Découvrez comment l’aspirateur à nuages unique du puy de Dôme aide les scientifiques à étudier la composition et l’impact des nuages sur notre climat.
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C’est un instrument unique en France. A quelque 1465 m d’altitude, au sommet du puy de Dôme, non loin de Clermont-Ferrand, des scientifiques capturent les nuages sur le toit de la station d’observation. Depuis une vingtaine d’années, ils utilisent un aspirateur à nuages. Laurent Deguillaume, physicien à l’Observatoire de Physique du Globe de Clermont-Ferrand (OPGC) et au Laboratoire de Météorologie Physique (LaMP) passe sa vie la tête dans les nuages. Il explique : « L’aspirateur à nuages a été créé pour récupérer les gouttelettes qui sont en suspension dans l’atmosphère et qui constituent ce beau milieu qu’est le nuage. Il fonctionne sur un principe simple : on aspire les nuages et on collecte les gouttelettes en les faisant s’impacter sur des plaques métalliques. Elles coulent par gravité le long des plaques, et sont ensuite récupérées dans une petite bouteille. On récupère le nuage sous une forme très différente de ce qu’il est originellement ».
Une formation complexe
Le physicien raconte comment se forment les nuages : « Le plus souvent, un nuage se forme dans l’atmosphère quand l’air se refroidit. Comme on crée une gouttelette, il faut un support solide qui permet sa formation. Ces supports solides, on parle alors de « noyaux de condensation », sont des particules d’aérosol qui servent à la formation des nuages. Ces particules sont émises dans l’atmosphère par des sources à la fois naturelles et d’origine humaine. Par exemple, les océans émettent des particules comme le sel de mer, qui aident à la formation des nuages dans l’atmosphère. Parmi les particules qui servent à la formation des nuages, il y a aussi les particules vivantes qu’on appelle aérosols biologiques : on y trouve des micro-organismes, comme des bactéries, des champignons, une grande biodiversité ».
"On s’est rendu compte qu’il y avait de la vie dans les nuages"
L’étude des nuages permet entre autres d’observer leur composition chimique ou de détecter des bactéries. Laurent Deguillaume poursuit : « On se pose beaucoup de questions sur la faculté qu’ont les nuages à récupérer, à l’intérieur d’eux, des composés chimiques qui peuvent provenir de sources naturelles ou qui sont liés aux activités humaines. On essaie de détecter la présence de ses composés et de les quantifier. L’autre grande question est la suivante : on s’est rendu compte qu’il y a de la vie dans les nuages, des micro-organismes qui peuvent provenir de différentes sources comme la végétation, les sols, ou encore les océans. De plus, ces microorganismes peuvent être vivants. On suspecte le fait qu’ils puissent avoir une activité et modifier le milieu dans lequel ils vivent ».
Des micro-organismes qui s'adaptent à leur milieu
Les scientifiques cherchent à percer le mystère de la composition des nuages : « Dans les nuages, il n’y a pas que de l’eau liquide. On retrouve dans ce milieu une quantité de molécules chimiques extrêmement variées. On détecte des composés chimiques qui proviennent de la végétation mais aussi beaucoup de composés émis par les activités humaines. Nos outils de laboratoire ont permis de détecter des milliers de molécules différentes dans ces nuages. On essaie de comprendre d’où elles viennent et comment ces composés, quand ils sont dans les nuages, sont transformés, notamment par la lumière. Par ces transformations, ces composés pourraient devenir moins toxiques ou plus toxiques. On se rend compte également que les micro-organismes des nuages ont la capacité à s’adapter à ce milieu relativement extrême. Par exemple, ils synthétisent des pigments, leur permettant de se prémunir du froid et du rayonnement du soleil. Une partie importante de ces micro-organismes sont vivants. Nous avons également montré qu’ils ont une activité métabolique car ils consomment et produisent des éléments : ils pourraient modifier le milieu dans lequel ils existent ».
La difficulté de réaliser un bon prélèvement
En moyenne, les chercheurs de l’OPGC effectuent environ 15 à 20 prélèvements par an. A chaque fois, ils relèvent un véritable défi pour obtenir un bon prélèvement : « Ce n’est pas facile de récupérer un nuage. Il ne faut pas qu’il y ait trop de vent car s’il y en a trop, nous n’arrivons pas à récupérer les gouttelettes. Il ne faut pas qu’il pleuve car le prélèvement sera un mélange de pluie et de nuage et il sera difficile d’interpréter nos données. Il ne faut pas qu’il fasse trop froid car de la glace peut se former sur l’aspirateur à nuages et empêcher la collecte du nuage. Enfin, il faut aussi des personnes disponibles pour pouvoir faire le prélèvement. Au puy de Dôme, dans un nuage, un m 3 d’air, soit 1 000 litres d’air, contient seulement entre 0,2 et 0,8 g d’eau. C’est une quantité extrêmement faible. Si on veut récupérer beaucoup d’eau liquide des nuages, il faut aspirer énormément d’air, des dizaines et des dizaines de m 3. Ici, avec nos aspirateurs à nuages, nous pouvons récupérer en une heure environ quelques centaines de millilitres d’eau de nuage ».
