Sur les hauts plateaux du Cézallier, les prairies habituellement d'un vert tendre au printemps ont laissé place à une terre ravagée: du gruyère sur des kilomètres à la ronde. La faute aux rats taupiers qui pullulent dans la région et font craindre le pire aux éleveurs.

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Entre les sillons de la charrue, un bataillon de petits rongeurs désorientés cherche à se mettre à couvert. "Regardez, le sol est infesté. Il y en a partout, partout", déplore, en les repoussant du pied, Pierre Faille, éleveur laitier à Chalinargues (Cantal).

Le campagnol terrestre, appelé aussi rat taupier en Auvergne, prolifère en France depuis les années 70 dans les zones herbagères de moyenne altitude.
Lors de leur cycle de pullulation (d'une durée de 5 à 6 ans) la population peut grimper de quelques individus à plus de 1.500 par hectare. Herbivore, cet animal à l'appétit féroce dévore quotidiennement son poids en racines, compromettant ainsi le renouvellement naturel de la flore, jusqu'aux sapins.

Résultat: dans certains secteurs du Cézallier, "90 à 100% des parcelles sont totalement détruites", selon les membres du collectif "Rat le bol", qui tire la sonnette d'alarme.

Outre le Cantal, l'invasion touche aussi le Puy-de-Dôme, l'Aubrac, la Lozère et le Limousin, avec partout les mêmes conséquences. En cette saison, les granges sont vides et sans herbe à faucher, les éleveurs en sont réduits à acheter du fourrage pour nourrir leurs bêtes, puisant ainsi un peu plus dans leurs trésoreries. Faute d'indemnisation, d'autres encore sont contraints de vendre leurs vaches, aux tarifs les plus bas du marché.

Un véritable traumatisme. "On a eu la sécheresse, la FCO (fièvre catarrhale ovine, ndlr) sans parler des prix du lait et de la viande au ras des pâquerettes. Mais le rat, c'est pire que tout. C'est la faillite assurée", souligne encore Pierre Faille, qui craint pour l'avenir de l'élevage de montagne.

Un soir d'orage, des centaines de rats taupiers dans les rues

Devant l'ampleur de l'invasion, les éleveurs agitent aussi le spectre du risque sanitaire. Car en ingérant la terre des pâturages où l'herbe manque, les vaches décuplent les bactéries dans leurs panses, multipliant de facto la présence de listeria et autres salmonelles dans le lait et les fromages AOP de la région. Le rat est aussi vecteur de la leptospirose, de l'échinococcose alvéolaire et un réservoir de germes pour la maladie de Lyme, dangereuses pour l'homme.

A Allanche, la population est de plus en plus inquiète. "Un soir de violent orage, les rats sont sortis de leurs cachettes et ils étaient des centaines dans les rues. Ils ont aussi bouffé la fibre optique. Trouver une solution est une urgence vitale pour l'économie du territoire", considère Philippe Rosseel, adjoint au maire de ce village de quelque 800 habitants.

Il existe bien un poison: la bromadiolone, un puissant anticoagulant mais son usage est fortement réglementé en raison de sa composition chimique, qui persiste dans l'organisme des renards, rapaces et autres prédateurs naturels du campagnol.

La piste de la glace carbonique avancée par le ministère de l'Agriculture est pour sa part jugée "inappropriée". "Il faut éradiquer le rat avec une solution biologique ayant un impact mineur sur la biodiversité. Le temps presse", exhorte M. Rosseel. Le collectif dont il est un des fondateurs aimerait que des recherches plus poussées soient menées sur la technique de l'immuno-contraception.

Mais aucune "poudre de perlimpinpin" ne règlera le problème, d'après le chercheur au CNRS Patrick Giraudoux. "La solution miracle n'existe pas. Les éleveurs auvergnats sont dans le déni", estime ce professeur de l'université de Besançon qui a calculé la présence de plus de... 700 millions de campagnols, rien que dans le Doubs.

En Franche-Comté, les éleveurs, également confrontés aux rongeurs, "ont appris à vivre avec, intégrant le risque à leur activité", dit-il. Une "boîte à outils" de lutte raisonnée, allant de la réintégration des labours à l'implantation de haies ou au piégeage, a été mise en place ces dernières années pour limiter en amont les vagues de pullulation.

"Il faut tester toutes les méthodes qui peuvent être adaptées au territoire, et regarder celles qui fonctionnent le mieux", souligne la Chambre d'agriculture du Cantal. Des pistes "encore au point mort", reconnaît-on, tandis que les campagnols continuent de labourer les prés

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