Mgr Barbarin doit comparaître devant la justice pour non dénonciation d'agressions sexuelles sur mineurs. Mais que savait l’évêque de Valence des agissements du père Preynat ? Beaucoup plus qu’il ne voulait en dire. Voici le témoignage accablant d'une victime sur un secret bien gardé.
Mgr Barbarin est cité à comparaître les 7, 8 et 9 janvier 2019 devant la 6 ème chambre correctionnelle de Lyon pour "non dénonciation d'agressions sexuelles sur mineurs". Les très nombreuses victimes du père Preynat auraient aussi aimé entendre l'évêque de Valence sur ce qu'il savait de l'affaire Preynat. Voici pourquoi.
Il s’appelle Olivier. C’est l’une des nombreuses victimes du père Preynat. Comme beaucoup d’autres, il a subi à plusieurs reprises ses agressions sexuelles. Il avait alors entre 8 et 11 ans. Il fréquentait les camps scouts que le prêtre encadrait durant les vacances. Marqué dans sa chair et dans son âme, Olivier demande à parler à l’évêque de la Drôme lors d’une retraite spirituelle. Au printemps 2016, il rencontre, en présence d’un témoin, l’actuel évêque de Valence, Pierre-Yves Michel. Et pour cause...
Avant d’être nommé évêque de Valence, Pierre-Yves Michel était le vicaire des paroisses de Ste Foy-lès-Lyon. Nous sommes en 1992. Bernard Preynat vient d’être discrètement exfiltré de l’église St Luc de Ste Foy, d’où sont parties toutes les accusations de pédophilie. Olivier lui demande alors ce qu’il savait précisément de son prédécesseur.
La discussion s'engage. Olivier s’étonne : «Combien vous en fallait-il ? ». « C’est vrai, un seul aurait suffi « convient l’évêque.A mon arrivée à Ste-Foy, j’ai entendu dire que des enfants avaient eu des problèmes avec Preynat. 6, 7 ou 8 cas, je ne sais plus. Si on avait su qu’il y en avait eu autant, on aurait sûrement agi. Pierre-Yves Michel
L’échange a lieu devant un témoin qui viendra corroborer plus tard la teneur de ces propos.
"Vous avez couvert l'innommable"
A partir de 1996, Pierre-Yves Michel devient délégué, puis vicaire épiscopal, responsable de l’enseignement du catéchisme sur tout le diocèse de Lyon. Il dit alors s’intéresser de près au prêtre, mais sans se résoudre à l’éloigner de son ministère :
Il fallait le voir. Le père Preynat avait un don remarquable pour la catéchèse auprès des enfants. C’est pour cela qu’on l’a gardé. Pierre- Yves Michel
Le témoin qui assiste à l’entretien est à son tour consterné : « Vous avez couvert l’innommable du voile de l’excellence » lui dira-t-il.
Selon Olivier, c’est à ce moment-là seulement que l’évêque réalise vraiment la portée de son silence. Il dit s’être interrogé sur la culpabilité du père Preynat. Mais en tout état de cause, «ce don exceptionnel» pour l’enseignement de la religion justifiait tous les renoncements.
"On avait autre chose à faire"
Pierre-Yves Michel va rejoindre Mgr Barbarin en 2007 comme vicaire général (2007-2014). A son arrivée, ils parlent ensemble du père Preynat. Avec un certain détachement : «On avait autre chose à faire que d’aller fouiller dans son dossier». C’est du moins la version qu’il donne à Olivier.
Entendu en février 2017 par la police, l’évêque de Valence nuancera sa position. Singulièrement, le passé trouble du prêtre lui reviendra en mémoire : Il se rappellera que devenu vicaire général, il avait recommandé au père Preynat de ne jamais rester seul avec des jeunes. Il se souviendra même que l’intéressé lui avait reproché de toujours le ramener vers son passé.
Le cas du prêtre aurait bien été à nouveau évoqué à l’époque avec Mgr Barbarin en 2007. Dans cette version, ils auraient reparlé ensemble de Bernard Preynat , s’interrogeant sur sa situation. Le vicaire et le cardinal ne reviendront pas sur le passé, en l’absence de faits nouveaux. Avec néanmoins un souci de prudence partagé par le cardinal. Une prudence nécessaire car ils comptaient confier de nouvelles missions à Bernard Preynat.
Olivier rencontrera lui-même à plusieurs reprises Monseigneur Barbarin. Le cardinal se rendra à son chevet alors qu’il est encore hospitalisé. «J’ai eu le sentiment très fort, dit Olivier, qu’il venait me voir pour comprendre exactement ce que je savais du père Preynat, pas pour ce que j’avais subi. »
"Ca me choque si rien n' a été fait"
L’évêque de Valence a-t-il dit tout ce qu’il savait à l’époque du parcours du père Preynat ? Pourquoi Pierre-Yves Michel n’a-t-il rien révélé, dès sa prise de fonctions en 1992, des agissements de son prédécesseur, qu’il savait condamnables ? Pourquoi, enfin, n’est-il pas inquiété par la justice ?
Monseigneur Luc Crépy, évêque du Puy-en-Velay, en charge de la lutte contre la pédophilie dans l'Eglise, se dit lui-même surpris par ces révélations. Surpris que la police n’ait pas agi après l’audition de l’évêque de Valence : « S’il a fait ces déclarations à la police, ça me choque si rien n’a été fait ».
Pourquoi Mgr Pierre-Yves Michel n'est-il pas cité à comparaître aux côtés de Mgr Barbarin par les victimes du père Preynat. Maître Nadia Debbache, avocate des parties civiles, explique qu'elle a eu connaissance trop tardivement de l'audition de l'évêque de Valence par la police. La citation à comparaître était déjà engagée. De fait, malgré ces révélations, Pierre-Yves Michel n'aura pas à s'expliquer devant la justice.
Contacté pas nos soins, l'évêque de Valence, Mgr Pierre-Yves Michel, a annulé au dernier moment un entretien téléphonique qu'il nous avait accordé.
L'enquête de Sylvie Cozzolino et Thierry Swiderski :