#OnVousRépond : une réouverture entre espoirs, amertume et incompréhension pour les instituts de beauté

Fermés depuis début avril pour ralentir l'épidémie de Covid, les instituts de beauté, bars à ongles et autres salons d'esthétique peuvent enfin rouvrir ce mercredi 19 mai, en même temps que les autres commerces dits "non essentiels". En revanche, les SPAS devront encore attendre un peu. Décryptage.

Un an après le premier confinement, avec la troisième vague de la pandémie de Covid, une nouvelle fermeture administrative nationale de plusieurs semaines concernant les activités et commerces "non essentiels" a été décidée et annoncée par le Président de la République. Parmi les professions touchées : les métiers de l'esthétique. Cette troisième période de fermeture administrative prend fin. Quel est le sentiment de la profession alors que les salons de beauté ouvrent enfin ce mercredi 19 mai 2021 ? Certains instituts ont été fermés durant huit semaines. Les esthéticiennes peuvent-elles enfin voir le bout du tunnel ? Pas vraiment ...  #OnVousRépond fait le point sur la réouverture du secteur, pris entre espoirs et amertume. 

►Soins secs, soins humides ... ce qui est autorisé 

Vous rêvez depuis plusieurs semaines d'un soin du visage, d'une manucure, d'un gommage ou encore d'une épilation digne de ce nom. Terminé les soins "home made", à partir de ce mercredi 19 mai, les instituts de beauté peuvent enfin rouvrir leurs portes et accueillir à nouveau leur clientèle. Certaines habituées ont pris les devants.

Les carnets de rendez-vous des salons sont pleins pour au moins les dix jours à venir. Qu'en sera-t-il après le mois de juin ? C'est encore flou.

Martine Berenguel

Car les déconfinements se suivent mais ne se ressemblent pas pour cette profession de services à la personne aujourd'hui en souffrance psychologique. Il faut dire que l'engouement et le rebond qui ont suivi le premier déconfinement du printemps 2020 semblent bien loin aujourd'hui, d'après Martine Berenguel, co-présidente de la CNAIB SPA et esthéticienne professionnelle installée près de Grenoble, en Isère. Les deux confinements vécus en 2020 ont été pour nombre de ces chefs d'entreprise une source d'angoisse et de souffrance psychologique. Et c'est sans compter le cumul des difficultés de trésorerie et un sentiment d'isolement.

"J'étais le seul commerce fermé de ma rue," se souvient-elle avec amertume. " Dans mon village de 6000 habitants je vais être le seul commerce interdit….tous les autres restent ouverts….le tabac, le fleuriste, les 2 coiffeurs, les 2 boulangeries, le toiletteur, le vétérinaire, la pharmacie, l’épicerie... c’est consternant : le virus ne passe pas plus dans mon institut qu’ailleurs !" avait-elle écrit sur son compte Facebook le 3 avril dernier.

Alors la réouverture était attendue avec une grande impatience. "Mais pourquoi rouvrir un mercredi et pas un lundi ? On perd deux jours d'activité," se demande-t-elle aussi. La question restera posée même si la joie liée à cette réouverture est palpable. 

L'autre interrogation qui restera sans réponse concerne la reprise d'activité des Spas et thalasso. Alors que le monde du thermalisme médical a reçu l'autorisation de faire sa rentrée à partir du 19 mai, la réouverture des Spas ne pourra pas avoir lieu avant le 9 juin prochain. Les Spas, hammams, saunas pourront ouvrir mais avec une jauge de 35% de l’effectif autorisé, indique le gouvernement dans son agenda de réouverture. A partir du 30 juin, ces lieux pourront accueillir "100% de l’effectif autorisé dans le respect des mesures barrières et de distanciation", précise le document officiel.

A partir du 19 mai : "Seuls les Spas qui pratiquent les soins secs, de type massages, sont autorisés à accueillir des clients," explique Martine Berenguel. Exit les soins humides, bains à remous, hammams, sauna ou encore soins réalisés avec de la vapeur jusqu'à cette date. Une incompréhension de plus. En bref, une esthéticienne qui propose des soins en baignoire ne pourra pas les pratiquer... jusqu'au 9 juin. Les amateurs de "fish pédicure" peuvent aller se rhabiller. 