L’aspirateur à nuages est unique : « C’est le seul endroit en France où l’on peut récolter des nuages au sommet d’une montagne. En Europe, aux USA et en Chine, des collègues scientifiques ont développé le même type d’activité. Ils développent des collecteurs à nuage similaires aux nôtres. Toutefois, le puy de Dôme est le seul endroit dans le monde où les nuages sont aspirés de façon systématique, depuis maintenant une vingtaine d’années. Nos collègues organisent plutôt des campagnes de mesures, sur quelques semaines ». Cet aspirateur n’a pas été placé au sommet du puy de Dôme par hasard. En effet, à cette altitude, nous pouvons nous trouver dans la troposphère libre.
Au sommet de cette montagne, à 1465 m d’altitude, on ne mesure pas la résultante de ce qui vient de Clermont-Ferrand ou de ce qui est autour de la montagne. C’est la signature d’un air qui a voyagé sur de très grandes distances.
Laurent Deguillaume, physicien
Et le scientifique de poursuivre :
«Si l’air analysé vient plutôt de l’Ouest, nous observons une signature marine de l’océan Atlantique. Pour de l’air qui vient plutôt du Nord, nous pourrons possiblement détecter des émissions des milieux urbains, comme la région parisienne. Si de l’air vient du Sud, il peut avoir voyagé au-dessus du Sahara et de la région méditerranéenne et peut donc transporter des poussières. La force de cet observatoire est de réceptionner un air dont la variabilité de la composition et de l’origine est extrêmement importante ».
Des questions liées au réchauffement climatique
L’an dernier, les scientifiques ont même été capables de réceptionner des particules et gaz émis par les feux de Gironde. Ils ont permis de suivre le panache de composés chimiques émis par ces feux. Les mesures qui s’effectuent au sommet du puy de Dôme permettent aussi aux scientifiques de s’interroger sur les effets du réchauffement climatique. Le physicien précise : « Si on regarde le dernier rapport du GIEC, il y a bien sur le constat des acteurs du réchauffement climatique. Les résultats scientifiques démontrent clairement que les gaz à effet de serre sont des acteurs majeurs du réchauffement climatique. Parmi les acteurs de la modification du climat, il y a également les particules d’aérosols. Globalement, les résultats montrent qu’elles sont plutôt refroidissantes. Une incertitude majeure demeure sur le rôle des nuages, agent réchauffant ou refroidissant. C’est beaucoup moins clair. Car il est très difficile d’étudier les nuages et car les modèles qui simulent la machine climatique ne permettent pas encore de représenter de façon réaliste les nuages ».
Des bactéries résistantes aux antibiotiques présentes dans les nuages
En avril dernier, grâce aux prélèvements effectués avec l’aspirateur à nuages du puy de Dôme, des chercheurs ont mis en évidence la présence de bactéries résistantes aux antibiotiques : « Sur un certain nombre de bactéries qu’on a identifiées dans les nuages, certaines présentaient des résistances aux antibiotiques. L’atmosphère pourrait être un milieu de dispersion de ces micro-organismes. Cela nous interroge fortement sur l’enjeu sanitaire que cela représente». Avec ce recul de plus de 20 années à collecter des nuages, les scientifiques ont même exporté leurs compétences sur l’île de la Réunion. Laurent Deguillaume insiste : « Les nuages se forment sur les pentes du relief de l’Ile. Nous avons effectué les mêmes types de mesures qu’au puy de Dôme. De nombreux micro-organismes détectés dans les nuages sur cette île sont aussi présents dans les nuages du puy de Dôme. Bien sûr nous avons aussi détecté des micro-organismes émis spécifiquement depuis la végétation de l’île ».
>>> Des bactéries résistantes aux antibiotiques traquées dans les nuages auvergnats
Des recherches passionnantes
Laurent Deguillaume a les yeux indéniablement tournés vers le ciel : « Le plus passionnant est lié au challenge de récupérer les nuages. Car ce n’est pas trivial. C’est un travail complexe. Beaucoup de conditions sont requises pour avoir un beau prélèvement. C’est un milieu encore inexploré. Il y a du travail pour encore les 200 prochaines années ! ». Avec cet aspirateur à nuages, le scientifique va continuer longtemps à tutoyer les cumulus et les stratus.