Que se passe-t-il lorsque plusieurs enfants d’une même région sont frappés par le cancer ? Entre 2015 et 2020, 25 enfants de Sainte-Pazanne, près de Nantes, ont été diagnostiqués, dont 7 sont décédés. Face à l'inaction des autorités, les familles se battent pour comprendre les causes de cette tragédie.
En 2023, les familles ont créé l'Institut Citoyen de Recherche et de Prévention en Santé Environnementale, un organisme réunissant un conseil d’administration composé de citoyens et de scientifiques, afin de mieux comprendre les facteurs à l’origine de cette épidémie de cancers pédiatriques.
Le documentaire Contrepoisons, un combat citoyen, réalisé par Valéry Gaillard et Jean-François Corty, vice-président de Médecins du Monde, raconte la détermination des familles face à ce cluster de cancers. Alertées fin 2015 par un nombre anormal de cancers parmi les enfants fréquentant la même école, l'Agence Régionale de Santé (ARS) et Santé Publique France mènent des enquêtes sans résultat. En 2019, de nouveaux cas apparaissent, incitant les parents à demander la réouverture de l’enquête.
L'impasse face aux autorités et le soutien des scientifiques
L'ARS et Santé Publique France concluent à l'absence de cause commune, et les autorités sanitaires répondent par un "Circulez, il n'y a rien à voir". Cette conclusion est rejetée par les familles, d’autant plus que ces cancers ne sont pas d’origine génétique. Elles sont soutenues par Laurence Huc, toxicologue à l’INRAE, et Annie Thébaud-Mony, sociologue de la santé spécialisée dans les maladies professionnelles et les cancers liés à l’amiante.
La toxicologie, discipline étudiant les effets des substances chimiques sur la santé, joue un rôle crucial dans cette enquête. Des cellules de laboratoire sont exposées à divers agents polluants pour observer si leur métabolisme énergétique et leur potentiel tumorigène sont modifiés après une exposition aux pesticides. Cette recherche est d'autant plus essentielle que certains pesticides, aujourd'hui interdits mais encore présents dans l'environnement, peuvent persister et continuer à exercer des effets cancérigènes sur les générations futures.
Les familles et les scientifiques sont également soutenus par François Lafforgue, avocat engagé dans la lutte contre des géants industriels comme Monsanto, l'amiante et la pollution de l'air.
Ensemble, ils luttent pour démontrer les causes environnementales et multifactorielles de ces cancers.
Un hommage aux enfants disparus et à ceux qui souffrent
En février 2022, devant le Ministère de la Santé, Marie Thibaud, maman d'un enfant ayant fait face à cette maladie, cite les noms des sept enfants partis bien trop tôt.
Ce n'est pas normal, on ne peut pas en rester là et on ne peut pas dire qu'il ne se passe rien.
Marie Thibaud, porte parole du collectif Stop aux cancers de nos enfants
"Moi, je ne redonnerai pas à Alban ses quatre années de concerts. Je ne pourrai pas lui redonner son insouciance, je ne pourrai pas redonner la vie à tous les enfants qui sont partis, ça c'est sûr, mais peut-être qu'on peut faire en sorte qu'il y en ait moins qui tombent malades et qu'on soit tous solidaires, parce que le cancer de l'enfant, c'est juste pourri, quoi." ajoute-t-elle.
Les photos témoignent de ce mal qui brise les familles. Sur le papier glacé, les enfants sourient à ceux qui les photographient, leurs visages pâles, les regards creusés, les cheveux envolés dans cette descente aux enfers. Les parents portent des masques sur lesquels il est écrit "Stop aux cancers de nos enfants". En toute dignité, ils se battent pour que la liste des victimes cesse, pour un "plus jamais ça". Ils savent que ce qui leur a été volé ne reviendra plus, mais ils veulent tout faire pour que cela n'arrive plus, pour empêcher que d'autres familles traversent la même épreuve.
Raconter pour remonter aux sources
Lorsque Laurence Huc, toxicologue, a rencontré les familles, elle s'est engagée bénévolement dans cette cause. Elle a elle-même effectué les premiers prélèvements. Grâce à son aide, le collectif de parents a pu faire analyser l'eau et les cheveux des enfants. Des dizaines de polluants ont ainsi été retrouvés.
Toutes les sources possibles de facteurs de risque ont été recensées.
Les expertes ont mené de longs interrogatoires avec les familles pour rembobiner les parcours de vie dans les moindres détails.
Les entretiens menés par Laurence Huc et Annie Thébaud-Mony avec les mères ont été particulièrement difficiles émotionnellement, tant pour les scientifiques que pour les parents.