►Un troisième confinement imposé à la "pire" période

La fermeture administrative a été imposée aux salons d'esthétique dans un premier temps dans les 16 départements les plus touchés par la pandémie, le 18 mars 2021. Puis cette fermeture a été étendue à 19 départements la semaine suivante, avant de devenir nationale à partir du 5 avril 2021. Le lock-down a concerné tous les professionnels de l’esthétique et du spa, quel que soit le lieu de leur activité. Et toutes les spécialités ont été concernées : salons de beauté et de maquillage permanent, bars à ongles, bar à sourire, centres de minceur ou encore spas urbains... En institut, au domicile des clientes et même au sein des salons de coiffure, la filière était au point mort entre six à huit semaines

Ce troisième confinement a été un sévère coup dur pour les salons et instituts de beauté indépendants. D'autant qu'il a été décrété, comme l'an dernier, "au pire moment de l'année". A la sortie de l'hiver, les mois de mars et avril sont notamment des mois stratégiques pour la vente des produits à prendre en cure avant l'été. Difficile de renflouer sa trésorerie avec les beaux jours dans ces conditions... "D'autant que nombre de clients, craignant de perdre leur argent en cas de fermeture définitive, ont hésité à acheter des chèques cadeaux avant les fêtes de fin d'année," ajoute Martine Berenguel. Un vrai manque à gagner pour les petites structures.

►Incompréhensible fermeture et sentiment d'"injustice"

Ce que l'on retiendra de ce troisième confinement : les professionnels de l'esthétique et de la beauté n'ont pas tous été logés à la même enseigne. Alors même que coiffeurs et barbiers avaient reçu l'autorisation de rester ouverts, les esthéticiennes ont été priées de fermer boutique. Incompréhensible pour ces dernières. Cette fermeture administrative de plusieurs semaines a été très mal vécue par la profession qui n'a cessé de dénoncer une inégalité de traitement, voire une injustice. Même si elle se réjouit pour ses collègues coiffeurs, elle constate :  "il y a pourtant moins de clients dans un institut de beauté que dans un salon de coiffure", selon Martine Berenguel... et jamais plus de deux personnes dans une cabine de soins !

Les salons et instituts de beauté n’ont pas été déclarés comme commerces "essentiels" par le gouvernement. Et les prestations esthétiques n'étaient pas même tolérées au sein des salons de coiffure autorisés à ouvrir. Durant ce confinement du printemps 2021, impossible même pour un particulier de faire venir son esthéticienne ou sa manucure à domicile pour assurer une prestation.

"L'Esthétique a été mal traitée. On s'est senties peu considérées", déplore Martine Berenguel, co-présidente de l’organisation représentative des esthéticiennes.

Même écho chez Régine Ferrère, présidente de la Confédération Nationale de l'Esthétique et de la Parfumerie. Pour cette dernière, qualifier les professionnels de l'esthétique et du bien-être de "non-essentiels" est lourd de sens et de sous-entendu. "Or mettre à mal ce secteur, c'est mettre à mal toute une large partie du tissu économique français," estime-t-elle.  Le secteur de l'esthétique compte des milliers d'entreprises de toutes tailles. Plus globalement, le marché du bien-être, de la beauté et de la parfumerie, aux multiples ramifications, pèse lourd et avoisine les 290.000 entreprises.

"Le salon de beauté, c'est le bout de la chaîne. Mais l'esthétique, la parfumerie et la cosmétique constituent le premier pôle de compétitivité français, devant Airbus," assure la représentante de la confédération

"Personne n'a su nous expliquer pourquoi cette fermeture", confirme-t-elle. Une fermeture décidée en haut-lieu "sans concertation avec les professionnels et leurs représentants", dénonce Régine Ferrère. "Et comment expliquer que les médecins esthétiques soient restés ouverts ?" glisse-t-elle au passage. 

Ces instituts de beauté sont pourtant également synonymes de lien social et de bien-être. La fermeture est incompréhensible pour les représentants de la filière à l'heure où les médecins s'inquiètent des effets dévastateurs des différents épisodes de confinement sur la santé mentale de la population. "Pour certaines clientes, c'est l'unique moment où elles peuvent se détendre, lâcher prise", explique Martine Berenguel. 

