Bien que privé de sa voix, Louis Liogier a décidé d'avoir le dernier mot sur la maladie de Charcot. Le Ligérien a fait le choix d'avoir recours au suicide assisté, pratique interdite en France. Il s'éteindra en Suisse, entouré des siens. Un choix qu'il explique et que ses proches soutiennent.
"Dans cette maladie, on perd toute sa dignité humaine. On est résigné à ne plus rien faire et pour moi, ça a été très vite. Je ne me vois pas aller plus loin. L'euthanasie pour cette maladie devrait être autorisée. J'en arrive aujourd'hui à ne plus pouvoir regarder les gens marcher, courir, conduire une voiture ou une moto. J'ai le droit de disposer de mon corps et de pouvoir contrôler ma mort", explique Louis Liogier, 56 ans, atteint de la maladie de Charcot à un stade avancé.
Ce sont bien ses mots mais c'est une machine qui les prononce aujourd'hui sur un ton monocorde. Ces paroles, il lui a fallu les enregistrer dans l'ordinateur, fixer une lettre après l'autre. Ses yeux sont rivés sur le clavier numérique. Un long travail de patience et d'endurance pour cet homme de 56 ans. "Communiquer pour lui c'est difficile mais il a des choses à dire," explique sa fille, Coline, âgée d'une vingtaine d'années. Une parole précieuse et un message à faire passer : le droit de mourir dans la dignité.
Lorsque le diagnostic tombe ...
Qui était Louis avant la maladie? "C'était quelqu'un de très sportif, il était chef cuisinier dans un Ehpad, il aimait beaucoup son métier", explique sa fille Coline. "Un bon vivant, toujours en vadrouille. Un passionné de motos et de voyages", résume la jeune femme, très proche de son père. Coline évoque la vie d'avant, en maîtrisant ses émotions. Sa compagne Nathalie depuis six ans confirme. Louis affiche alors un grand sourire.
Il y a deux ans, le diagnostic de la maladie de Charcot est tombé pour Louis. Sa vie bascule alors brutalement. Cette maladie génétique neuro-dégénérative est irréversible et incurable. Elle offre pour tout horizon, une paralysie complète avec une alimentation par sonde et une respiration assistée. Pour Louis et sa famille, c'est un coup de massue. "L'annonce de la maladie, c'était un jeudi. Je suis venue le voir de suite. Il pleurait," se souvient sa fille, Coline. "On était en 2019, la première chose qu'il m'a dite, c'est qu'il lui restait entre 2 et 5 ans à vivre. Je me suis dit 2024, j'aurais 24 ans, ce n'est pas possible!"
La maladie de Charcot a peu à peu privé Louis de la marche, de ses gestes, de sa voix et de nombreuses expressions de son visage. Mais elle ne l'a pas privé de sa volonté de rester maître de son destin. Doté de toutes ses facultés intellectuelles, Louis dépend aujourd'hui des autres pour les moindres gestes du quotidien. Prisonnier de son corps, le quinquagénaire s'exprime encore avec le regard et avec son sourire, avec des sons que seuls ses proches peuvent encore interpréter.
Avant l'annonce du diagnostic, Louis avait déjà des signes avant-coureurs, des chutes, des difficultés à se déplacer. Coline se souvient qu'il marchait avec une béquille et tout est allé très vite ensuite : "petit à petit, il perd l'usage de ses jambes, de ses bras, il ne peut plus marcher, se servir de ses mains, manger ou se brosser les dents seul. On est très vite dans la maladie".
Louis a décidé de renoncer à cette vie et d'abréger ses souffrances, présentes et à venir. Il a pris sa décision d'en finir prématurément, il était encore valide, "sur ses deux jambes", explique Coline sobrement. Pendant qu'elle raconte, Louis n'en perd pas une miette... et acquiesce des yeux.
Suicide assisté : le choix de Louis
"La maladie de Charcot, pour toi Papa, ce n'est plus une vie," poursuit-elle en se tournant vers Louis, en cherchant son assentiment. "Je trouve que c'est normal que les gens puissent choisir pour eux-même et ne pas avoir à s'exiler, à aller se cacher ailleurs, comme toi tu vas être obligé de le faire", explique-t-elle avec énergie. Une conviction qu'elle s'est peu à peu forgée, calquée sur la volonté de son père. Cette décision, Coline l'a acceptée face à une finalité de la maladie "trop dure à supporter, surtout pour lui".
Sa compagne Nathalie a du aussi se résigner à approuver ce choix : "j'étais un peu dans le déni au départ. Je n'avais pas envie qu'il parte. Je me disais tant qu'il est là, il est là ! Et puis, je me dis, c'est vrai, ce n'est pas une vie de vivre comme ça..."
Décider pour soi-même, éviter une pénible agonie, c'est l'essence du message de Louis. Mais pour avoir recours au suicide assisté, interdit en France, Louis doit de rendre en Suisse. Dans ce pays, la pratique est légale et encadrée.
"Il m'a dit qu'il ne voulait pas aller au bout de la maladie. Il faut qu'on dédramatise le suicide assisté," affirme Coline avec fermeté. Elle le sait, l'issue fatale de la maladie de Charcot, "c'est mourir étouffé, dans la détresse".
C'est dur mais j'essaie surtout de profiter des derniers moments qu'il nous reste, des derniers temps à vivre ensemble. La maladie m'a fait grandir. J'ai bien compris qu'il fallait profiter de la vie.
La mort programmée de Louis, la jeune femme la tient cependant encore à distance, comme elle retient ses larmes et tente d'affermir sa voix : "on arrive à ne pas trop y penser, il y a toujours des moments où on rigole, on va voir des gens... J'ai l'impression que j'ai eu le temps de m'y faire". C'est elle qui s'est occupée des démarches administratives, de la paperasse. "En le préparant, ça a fait son chemin dans ma tête. On peut parler d'un début de deuil. Ça m'aide de me dire qu'il va partir avec les gens qu'il aime autour de lui. Il n'y a que lui qui peut choisir pour lui."
Les derniers instants, elle y a beaucoup pensé : "Rien que le fait d'être présent c'est important, il faut qu'on soit là pour l'accompagner. ça va être difficile mais pour lui ça va être un soulagement. On sera tous là dans l'amour et la dignité".
C'est fin juillet, au coeur de l'été, que Louis va s'éteindre entouré des siens. A-t-il peur ? "Je n'ai pas peur, la seule chose qui va me manquer, ça reste mes enfants, ma famille et mes amis".