A partir du 21 juin, les élèves de terminale vont passer une nouvelle épreuve du bac : le Grand oral. Dans l’académie de Clermont-Ferrand, des lycéens et des professeurs dénoncent un manque de préparation. Le rectorat ne l’entend pas de cette oreille.
C’est la grande nouveauté du bac 2021. A compter du 21 juin, les élèves de terminale vont plancher sur une épreuve inédite, le Grand oral. L’examen dure 20 minutes et comporte 3 parties. Le candidat doit d’abord répondre à l’une des 2 questions qu’il a préparées pendant 5 minutes. Suivent ensuite 10 minutes de questions réponses avec les examinateurs. Enfin, le candidat à 5 minutes pour parler de son orientation. L’épreuve compte pour 10 % de la note du bac. L’objectif du Grand oral est ambitieux : « Le Grand oral vous forme à prendre la parole en public de façon claire et convaincante. Cette épreuve permet aussi d’utiliser vos connaissances (celles qui sont liées à vos spécialités) pour créer une argumentation et montrer en quoi elles sont essentielles pour votre projet de poursuite d'études, et même votre projet professionnel » selon les textes officiels.
Certains lycéens sont inquiets
Dans l’académie de Clermont-Ferrand, certains élèves et mêmes certains professeurs redoutent cette nouvelle épreuve. Ils pointent du doigt un manque de préparation. Paul, élève au lycée Lafayette de Clermont-Ferrand, explique : « Cela dépend des établissements, mais globalement les élèves n’ont pas été suffisamment préparés à cette épreuve, notamment dans le public. Avec les demi-jauges, les élèves ont planché sur les connaissances mais n’ont pas pu travailler les méthodes. De plus, les professeurs ont eu les consignes pour le Grand oral il y a seulement 2 semaines. Ca a été le flou pour cette épreuve jusqu’à assez tard, même si ça s’arrange un peu. Les élèves les plus timides sont très inquiets et les autres comptent sur la bienveillance des professeurs ». Célien, élève au lycée Lafayette de Clermont-Ferrand, partage cette inquiétude : « Les élèves n’ont pas eu le temps de s’entraîner. L’épreuve ne peut pas se passer normalement. Il faudrait conserver la note seulement si elle est bénéfique pour l'élève, comme un bonus en quelque sorte. On veut le maintien des épreuves pour que les élèves puissent au moins s’entraîner pour plus tard ».
La question du barème
Certains syndicats d’enseignants dénoncent des consignes d’évaluation floues. Patrick Lebrun, secrétaire académique SNES-FSU, indique : « Il y a eu différentes formations mises en place au niveau académique, en plusieurs étapes. Cela a été piloté par des inspecteurs pédagogiques régionaux (IPR) de différentes disciplines. Sauf que quand on croise les données, les informations qui sont fournies ne sont pas identiques selon les formations et sont très floues. On a une grille d’évaluation indicative sans aucun barème. C’est extrêmement gênant car il faut une évaluation globale de la personne. Il y a 5 items : la qualité orale de l’épreuve, la qualité de la prise de parole, la qualité des connaissances, la qualité de l’interaction et la construction de l’argumentation ». Il poursuit : « On a eu des formations et on a posé des questions. On m’a dit qu’il n’y avait pas de barème donc ça va produire entre jurys des notations très différentes et il n’y aura pas de jury d’harmonisation. Comme il n’y a pas de barème, il faut une notation globale. Un des IPR m’a dit qu’il fallait objectiver le ressenti. C’est antinomique. Les évaluations seront très complexes à réaliser. On demande de la bienveillance mais ça ne fait pas tout. L’égalité entre les élèves ne sera pas du tout respectée. On n’a pas été préparés. Institutionnellement, on a reçu des formations mais en réalité, il n’y a rien du tout dedans ».