►Protocole sanitaire strict 

Si ce troisième confinement a été mal pris par le monde feutré et discret de l'esthétique, c'est aussi parce que le secteur s'est depuis toujours plié à des consignes strictes d'hygiène. Nettoyage des surfaces, des mains, désinfections, respect des gestes barrières ... les protocoles sanitaires font partie de l'ADN de cette filière. Le port du masque, des gants et des visières, la distribution de gel hydro alcoolique aux clients n'a pas eu de mal à rentrer dans les usages et dans les cabines de soins des instituts. Question protocole sanitaire, la profession a même monté de plusieurs crans les exigences en raison de la pandémie de Covid, selon Régine Ferrère. Le secteur ne déplore d'ailleurs aucun cluster expliquent les représentantes contactées. 

Mais pour les petits patrons et petites structures, le protocole sanitaire Covid n'est pas sans conséquence sur la rentabilité et la fréquentation. Plus de temps pour mettre en place le protocole sanitaire rime notamment avec heures supplémentaires. Objectif : élargir les plages horaires d'ouverture pour parvenir à conserver un nombre suffisant de clients dans une journée de travail.  

►"Pour ne pas finir à poil !" : les esthéticiennes mobilisées ...

La fermeture des instituts de beauté a provoqué une levée de boucliers dans ces commerces. Parmi les protestations, celle de Cécile Michel, dont le salon est installé à Brignais, dans la métropole de Lyon. Elue meilleure esthéticienne de France en 2018, elle a publié une tribune sur son compte Facebook le 1er avril 2021. Dans son texte, la présidente du Mouvement des esthéticiennes de France (MEF) interpellait Alain Griset, ministre délégué chargé des PME et exprimait publiquement son "incompréhension totale" face à la décision du gouvernement de mettre le monde de la beauté sous cloche.

.... sont allées se "brosser"!

Les professionnels de l'esthétique ont multiplié les actions et les coups de gueules sur les réseaux sociaux pour tenter de se faire entendre. A l'initiative de  la Confédération nationale artisanale des instituts de beauté, elles ont participé en avril au mouvement "les vitrines de la révolte" afin de faire part de leur désarroi. Un mouvement s'était diffusé sur les réseaux sociaux par des esthéticiennes de l'Isère et sur les vitrines avec un slogan choc : "Pour ne pas finir à poil"  ! 

Mais malgré les efforts entrepris par les fédérations professionnelles, la requalification de l’esthétique en commerce de première nécessité a échoué à aboutir. Les demandes formulées au gouvernement sont restées lettre morte. "Ça n'a servi à rien, nous n'avons pas été entendues," déplore Martine Berenguel. Quant à la procédure en référé liberté devant le Conseil d'Etat porté par le numéro 1 de la cosmétique, elle n'a pas eu davantage d'écho. Pas de réouverture avant ce jour. 

►Aides et Fonds de solidarité : pour faire simple...

"Est-il possible d’avoir des aides lorsqu’une partie de notre activité est fermée par un décret. Mais que la perte de notre CA n’atteint les 50%. Nous avons un SPA esthétique et le côté Spa est fermé par arrêté depuis fin février," demande Catherine, installée en Auvergne Rhône-Alpes, via le formulaire mis à disposition sur nos sites internet. 

Depuis le début de la crise sanitaire, le gouvernement a mis en place des aides (reports de charges, PGE...) qui obéissent à des règles. Les salons et instituts d'esthétique, ouverts avant le 31 janvier, qui n'ont pas travaillé en avril 2021, pourront percevoir ces aides et notamment le Fonds de solidarité.

Que percevront ces entreprises fermées en avril 2021 ? La réponse sur le site du ministère de l'Economie  :

♦ Pour les entreprises administrativement fermées tout au long du mois d'avril, du 1er au 30 avril, le montant de l'aide correspond au montant de la perte de chiffre d’affaires enregistrée au titre de avril 2021 par rapport au chiffre d'affaire de référence dans la limite 10.000 € ou à 20 % du chiffre d’affaires de référence dans la limite de 200.000 €. Le CA de référence (cas général) retenu pour le calcul de l'aide pourra être le CA de février 2019 ou le CA mensuel moyen constaté en 2019. Pour avril 2021, la demande d’aide se fait par voie dématérialisée, à l’aide du formulaire mis en ligne depuis le 7 mai sur impots.gouv.fr. La date limite de dépôt est le 30 juin 2021.

