"Fascinant et mystérieux". Elles effraient le commun des mortels mais les chercheurs de l'Irstea ont les yeux qui brillent à l'évocation des avalanches. Qu'ils n'ont pas fini d'explorer car le changement climatique les rend toujours plus complexes.
L'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea) décortique ces phénomènes polymorphes, de la microstructure du grain de neige à l'avalanche grandeur nature, depuis 45 ans. Soit juste après la mort de 39 personnes dans un centre de vacances à Val d'Isère (Savoie) et la prise de conscience de la nécessité de se protéger.
Une trentaine de décès par an en France
Aujourd'hui, 600 communes sont exposées aux avalanches en France et elles ont provoqué une trentaine de décès en moyenne sur les dernières années, surtout des skieurs et des randonneurs, mais plus aucun en zone habitée et aménagée depuis 2000.
Notamment grâce à la mise en place des PPR, "ces plans de prévention des risques qui découpent les territoires en zones" en fonction du risque : rouge (fort, non constructible), bleu (moyen) et blanc (faible), explique Mohamed Naaim, directeur de recherche de l'unité sur les avalanches (Etna) au sein de l'Irstea.
De nombreux ouvrages ont également été déployés soit pour "neutraliser la zone de départ" de l'avalanche avec des râteliers, claies et autres filets ; soit pour contenir la fin de la coulée avec des tas freineurs, des digues de déviation ou d'arrêt, voire des constructions permettant de faire passer la neige au-dessus des routes, détaille M. Naaim.
Des risques émergents liés au réchauffement
Mais les risques émergents sont liés au réchauffement climatique: si "les températures sont restées stables jusqu'aux années 1980, on connaît depuis une augmentation significative", souligne M. Naaim.
"Les Alpes enregistrent +2°C depuis 120 ans", abonde Emmanuel Thibert, qui travaille sur les glaciers et de potentielles avalanches de glace, en particulier au Taconnaz. Ce glacier majestueux surplombe la vallée de Chamonix et la "route Blanche" très fréquentée qui mène au Tunnel du Mont Blanc.
Cette hausse du thermomètre entraîne-t-elle plus ou moins d'avalanches ? "Statistiquement, rien ne ressort, on est dans la fourchette d'incertitude", répond Didier Richerd, chef de l'unité Etna. "En revanche, l'évolution repérable est à ce qu'elles descendent moins loin, elles s'approchent moins des vallées" et de leurs infrastructures ou bâtiments, ajoute M. Richard.
Avalanche de neige humide ou de neige froide ?
"Mais le risque ne diminue pas pour autant car ce sont des moyennes et ce qui fait le risque, ce sont les extrêmes", insiste-t-il, d'autant que la nature des coulées change, avec une augmentation des avalanches de neige humide par rapport à celles de neige froide qui peuvent se coupler avec des nuages aérosols impressionnants.
"Avant les avalanches humides survenaient au printemps, étaient liées à la fonte et concernaient des manteaux neigeux amoindris. Maintenant elles peuvent se produire en pleine saison hivernale et donc charrier des volumes de neige beaucoup plus importants, qui vont descendre plus bas dans les vallées", poursuit M. Richard.
Toutefois, la dernière grosse avalanche meurtrière en France qui avait fait 12 morts et détruit 17 chalets en 1999 à Montroc-Chamonix (Haute-Savoie) était une avalanche de neige froide.
Etablir des modélisations
Les chercheurs travaillent donc à établir des modélisations qui puissent s'approcher le plus possible de la réalité et aider les pouvoirs publics à adapter leurs ouvrages de protection.
Pour ce faire, l'Irstea croise les données recueillies par des algorithmes moulinés parfois durant des semaines sur ordinateurs, avec celles des expériences en laboratoire et, enfin, celles recueillies sur le terrain.
L'Irstea dispose en effet, à l'instar d'autres instituts de recherche en Suisse ou au Japon, de deux sites d'étude, en Haute-Savoie et dans les Hautes-Alpes, où ont été installés des instruments de mesures de pression, de vitesse, des compteurs de particules, des anémomètres, des appareils photos, etc.
Dans le couloir majestueux du Taconnaz, il faut attendre que les avalanches se produisent naturellement avec les chutes de séracs du glacier. Au col du Lautaret, sous la crête de Chaillol, les avalanches sont en revanche déclenchées dans deux couloirs prévus à cet effet.
L'aide des arbres séculaires
Connaître son passé pour mieux envisager l'avenir: en matière d'avalanches, les scientifiques de l'Irstea ont trouvé de précieux auxiliaires dans des mélèzes multicentenaires du massif alpin du Queyras, dont les troncs portent la trace des tumultes anciens.
"On étudie la réaction de l'arbre à l'aléa, en l'occurrence à l'avalanche, enfin quand elle n'a pas entraîné un dépeuplement forestier", explique Jérôme Lopez-Saez, spécialiste en dendrochronologie à l'unité "Écosystèmes Montagnards".
Cette discipline "analyse les cernes de croissance de l'arbre", prélevées par carottage dans les troncs, "et mon job est de dater les cassures dans les cernes pour retracer les événements" qui les ont occasionnées, ajoute le jeune chercheur.
Si une avalanche étête un arbre, sa croissance va en être affectée et les cernes vont le "raconter". De même, en cas de blessure sur le tronc à cause d'un choc (bloc de glace, pierre, etc.), la guérison de l'arbre va entrainer un "bourrelet cicatriciel", avec parfois une ligne de résine destinée à éviter l'entrée de parasites et d'eau. Enfin, si l'arbre a été penché sous l'effet d'une pression très importante, il va développer un "bois de réaction, plus sombre et plus dense", énumère M. Lopez-Saez.
L'arbre ayant une espérance de vie longue, "dans certains couloirs d'avalanche, on peut trouver des mélèzes sénescents dont les plus anciens ont 700 ans", s'enthousiasme le bio-géomorphologue de formation.
Ils ont été conservés par des techniques de pastoralisme qui les considéraient comme des abris bienvenus pour les bêtes, comme dans le couloir de l'Echalp dans le Queyras (Hautes-Alpes), sur la route du Mont Viso.
Des écrits gardaient le souvenir dans la région de seulement quatre avalanches majeures dont la plus ancienne date de 1487 et la plus récente de 1946. Mais les 163 arbres échantillonnés - d'un âge moyen de 402 ans - ont permis de reconstituer 37 événements.