addiction m’a apporté des émotions intenses, et, je l’apprendrai quelques décennies plus tard : mon métier.

Hivernophile maniaco-compulsif

Au-delà de la neige en hiver, me voilà embarqué, adolescent, dans la découverte de la montagne l’été. Avec ses saveurs, ses sons, ses odeurs de foin en juillet et ses pelouses alpines, dont la fragrance est propre à cette herbe courte malmenée par les saisons et mangée par les moutons à plus haute altitude. Si l’hiver est dur par ses conditions météo, on s’y laisse souvent glisser vers le bas. L’été, lui, monte… Il élève, essouffle, et demande d’apprivoiser son rapport à l’effort. Sans même parler de conquête, seulement d’effort. Avec une récompense à la mesure du dénivelé : un panorama qu’on a cherché, un animal qu’on a observé, et que personne n’a placé là pour vous faire plaisir ou vous vendre quelque chose. Ajoutez à cela les orages, ces moments de folie naturelle qui ponctuent une journée chaude et qui, en un spectacle son et lumière fascinant, font redescendre en quelques heures la pression, la température, et les derniers randonneurs douchés par un ciel noir dont ils n’avaient pas déchiffré l’augure.
Il n’y a qu’en montagne que l’on peut vivre ces changements extrêmes qui permettent, l’été, de ressentir chaque saison en une seule journée, puis au cœur de l’hiver, de changer totalement d’univers entre la morne grisaille des plaines et la perfection des sommets immaculés. Il n’y a qu’en montagne qu’on peut aussi facilement s’extraire de son quotidien sans aller loin, et vivre une sorte de réalité parallèle dans un monde pourtant si proche, mais tellement différent. La montagne ne sait pas être autrement qu’intense.

Hivernophile donc : vous l’avez compris. Et maniaco-compulsif : ça signifie qu’on ne pense un peu qu’à ça…

Laurent Guillaume

Alors, il a bien fallu adapter mes activités à la satisfaction de cette addiction bizarre qui, au fil de l’adolescence, avait pris un caractère multiforme. Et c’est de là qu’est venue cette passion de la météo, qui m’a conduit beaucoup plus tard à présenter, par plaisir et non par obligation, les bulletins sur France 3 et France 2. Apprendre comment fonctionne l’atmosphère, les perturbations, la pluie, la neige et le vent était d’abord et avant tout le meilleur moyen de savoir quand quitter Lyon pour être au bon endroit au bon moment, et profiter du spectacle de la nature débridée. Alors que d’autres espèrent le beau temps pour prendre l’air, je scrutais les moindres signes d’un changement qui puisse apaiser la frustration permanente que ressent n’importe quel amateur de temps puissant, de tempêtes et d’orages, de ciels tourmentés : on n’a jamais vraiment ce qu’on veut. Ou si rarement… Montagne et météo sont indissociables. Quoi qu’on fasse, on le fait avec le temps, jamais contre. Et ça n’est pas nous qui décidons. Une grande leçon d’humilité à une époque qui nous fait croire qu’on peut tout contrôler.

Une montagne à hauteur d’Homme

Reste le travail. Après 4 ans passés comme journaliste d’actualité sur la chaîne Lyonnaise TLM - pendant lesquels j’ai appris deux choses : la première, c’est mon métier, et la seconde, c’est que je n’étais pas fait pour l’actualité - je me suis dirigé vers le magazine à France 3 Lyon avec une seule idée en tête : rapprocher les montagnes de mon quotidien, et me fondre un peu plus dans cet univers qui m’a toujours apporté d’intenses émotions. Comme toute personne un peu monomaniaque : j’avais besoin de partager ma passion et d’emmener avec moi les gens dans cette quête contemplative des sommets. Je n’avais qu’à proposer un magazine qui serait au cœur de mes passions en espérant les partager avec le plus grand nombre. Il existait déjà des magazines traitant de la montagne à la télévision, comme le magazine "Montagne" de France 3, que je regardais avec envie et admiration. Il me faisait voyager dans les montagnes du monde, m’emmenait sur des sommets vertigineux et engagés par des alpinistes renommés, au Népal, dans les Andes, sur les 4000 des Alpes. J’étais fasciné par les exploits incroyables de ces aventuriers modernes, de ces grimpeurs à mains nues, de ces artistes du vertige. 