Quelqu’un qui brasse du vide, avec une très bonne expression orale, peut avoir une bonne note
Patrick Lebrun demande la neutralisation de cette épreuve : « Ces élèves ont passé 2 années dans un contexte de confinement ou en demi-jauge. Les élèves n’ont pas suivi 2 années scolaires complètes. On a découvert les modalités de cette épreuve en cours d’année. On a été formés jusqu’à mercredi dernier. Comment voulez-vous qu’on prépare les élèves ? Ce n’est pas sérieux. A minima cette épreuve doit être neutralisée cette année. Il y a aussi un problème structurel car on évalue la forme. Il ne faut pas simplement évaluer la qualité oratoire d’un élève. Quelqu’un qui brasse du vide, avec une très bonne expression orale, peut avoir une bonne note ».
Un petit oral
David Aliguen, cosecrétaire CGT Educ’action 63, explique que cette épreuve a été surdimensionnée : « Il y a eu très peu de préparation et ça fait des mois qu’on a alerté le ministère. Les élèves et leurs professeurs devaient préparer le Grand oral, qui au final avec 20 minutes dont 5 minutes de présentation, est plutôt un petit oral. On essaie de nous faire croire que c’est un oral qui vient consacrer un cycle secondaire et va entraîner les élèves en vue d’intégrer l’enseignement supérieur. Mais quand on regarde les moyens mis en œuvre, les heures, la formation, on voit que ça a été très faible. Les collègues ont privilégié l’acquisition de connaissances et c’est bien normal. Les collègues essaient tant bien que mal avec les élèves de construire les questions mais sans véritable formation. On sait que l’aisance orale ne s’apprend pas toujours à l’école. Ils essaient avec une formation accélérée d’accompagner au mieux leurs élèves mais chacun se rend compte que c’est une vaste supercherie ».
Les consignes d’évaluation sont floues
Lui non plus ne comprend pas l’absence de barème pour la notation : « Les consignes d’évaluation sont floues. Le danger est d’avoir une certaine liberté dans l’interprétation des compétences orales. Le Grand oral n’est pas considéré comme une épreuve disciplinaire mais rhétorique. L’élève doit montrer qu’il est à l’aise à l’oral, présenter un certain nombre de connaissances de manière claire et structurée. Mais l’enjeu est d’évaluer un ensemble de postures, de gestes, de manière de parler qui sont des critères difficilement objectivables. Le risque est d’avoir des inégalités entre les élèves, avec de grosses conséquences, car le Grand oral compte pour 10 % de la note du bac ». Son syndicat exige aussi la neutralisation de l’épreuve : « Du point de vue de notre syndicat, vu le contexte sanitaire troublé, il était évident qu’il était impératif pour les enseignants de demander la neutralisation du Grand oral. Les élèves et leurs professeurs ne savent pas forcément ce qu’on attend en termes de préparation et d’évaluation ». Davide Aliguen en vient presque même à regretter les TPE, travaux personnels encadrés, avant la réforme du bac.
Des parents qui s'interrogent
Certains parents d’élèves sont également inquiets. Hervé Raquin, président de la PEEP de Clermont-Ferrand, indique : « Sur les retours qu’on a eu de parents, on pense que la préparation a été insuffisante. On a du mal à croire que les élèves puissent être suffisamment préparés. Tout s’est accéléré après les vacances d’avril, alors qu’il aurait fallu préparer les élèves beaucoup plus tôt. Certains élèves sont plus ou moins inquiets à l’idée de passer cette épreuve. Ca a été une année très compliquée avec les cours en demi-jauge. On espère que l’égalité des chances sera respectée. D’après les différents échanges avec les parents et les professeurs, on a du mal à se dire que les chances seront les mêmes ».
