La "maison Hemma", inaugurée mi-septembre, s'adresse aux personnes encore dans la vie active et atteintes de troubles de la mémoire diagnostiqués. Une expérimentation unique en Suisse qui s'inscrit dans un lieu et une philosophie résolument différents des institutions médicalisées.
C’est une jolie villa aux murs de crépis et une terrasse qui donne sur un jardin à la pelouse entretenue. C’est surtout "un lieu de vie" pour les personnes atteintes précocement d’Alzheimer ou d’autres troubles de la mémoire, alors qu’elles sont encore dans la vie active. La "maison Hemma" a été inaugurée le 18 septembre dans le quartier résidentiel de Cressy, à Bernex (canton de Genève). Et déjà elle résonne des rires et des voix mêlées de ses futurs habitants et de leurs accompagnants.
Portée par une association à but non-lucratif, l’expérimentation représente une première en Suisse. "L’idée, c’est de créer un chez soi avec la possibilité d’être avec les uns et les autres mais de pouvoir s’isoler aussi, expose Mikaëla Halvarsson, l’instigatrice du projet. La bâtisse pourra accueillir jusqu’à dix personnes qui contribuent aux tâches communes – entretien du jardin, repas, ménage – et sont libres de recevoir leurs proches dans un environnement chaleureux. "C’est la vie qui continue d’une autre manière", résume la directrice.
Aménagement adapté
Une vie adaptée aux difficultés engendrées par ces "fragilités de la mémoire", comme on préfère les appeler ici, pour ceux qui ne trouvent leur place ni à l’hôpital ni en maison de retraite. Si elle peine à trouver ses mots, Barbara est "en tout cas consciente que ça ne marche plus comme avant". "Et maintenant, je fais avec", ajoute-t-elle. La maladie, qu’elle a "attrapée", s’est manifestée par "des choses bêtes". "Je ne conduis plus, donne en exemple cette future habitante. Tout d’un coup, je ne savais plus de quel côté il fallait que je rentre. (…) Je ne voyais pas si c’était gauche ou droite. Où je dois rentrer ?"
Christian et Zaim, aussi, ont désormais besoin de soutien dans leur vie de tous les jours. Les deux hommes visitent les lieux. Passage par la salle de bain, qui compte deux éviers pour pouvoir "se brosser les dents en imitant". "C’est important des fois, quand on ne sait plus comment faire", souligne Mikaëla Halvarsson en les guidant d’une pièce à l’autre. Acquise et rénovée spécialement pour le projet, la maison a été pensée pour être accueillante jusque dans le choix des matériaux et l’architecture. Comme la taille de la cuisine, volontairement réduite : "Quand l’environnement est un peu trop anxieux, on peut s’y mettre. Il y a quelque chose de très rassurant, d’avoir le dos contre le mur." "Ça fait envie", conclut Christian.
"Accueillir" l'émotion
Un accompagnement est aussi assuré, en collaboration notamment avec l’établissement médico-social (EMS) Les Charmettes que dirige aussi Mikaëla Halvarsson. Une équipe sur place aide à orienter le quotidien et ouvrir un espace d’échange, relais de familles pour qui la démarche peut être "très culpabilisante". "Ça travaille l’empathie", appuie Kenza Dahlab, une accompagnante. "Oui, on répète 100 fois la même chose quotidiennement, reconnaît l’étudiante en psychologie. Mais ça traduit une telle difficulté de la personne sur ce qu’elle est en train de vivre. On doit accueillir ces émotions qui sont dures et qui sont récurrentes, qui sont là tous les jours. Ce qui est difficile, c’est que des fois, on a envie que ça évolue plus vite. Et ça va prendre beaucoup, beaucoup de temps."
Un temps qui prend une autre valeur et développe des rapports "d’égal à égal" entre aidants et aidés. Ici les mots sont rares et précieux. Avec les années, Mikaëla Halvarsson perçoit dans ce contact une poésie propre. "C’est une très belle maladie pour ça – je le dis avec beaucoup de délicatesse et de respect pour toutes les familles qui le vivent -, mais c’est clair qu’à un moment donné, avec ces personnes-là, c’est ici et maintenant. Et ce n’est pas demain." Selon l’organisation Alzheimer Suisse, environ 153 000 personnes vivent avec la maladie ou une autre forme de démence dans le pays. Près de 5 % en sont atteintes avant l’âge de 65 ans.