Mais c’était une autre montagne que je voulais explorer et faire découvrir, celle des hommes et des animaux, celles des villages et des hameaux, des vallées et des cols. La montagne qui sent le mouton, le Beaufort, la neige poudreuse et les cheminées réconfortantes. Une montagne où résonnent les clarines et les clochers. Une montagne vivante et habitée, une montagne humaine. La montagne que j’aime.

Laurent Guillaume

Ainsi est né Chroniques d’en Haut, dont le titre - ça n’a rien à voir, je sais - provient du fait que je lisais à cette époque-là les "Chroniques de San-Francisco" d’Amistaed Maupin. Inutile de vous dire que ça n’a pas été une mince affaire : le petit Lyonnais flanqué, en hiver, de la marque de ses lunettes de ski n’inspirait pas naturellement confiance chez le montagnard parfois un peu revêche qui n’en était pas à son premier "Parisien" venu. C’est là que j’ai d’ailleurs appris que le concept de "Parisien" pour les montagnards était beaucoup plus large que l’origine géographique de la personne qu’ils nommaient ainsi. Les montagnards, ça ne s’apprivoise pas. Et ça aussi, je l’ai compris rapidement. Inutile de chercher à les convaincre que vous faites partie du milieu : ça n’est pas le cas, et ça se voit. Mes premières expériences au cœur du sujet furent donc parfois assez cocasses…

25 ans après …

Et puis, au fil du temps, j’ai compris que ça n’avait pas d’importance. Ma passion pour cet univers était sincère, et quand bien même j’étais incapable de gravir un haut sommet engagé, paralysé par le vertige, mais aussi – et surtout ! – par l’absence d’envie, cela ne m’empêcherait plus de mettre en valeur la vie de toutes ces personnes qui faisaient mon admiration. J’avais, et j’ai toujours, une réelle humilité vis-à-vis des montagnards dont je crois comprendre les sentiments, les modes de vie, les passions et les caractères, même si ma vie est différente. Je suis un citadin qui aime la montagne. Mais je ne suis pas montagnard. Pas seulement parce que je n’ai pas cinq générations au cimetière (diplôme généalogique nécessaire pour commencer à être considéré comme un gars du coin) mais parce que j’assume cette ambivalence entre la nécessité d’être en montagne pour me ressourcer, et de vivre en ville. Un équilibre peu commun pour quelqu’un qui a passé 25 ans à raconter la montagne aux téléspectateurs. Comme les deux pôles d’une pile électrique qui est mise en tension par cette impermanence. Ni vraiment complètement citadin, ni vraiment complètement montagnard. Et si c’était là l’origine de cette passion qui n’a jamais faibli ? J’aime le croire.
25 ans après, je sens le poids des milliers de kilomètres parcourus dans nos montagnes. Quelques rides, de sagesse, dit-on, et la barbe qui blanchit. Chroniques d’en Haut, quel que soit son avenir, aura de toute façon été le travail de toute une vie. Et savoir que cette émission embarque encore les gens avec elle est un profond réconfort. Une satisfaction chaque semaine renouvelée, lorsque je croise des randonneurs, des montagnards, qui me disent "qu’ils aiment bien ce magazine". C’est tellement plus gratifiant que "je vous ai vu à la télé"… Car partager plaisir et émotions avec les téléspectateurs est autrement plus important que d’être reconnu pour sa tête. Ce plaisir-là n’a pas changé en 25 ans. Et peut-être qu’au fond, je suis toujours le même. Le nez collé à la fenêtre, près de la cheminée qui crépite, j’aime toujours autant regarder la neige.

>> Le magazine "Chroniques d'en Haut", présenté par Laurent Guillaume, est diffusé chaque dimanche sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, et visible en REPLAY sur france.tv

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