♦Pour les entreprises qui ont fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public durant une partie du mois d'avril 2021. Si la perte de chiffre d’affaires enregistrée en avril est comprise entre 20 % et 50 %, l’aide est égale à cette perte plafonnée à 1.500 €. Si la perte de chiffre d’affaires enregistrée au titre d' d'avril 2021 égale ou excède 50 %, l’aide correspond soit au montant de cette perte plafonnée à 10.000 € soit à 20 % du chiffre d’affaires de référence, dans la limite, par groupe d’entreprises, de 200.000 € d’aides versées au titre du fonds de solidarité pour les pertes d'avril.

♦Comment est pris en compte le "clic & collect" ? Les entreprises doivent avoir subi, au cours de ce mois d'avril 2021, "une perte d’au moins 20 % de leur chiffre d’affaires, en intégrant dans ce chiffre d’affaires les ventes à distance avec retrait en magasin ou par livraison et les ventes à emporter. Il n’est toutefois pas tenu compte de telles ventes dans le calcul du montant de l’aide," indique Bercy.

♦Qu'en sera-t-il pour le mois de mai avec la reprise d'activité ? "Pour le mois de mai, les règles d’indemnisation seront les mêmes qu’en mars et avril," indique le gouvernement dans son agenda de réouverture. Ainsi, pour les entreprises ouvrant seulement à partir du 19 mai, le régime «semi-fermé» introduit au mois de mars s'applique : avec indemnisation de 1.500€ entre 20% et 50% de pertes de CA  et indemnisation de 10.000€ ou 20% du CA jusqu’à 200.000€ à partir de 50% de pertes de CA.

►Emplois, formations... les défis de la filière à l'heure du déconfinement 

Reste que nombre de petits salons et entreprises d'esthétique se retrouvent aujourd'hui dans le rouge malgré les différentes aides publiques et le recours au chômage partiel pour payer les employés : "l'employeur doit avancer le salaire pour être ensuite remboursé trois semaines plus tard par l'État", explique Martine Bérenguel. 

Autre problème soulevé par la présidente de l’organisation représentative des esthéticiennes : si nombre de salons devront faire face à des problèmes financiers, ils risquent aussi d'être confrontés au manque de bras pour cette reprise. "Les apprentis vont passer les examens en juin et non en septembre comme l'an dernier, et pas moyen de les récupérer pour cette période," explique-t-elle. Mais l'autre effet des confinements successifs, c'est la démotivation qui frappe aujourd'hui le réseau. La présidente de la CNAIB SPA évoque notamment des démissions, des pauses dans la carrière pour raison familiale ou encore des changements de voie professionnelle. Les salons de beauté, à l'instar des restaurateurs, risquent-ils de peiner à recruter ces prochains mois. Martine Berenguel le craint. Elle ne mise pas sur un retour à la normale, à la situation ante-covid, avant 2023 ou 2024. Avant la crise sanitaire, le marché de la beauté et du bien-être (salons de beauté, coiffure, cosmétique, thalassothérapie... etc) en France représentait plus de 540 000 emplois et 37 milliards d’euros de chiffre d’affaire annuel.

Pour Régine Ferrère, l'une des aspects à ne pas minimiser : les changements d'habitude des clients générés par cette longue crise sanitaire. Seront-ils de retour dans les instituts de beauté? Quid des nouvelles habitudes de consommation des soins et autres services bien-être? Le secteur va-t-il pâtir du télétravail? Pour la présidente de la Confédération Nationale de l'Esthétique et de la Parfumerie, ce secteur professionnel risque de sortir transformé de cette crise inédite. Et les instituts installés dans les petites villes, et notamment les petits indépendants, ont sans aucun doute leur carte à jouer. A la condition aussi de relever les défis de la formation et de la numérisation.  

 

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