Des mesures ont révélé la présence d'une substance cancérigène à l'école privée Marie-Collard, sur la commune de Saint-Héand. Des taux anormalement élevés ont été détectés. Les parents d'élèves ont organisé une réunion publique ce mercredi 10 juillet pour dénoncer l'inaction des pouvoirs publics.
Du trichloréthylène (TCE) a été détecté au sein de l'école Marie Collard, une école catholique privée de Saint-Héand, sur les hauteurs de Saint-Etienne. Elle compte environ 200 élèves, âgés de 3 à 10 ans. Des taux anormalement élevés de cette substance cancérigène sont relevés régulièrement dans l'air ambiant de l'établissement scolaire. Les parents d'élèves, informés depuis septembre 2013, sont inquiets. Ils ont organisé ce mercredi 10 juillet une réunion publique.
Une pollution ancienne
En septembre 2023, une première réunion publique avait eu lieu. L'ARS Auvergne Rhône-Alpes indiquait dans un communiqué que cette pollution était ancienne. Cette substance, présente dans les eaux souterraines, contamine l'air intérieur de l'école. "L’origine de cette pollution, diffusée dans la nappe phréatique, date des années 60 et est due à l’activité d’un groupe industriel ayant utilisé du trichloréthylène, un solvant chloré utilisé principalement pour le dégraissage et le nettoyage des métaux".
En fait, tout vient d'un site industriel voisin, celui de l'ancien fabricant d'optique Angénieux racheté par le géant Thalès. Les eaux souterraines sont contaminées et la pollution a migré sous le sol de l'école, où elle stagne.
En septembre 2023, l'agence régionale de santé Auvergne Rhône-Alpes précisait alors dans un communiqué : "Cette pollution, connue depuis 2013, est suivie par les services de l’État et l’Agence régionale de santé de manière régulière, en lien avec la commune et la direction de l’école. Le nouvel industriel qui occupe actuellement le site réalise également une surveillance hebdomadaire de la concentration en trichloréthylène dans l’air intérieur de l’école Marie Collard, située à proximité de son entreprise."
C'est donc en septembre 2023 que les parents d'élèves ont été alertés de cette pollution. L'ARS et les services de l'État étaient rassurants : "La présence du TCE, dans les proportions relevées jusqu’à présent, ne présente pas de risque à court terme pour les enfants et les personnels de l’école, le temps passé dans les salles présentant un taux de TCE élevé étant très limité et une aération régulière des locaux devant être effectuée", indiquait l'ARS en conclusion de son communiqué. L'interdiction d'accès à l'école n'avait pas été préconisée. Malgré la pollution, les activités de l'école n'ont jamais été suspendues.
Mais depuis qu'ils ont été informés, l'inquiétude des parents ne cesse de croître. Ils ont organisé une réunion publique ce mercredi. Certains parents ont découvert l'ampleur du problème.
Cancérogène avéré
"Le trichloréthylène est une substance cancérogène avérée. Elle peut causer cancers du rein, lymphomes et cancers du foie", affirme le docteur Bruno Landriot, qui prend régulièrement part au Coderst (Comité départemental d'étude des risques sanitaires et technologiques). Pour ce médecin, l'exposition à ce solvant n'est pas sans risques, notamment pour les jeunes enfants, peu importe le seuil. "Il n'y a pas d'effet de dose. L'effet est variable suivant les individus et beaucoup plus important chez les enfants, quelle que soit la dose", a-t-il expliqué.
Des parents inquiets
Informés du problème qui touche l'école depuis moins d'un an, les parents d'élèves ont le sentiment que rien n'est fait pour régler le problème. "La pollution au trichloréthylène m'inquiète. On a été informés en septembre 2023. On nous avait conviés à une réunion en septembre pour nous informer de cette pollution et on nous a dit que si les taux ne redescendaient pas d'ici à la fin de l'année 2023, il faudrait que l'école soit délocalisée. Ils étudiaient un projet de délocalisation de l'école", explique Marina Soufi rencontrée devant l'école.
Des taux qui varient
L'entreprise Thalès a fait installer une ventilation pour nettoyer l'air de l'établissement. Pour l'heure, l'entreprise n'a pas dépollué le site. Durant l'année scolaire, l'air contrôlé a parfois été trop chargé en solvants.
"Les taux ont baissé en fin d'année grâce à des protocoles de ventilation mécanique réalisés par les maîtresses. Les taux ont réaugmenté courant 2024. Ils font des hauts et des bas et nos enfants sont toujours dans l'école", déplore Marina.
On nous donne des seuils, mais en fait les études sont contradictoires. On n'est pas certain à 100% que nos enfants ne craignent rien.
Marina SoufiParent d'élève
"La dernière réunion fin mai, on nous a informés d'un arrêté préfectoral qui allait imposer la fermeture de l'école au 1er septembre si le taux était supérieur à 10 dans n'importe quelle salle de l'école", ajoute Marina.
Sa crainte : "Qu'on ne trouve pas de solution et qu'on laisse nos enfants exposés à cancérogène avéré pour l'homme. On veut mettre nos enfants en sécurité et que l'entreprise Thalès effectue les travaux de dépollution en profondeur du sol".
