Mercredi 16 décembre, la cour d’assises du Rhône a condamné Cécile Bourgeon à 20 ans de réclusion criminelle et Berkane Makhlouf à 18 ans. Sept ans après la disparition de Fiona, cette affaire continue de fasciner le public.
Mercredi 16 décembre. Il est environ 16 heures lorsqu’après plus de 5 heures de délibération, la cour d’assises du Rhône, à Lyon, rend son verdict. Elle condamne la mère de Fiona, Cécile Bourgeon à 20 ans de réclusion criminelle et Berkane Makhlouf, son ex-compagnon à 18 ans de prison. Sept ans après la disparition de la fillette, l’affaire Fiona, comme l’appellent les médias, continue de fasciner le public. Chaque matin, pendant les trois semaines de procès, les badauds étaient là, fidèles au poste. Caroline Girardon, journaliste au quotidien 20 minutes, a assisté au procès de Lyon. Elle explique : « Il y a eu une progression. Il n’y avait pas grand monde les premiers jours. Je mettrai ça sur le compte du confinement. Quand il a été levé le 15 décembre, il y avait encore plus de public. Les rangs se sont garnis au fil des jours. Mardi et Mercredi il y avait beaucoup de monde. On arrivait à la fin du procès, les réquisitions et les plaidoiries étaient attendues, et surtout le verdict. Ca coïncidait avec la fin du confinement ».
Le pire c’était lors du premier procès à Riom
Valérie Riffard, journaliste à France 3 Auvergne, a couvert les quatre procès du couple d’accusés. Elle raconte : « Le pire c’était lors du premier procès à Riom : les gens arrivaient à 6 heures du matin pour être sûrs d’avoir une place. Au Puy-en-Velay c’était un peu moins vrai. A Lyon, le public est venu progressivement. Cette dernière semaine les gens venaient tôt. Il y avait aussi de nombreux étudiants en droit ». Ce procès a été moins traité par la presse nationale qu’il ne l’avait été par le passé. Les chroniqueurs habituels étaient à Paris pour le procès Sarkozy. Mais les articles consacrés au récit des débats ont intéressé le public. Caroline Girardon souligne : « Les premiers papiers ont marché moyennement. Mais dès que j’ai commencé à faire des papiers avec des angles, ils ont cartonné. Les lecteurs se sont rués dessus, si on peut parler de la sorte. Par exemple, le papier sur « Les troublantes recherches Internet du couple » a le plus marché, avec 311 000 vues. Le premier papier a fait 24 000 vues, mais par la suite, le deuxième a fait 115 000 vues ».
Une fascination malsaine ?
La journaliste ne qualifie pas pour autant cette fascination de malsaine. Elle précise : « Je ne sais pas si on peut qualifier cette fascination de malsaine parce que derrière ce mot, il y a un jugement de valeur. En général, il y a une fascination des lecteurs, des auditeurs, des spectateurs pour les faits divers. Ca ne date pas d’aujourd’hui. Cela renvoie à des schémas de société. Mais sur l’affaire Fiona, je pense que cela fascine autant parce que cela concerne un enfant. Quand un fait divers concerne un enfant et la mort d’un enfant, les gens se sentent peut-être plus concernés et sont plus touchés. Il y a un côté émotionnel plus fort. Fiona est une petite fille de 5 ans que l’on n’a jamais retrouvée. On ne sait pas ce qui s’est passé. Son corps n’a pas été retrouvé. Il y a une indignation de la part du public de savoir que cet enfant ne sera jamais retrouvé et n’aura pas de sépulture. Personne ne connaît la vérité et les gens veulent la découvrir ».
Un paralèlle avec l'affaire Daval
Elle ajoute : « Ma deuxième hypothèse, qui est en relation avec l’affaire Daval, est que cette histoire fascine parce que Cécile Bourgeon a menti pendant des semaines voire des mois, à toute la société, à l’opinion publique. Les gens ont compati au début. Ils ont eu l’image d’une mère à qui on venait de kidnapper son enfant. Les gens qui ont des enfants se sont identifiés à elle. Plus tard, ils n’ont pas accepté d’être trahis. Il y a ce côté colère que l’on voit très bien sur les réseaux sociaux, sur les commentaires des papiers ». Le parallèle avec l’affaire Daval, cette femme assassinée par son mari Jonathann, Caroline Girardon n’est pas la seule à le faire. Valérie Riffard, journaliste à France 3 Auvergne, se l’autorise également : « Ce qui vraiment fait toute la différence, un peu comme avec l’affaire Daval, c’est le mensonge. Il y a aussi des questions sans réponse comme dans l’affaire Dupont de Ligonnès. Fiona on ne sait pas où est son corps. Pour le premier procès à Riom, les gens étaient là pour crier leur haine. Ils reprochent plus à Cécile Bourgeon d’avoir menti que d’avoir tué sa fille ».