La maman de Juliette
La maman de Juliette a commencé à s'inquiéter lorsque sa fille, qui dessinait toujours très bien, a présenté des dessins moins symétriques et une manière étrange de tenir son crayon. Cela lui a rappelé l’histoire d’amis proches, dont le fils avait été diagnostiqué avec une tumeur cérébrale à l’âge de quatre ans, et qui est aujourd’hui en rémission totale.
Juliette se plaignait de vertiges. Sa maman, habituée à ce que sa petite fille cherche à monopoliser son attention, lui a dit : "Si ce que tu décris est vrai, ce sont globalement les mêmes symptômes que Camille, et on ne rigole pas avec ça." Puis elle ajouta : "Soit c’est vrai et il faut que je le prenne au sérieux, soit, si tu cherches l’attention, on va s’y prendre autrement." Mais en voyant sa fille tituber et entendre sa réponse : "Non, non, ça ne va pas", elle a senti qu’il y avait quelque chose qui clochait.
Le médecin traitant décroche son téléphone et demande un scanner en urgence au CHU de Nantes. Le diagnostic tombe, effroyable : "Juliette a une tumeur." Des mots d'une rare violence, prononcés devant la petite fille, qui résonnent comme un couperet.
Ils sont ensuite transférés à Angers, dans un centre spécialisé dans les tumeurs cérébrales. Juliette passe un IRM. Ses parents attendent des réponses, des options de traitement, mais dès le lendemain, le médecin leur annonce qu’il s’agit d’un gliome infiltrant du tronc cérébral. Sa maman, infirmière, sait parfaitement de quoi il s'agit et comprend immédiatement que la situation est irréversible.
Ils nous ont dit d’emblée qu’il n’y avait pas de traitement, qu’il n’y avait rien à faire, que l’espérance de vie était globalement de deux ans.
La maman de Juliette
"Les seuls traitements possibles seraient des traitements palliatifs et un protocole expérimental si on était d’accord."
Séverine, la maman d'Elouan
Le témoignage de Séverine, sur la fin de vie de son fils Elouan, ne peut être pleinement retranscrit, tant le vécu des mamans qui ont vu partir leurs enfants touche là où ça fait mal. Personne mieux que ces parents n'est légitime à mettre des mots sur cette souffrance qui est la leur.
L'espérance de vie de ces enfants, qui développent des cancers, ne dépasse pas 60 ans, avec des conséquences et des séquelles durables.
Omerta
"En Loire-Atlantique et en Vendée, nous avons la chance de disposer d'un registre des cancers, ce qui est le cas dans seulement 19 départements en France. Toutefois, les données ne sont pas rendues publiques, elles sont verrouillées. Nous en avons donc parlé au ministère, mais personne n'a accès à ces informations, alors qu'elles devraient être publiques. Nous avons sollicité nos parlementaires, avec lesquels nous collaborons, qui ont fait pression pour obtenir ces données, mais sans succès. L'ARS, Santé Publique France et le registre détiennent ces données chiffrées." Marie Thibaud
Les scientifiques veulent, eux aussi, percer cette bulle de silence pour que la vérité éclate concernant la mise sur le marché de produits responsables des cancers et d'autres maladies.
L'épidémie de cancers pédiatriques n'est pas une fatalité, mais la conséquence d'un mal qui nous concerne tous, les pollutions environnementales. Il existe d'autres clusters, près de La Rochelle, dans le Jura, en Anjou, et sans doute d'autres encore qui n'ont pas encore été détectés, en attendant qu'un jour, les autorités sanitaires s'appuient sur la volonté de savoir des familles.
Bruno, le papa de Baptiste
"Pour moi, l'ARS est une autorité qui cherche à rassurer la population et à apaiser ceux qui tentent de soulever des questions délicates." Il étaye ses propos avec des exemples illustrant comment, selon lui, l'on tente de noyer le poisson.
Comme les autres parents, il se questionne sur la présence de la ligne à haute tension, l'utilisation de produits chimiques agricoles dans la région, mais il s'intéresse particulièrement à l'ancienne entreprise de charpente située à proximité de l'école fréquentée par les enfants malades. Il s'interroge sur une pollution persistante des sols, et sur les risques que cela pourrait engendrer pour la santé des enfants.
Le combat n'est pas fini. De leur côté, Laurence, Marie et son fils Alban effectuent un nouveau prélèvement dans l'un des bras de la rivière.
"Contrepoisons, un combat citoyen", un documentaire de Valéry Gaillard et Jean-François Corty. Une coproduction Squawk – France 3 Pays de la Loire. À voir ce jeudi 28 novembre sur France 3 Centre – Val de Loire. À revoir en replay sur france.tv.