Délocaliser l'école
Marina avoue avoir perdu confiance. Une perte de confiance qui a eu des effets sur les inscriptions, selon elle. "On veut sauver cette école, mais pas en mettant la santé de nos enfants en danger", assure-t-elle. Pour la mère de famille, la solution passe forcément par une délocalisation de l'école, en attendant des travaux de dépollution.
Aujourd'hui, en tant que parents, on a peur ! On veut simplement que nos enfants soient dans une école sécurisée. Notre souhait serait que l'école soit délocalisée.
Verena ThoralParent d'élève
Même demande pour Verena Thoral, une autre mère de famille, dont la fille est inscrite à l'école Marie Collard. "Notre souhait serait que l'école soit délocalisée. On attend une décision de la préfecture et de la mairie. On nous dit : on va regarder au 1er septembre que les taux n'aient pas augmenté. On est au courant depuis septembre 2023 et depuis un an, on attend, des réunions, des informations, on sait que les taux montent, descendent… et rien ne se décide !", s'alarme Verena. Si elle devait envisager de changer d'école pour sa fille, c'est à contrecœur.
"En fait, l'école est victime. On est attaché à l'enseignement de cette école, mais on souhaite mettre en sécurité nos enfants. Il y a un principe de précaution", d'après Marina.
Fermer l'établissement : impossible ?
C'est ce même principe "absolu" de précaution qu'avance le docteur Bruno Landriot. Sa position est sans appel : "il y a un risque pour les enfants en bas âge ; il faut fermer l'établissement scolaire".
Du côté de l'Ogec qui gère cette école privée catholique, on se dit impuissant. "L'Ogec fait tout son possible pour préserver la santé des enfants. C'est un dossier suivi par la préfecture et l'ARS (...) Aujourd'hui, l'Ogec est informée qu'il n'y a pas de problème de santé publique. L'ARS indique régulièrement qu'il suffit de procéder à une bonne ventilation. L'Ogec n'a pas de pouvoir de décision et agit comme elle le peut", explique l'avocate de l'école, Me Sophie Metenier-Grand.
Pourquoi cette fermeture n'est-elle pas envisagée ? "Une fermeture de l'école serait certainement aujourd'hui considérée comme illégale", indique Me Metenier-Grand. Pour que cette fermeture d'école soit légale, "il faut que les taux dépassent les valeurs repères identifiées par le haut conseil de la santé publique", résume l'avocate.
Autre argument avancé par l'Ogec : le coût d'une délocalisation. "Qui paye ? Thalès. Mais si on ferme l'école irrégulièrement, Thalès dira : non, je ne paye pas. Il faut avoir cette analyse de la situation extrêmement pragmatique, même si ce sont des arguments difficiles à entendre pour les familles", d'après l'avocate.
Confirmation du côté de la préfecture de la Loire : "Pour l'instant, je n'ai aucun critère de santé et notamment de seuil qui serait dépassé de façon durable qui oblige à fermer cette école", indique le préfet Alexandre Rochatte. Le représentant de l'État ne peut pas non plus exiger de l'entreprise des travaux.
Une école sous surveillance
L'entreprise Thalès n'est pas responsable de cette pollution ancienne et n'était pas sur le site dans les années 60, "en revanche, elle est installée sur un site sur lequel il y a une pollution, elle a une obligation de respecter le taux de 10 µg / m3 (...) on continue à surveiller toutes les semaines", assure le préfet.
"J'ai encore eu il y a deux jours les taux de la semaine précédente qui sont en dessous du seuil recommandé. On continue à vérifier les taux et on va le faire pendant toutes les vacances scolaires. Si ce taux est dépassé, je serai amené à prendre des mesures d'interdiction d'un certain nombre de salles, voire de l'ensemble de l'école si jamais on s'aperçoit que les taux sont très importants", garantit le préfet.
Notre rôle est de vérifier que les taux soient bien respectés et d'informer, la direction de l'école et les parents d'élèves.
Alexandre RochattePréfet de la Loire
"Tout est lié à une affaire de taux et donc de seul à partir duquel les scientifiques considèrent qu'il y a un danger ou pas", résume le préfet.
La mairie de Saint-Héand fait aussi aveu d'impuissance : "la mairie va aider à trouver une solution, mais elle ne peut construire une école provisoire. Je ne peux pas décider la fermeture d'une école privée dans la mesure où l'État et la préfecture considèrent que les enfants ne sont pas en danger", déclare Jean-Claude Crapart, le maire.
Contacté par téléphone, Thalès n'a pas donné suite à nos demandes d'interview. L'entreprise prévoit cependant d'améliorer la ventilation lors des prochaines vacances de la Toussaint. En attendant, l'air de l'école continuera d'être suivi de près.
Aujourd'hui, les parents d'élèves de l'école privée Marie Collard se sentent pris entre plusieurs feux : mairie, enseignement catholique et préfecture de la Loire. "Personne ne veut bouger, tout le monde se renvoie la balle, c'est grave", a déploré une mère présente à la réunion du 10 juillet.