Un procès hors normes
Pour la journaliste de 20 minutes, cette affaire revêt un caractère hors normes : « Ce procès avait une saveur particulière. Cette affaire a été très médiatisée. Il y a toujours un mystère. A l’issue de ce procès on ne sait toujours pas comment Fiona est morte. On ne sait pas non plus quel jour elle est décédée. On ne sait pas où elle est aujourd’hui. Les gens avaient vraiment bien suivi l’affaire, ils connaissent les détails sur le bout des doigts. Ils se sont forgé une intime conviction. Ce procès marquera l’histoire car pour le première fois depuis 7 ans et 4 procès, Cécile Bourgeon est condamnée plus lourdement que Berkane Makhlouf ».
Un procès est un grand théâtre
Valérie Riffard confirme : « Un procès est un grand théâtre. Dans cette affaire, il y aussi le casting. La personnalité de Cécile Bourgeon, celle des avocats, rentrent en considération. Il s’agit d’un fait divers dans une ville de province, de la disparition d’un enfant. Il y a ce mensonge et cette femme que personne n’arrive à cerner, malgré 4 procès ». Elle ajoute : « J’ai discuté avec des dames du public. Ce n’est pas tant du voyeurisme mais qu’essayer de trouver des réponses, comprendre. Il y a aussi un côté « on va voir le monstre » mais les gens reviennent, ils ont besoin d’écouter pour comprendre ».
Le point de vue d'une psychologue
Delphine Bourguier-Robillard est psychologue au CHU de Clermont-Ferrand. Elle travaille à la cellule d’urgences médico-psychologiques sur la question des traumatismes psychiques et dans un service de psychiatrie pour des jeunes adultes en situation de crise. Elle indique : « Ce qui rassemble les faits divers est un caractère de monstruosité de la situation qui vient dans notre quotidien. On cherche à se dire que ça n’existe pas ou que c’est loin de nous. Ces faits divers viennent se pointer comme des faits de réalité : ces actes qui peuvent nous sembler inhumains viennent briser notre tranquillité. C’est quelque chose à la fois qui fait peur, qui génère de l’angoisse, qui engendre une curiosité un peu culpabilisante, parce que c’est horrible. Mais on a envie de le connaître pour essayer de mieux le cerner car ça échappe à notre représentation et à notre façon de vivre en sécurité dans notre monde. On essaie d’approcher cette situation dramatique pour lui donner un sens et éloigner la monstruosité de nous. Ca nous permet de trouver des façons de nous en protéger ».
Une identification possible
La psychologue enchaîne : « L’affaire Fiona est dans le contexte de la disparition et de la mort d’une enfant. Ca touche a une très jeune enfant, qui est le symbole de la naïveté. L’enfant est le petit être en devenir que l’adulte doit protéger. Il y quelque chose qui vient briser ce schéma habituel, avec une identification large pour le public. Chacun peut penser soit à ses propres enfants, soit à ses neveux et nièces, soit à ses petits-enfants ». La dimension mystérieuse de cette affaire renforce son intérêt. « L’affaire Fiona est aussi marquée par beaucoup d’incertitudes et d’inconnues. Que ce soit au tout début, avec la question de ce qu’il lui est arrivé, elle a disparu mais on ne sait pas comment s’est déroulée la mort, malgré les différents procès. Il y a une large zone de doutes qui persiste et ces doutes alimentent les fantasmes et l’envie de comprendre ce que l’on voudrait souhaiter impossible » indique Delphine Bourguier-Robillard.
Des victimes qui deviennent bourreaux
Elle affirme : « Cette affaire a été à rebondissements, on a presque l’impression de se retrouver dans une série télé. Ca engendre des réponses émotionnelles face aux faits énoncés et les principaux « acteurs » changent littéralement de statut : au début ils sont plus du côté de victimes, pour lesquelles on peut avoir de la compassion, des élans de solidarité et une identification forte et ils deviennent des bourreaux. On peut ressentir de la culpabilité de les avoir soutenus ou d’avoir pu les plaindre. Il y a comme un sentiment de trahison par le mensonge qui a été clamé, montré. Cela engendre de la colère voire de la haine ».
Des contes modernes
La psychologue évoque le thème de la fascination qu’exercent les faits divers sur nous : « Cette question de la fascination pour l’horrible est plus ou moins forte chez les gens. Mais elle est présente chez tout le monde. Personne ne peut dire qu’il est à l’abri de la question de la fascination. Après, peut-être que certains ont besoin de voir cette blessure réparée, sur ce sentiment d’avoir été trahi. Ils veulent vérifier que l’ordre des choses a été rétabli, que les méchants vont payer ». Pour certains psychiatres, les faits divers constituent des contes de Grimm modernes. Delphine Bourguier-Robillard acquiesce : « Dans les contes, on évoque nos peurs et nos angoisses les plus profondes et les plus infantiles. Ca peut agir comme ça avec les faits divers ». Ainsi, les faits divers nous tiennent en haleine, par le surgissement de l’extraordinaire dans l’ordinaire. L’affaire Fiona, qui connaîtra sans doute un 5e procès, en cassation, n’en finit pas de nous fasciner.