C'est un laboratoire unique en Auvergne qui ne se visite que rarement. Inauguré en mars 2023, le Paléolab étudie l’ADN ancien. Il fouille dans le passé pour mieux prédire l’avenir. Un outil au service de l’agriculture, à l’heure notamment du changement climatique. Explications.
Bienvenue dans le monde de l’infiniment petit ! Sur le site des Cézeaux, à Aubière dans le Puy-de-Dôme, un jeune laboratoire explore les vestiges du passé pour mieux préparer l’avenir. Baptisé Paléolab, ce laboratoire de l’INRAE (Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement) est dédié à l’analyse de l’ADN ancien et s’appuie sur une collaboration renforcée avec l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives). Inaugurée en mars 2023, la structure n’ouvre ses portes qu’une fois par an. Ce jeudi 10 octobre, elle a accueilli des collégiens dans le cadre de la fête de la science. L’occasion de mieux comprendre ses activités.
De l'ADN d'une banane...
Devant le petit groupe d’élèves massés à l’entrée du laboratoire de biologie moléculaire, Carole Moreau, ingénieure, se charge de l’accueil. Mission du jour, pour les apprentis scientifiques : extraction de l’ADN d’une banane. L’affaire peut faire glousser, mais elle va permettre aux élèves de mieux comprendre le travail des chercheurs.
« Normalement, l’extraction de l’ADN se fait dans l’autre labo là-bas qui est confiné et qu’on appelle une salle blanche. Dans cette salle blanche, on a tout un système de protections. On porte une blouse, des gants, un masque, des surchaussures, une cagoule. Tout est stérilisé pour éviter les contaminants. Parce qu’en fait, nous, on travaille sur de l’ADN ancien, ce sont des petites quantités, qui sont vieilles et plus ou moins bien conservées, donc dégradées. Si on a des contaminants extérieurs d’ADN qu’on appelle moderne, ça va prendre le dessus et notre ADN ancien, on ne le verra plus », expose la chercheuse.
Les jeunes sont invités à passer sur des paillasses, tout en enfilant des gants.
« C’est bien, ça apprend de nouvelles choses parce qu’au collège on ne fait pas trop ces expériences », concède Louann.
« On ne fera peut-être ça qu’une fois dans notre vie et je trouve ça cool », confirme Mélisse.
Entre carpologie et paléogénomique, un premier aperçu sur un univers qui a son langage, ses procédés et ses protocoles.
« C’est pour leur montrer le principe de base, sans toutes les contraintes que nous on a, avec des échantillons qui sont tout petits, très précieux. Même nous, on ne s’entraîne pas dessus », glisse en riant Carole Moreau qui détaille davantage les missions du laboratoire, spécialisé dans l’étude des végétaux.
... à celui du blé
« Il y a deux parties dans ce laboratoire, une partie archéologique avec des experts en détermination des restes archéologiques - ici, on s’intéresse aux plantes. Les carpologues trient les fouilles, recherchent les petits bouts de plante qui sont retrouvés dans ces fouilles, les isolent, les identifient et nous les donnent pour qu’on extrait l’ADN dessus ».
Un travail en lien principalement avec l’agriculture, notamment le blé, pour mieux comprendre l’adaptation des espèces.
« C’est important de comprendre l’évolution de cette plante, comment elle a été amenée jusqu’à nous et comment son génome a évolué, comment ça s’est adapté éventuellement à l’environnement. On sait que pendant ces longues périodes, il y a eu des changements climatiques. Analyser l’ADN, les allèles (ndlr, les différentes formes que prendre un gène) et les gènes qui ont existé dans le passé, nous permet de comprendre si la plante s’est adaptée ou non à son environnement, en fonction aussi de l’interaction avec les humains, ce qu’ils ont sélectionné, semé. On sait qu’on rentre dans une période de réchauffement et donc on peut essayer de comprendre comment le blé s’est adapté dans le passé pour voir ce qu’il va falloir faire dans le futur, par exemple changer de variété », poursuit Carole Moreau, ingénieure de recherche à l’INRAE.
Six scientifiques travaillent dans les locaux du Paléolab, un outil qui s'appuie sur un financement FEDER-Région AURA et ANR (Agence Nationale de Recherche).
« Pour la fête de la science, on a décidé de présenter un peu les différentes activités qu’on fait au quotidien dans ce laboratoire (…) Ici, on travaille beaucoup sur les céréales, mais en fait moi je travaille sur toutes les espèces que je trouve. Dans les prélèvements que j’étudie, qui sont des prélèvements en majorité conservés dans l’eau, donc humides, il y a toutes sortes d’espèces, cultivées comme sauvages. Mon travail, c’est d’identifier cette multitude d’espèces pour savoir comment était constitué le paysage, comment il a évolué au cours du temps, qu’est-ce que les gens cultivaient à différentes époques. Ca permet d’en savoir plus sur le passé, comment le paysage agraire a changé et quelles étaient les habitudes alimentaires des différents peuples, en termes aussi de sépultures, de traditions liées à la mort car les restes végétaux peuvent être laissés en offrande aux morts », explique Marie Lelièvre, doctorante à l’Université Clermont Auvergne.
Un temps d’échange qui permettra peut-être aussi de préparer l’avenir en suscitant des vocations.
Propos recueillis par Romain Leloutre pour France 3 Auvergne