Une formation en 3 temps
Du côté du rectorat, on bat d’un revers de la main cet argument de la préparation insuffisante des professeurs. Nicolas Rocher, doyen des inspecteurs pédagogiques régionaux, souligne : « Il y a d’abord eu une préparation lorsque les enseignants ont été formés aux programmes des disciplines concernées. Cela a pu commencer dès l’an passé. Puis, dans l’académie, il y a eu des sessions de formations spécifiques au Grand oral. On a mis en place un plan de formation en 3 temps. Cela a commencé dès le mois de septembre. Tous les lycées de l’académie, publics et privés, ont reçu la visite d’un binôme d’inspecteurs pour présenter le cadre de cette épreuve, son fonctionnement, pour que les professeurs puissent avoir une vision clarifiée. Les 50 lycées de l’académie ont eu ce temps d’information. Tous les professeurs des enseignements de spécialité ont été accompagnés, ainsi que les professeurs principaux et les professeurs documentalistes. Ensuite, les professeurs ont été accompagnés pour, pédagogiquement, travailler l’oral. Ils ont vu comment travailler les compétences de l’oral, comment aider un élève à prendre la parole, comment faire le choix entre les connaissances principales et secondaires. On a pu leur montrer des exemples de débats, d’interviews et d’exposés. Les enseignants ont aussi appris à aider leurs élèves à maturer leur projet personnel. Ces temps de formation se sont faits en novembre-décembre et en janvier-février. On a convoqué 1 100 personnes dans notre académie. Ces réunions ont eu lieu sous la forme de 50 classes virtuelles. Enfin, il y a eu un troisième temps pour former les 600 jurys, toujours sous forme de classes virtuelles, pendant 2 heures à 2 heures et demies, pour expliquer les préconisations académiques sur la manière de noter le plus juste et le plus homogène possible. Ces formations viennent de s’achever ».
On ne va pas noter au doigt mouillé ou à la tête du client
Le doyen des inspecteurs pédagogiques régionaux ne pense pas que les consignes d’évaluation sont floues : « Le fait qu’il n’y ait pas de barème est un axe très fort de cette épreuve. Il n’y a pas de barème au sens où il n’y a pas l’idée que telle réponse vaut tant de points. On a un certain nombre de disciplines, notamment scientifiques, qui sont très habituées à avoir des barèmes très précis. A l’intérieur des 3 temps de l’épreuve, la note doit être globale. Il faut que le jury ait une vision d’ensemble de la prestation de l’élève. Le problème avec les barèmes est qu’ils fragmentent les attentes. Là, pour donner toutes les chances à l’élève, il n’y a pas de barème avec un nombre de points précis. De plus, les textes disent que les professeurs ont une grille pour évaluer, des éléments pour savoir si l’oral est réussi ou pas. Cette grille donne 5 champs à observer, parmi lesquels la bonne convocation des connaissances, la qualité de l’argumentation et la qualité du dialogue avec le jury. On ne va pas noter au doigt mouillé ou à la tête du client. Il y aussi le regard croisé des jurys pour faire l’évaluation ».
Une égalité des chances préservée
Pour Nicolas Rocher, l’égalité des chances des candidats, quel que soit l’établissement, est respectée. Il tient à rassurer les parents d’élèves : « Le manque d’égalité des chances pourrait avoir lieu si on avait des jurys qui viendraient avec une appréhension très hétérogène de l’épreuve. En l’occurrence, dans notre académie, on a tenu à ce que les jurys aient un moment de formation spécial pour que les manières de noter entre profs subissent le moins d’écart possible. Les jurys ont été accompagnés sur les contenus, au fur à mesure de l’année. De plus, on sait qu’avec le COVID, les élèves ont été sur un rythme d’alternance entre la présence et la distance. Certains parents se posent la question de l’hétérogénéité de l’accompagnement des jeunes pendant l’année et je les comprends. Il a été précisé que toutes les parties du programme qui n’auraient pas pu être traitées pendant l’année seront écrites sur un procès-verbal. Le candidat donne au jury les 2 questions sur lesquelles il peut être interrogé et la liste des points du programme qu’il n’a pas pu travailler. Cela peut rassurer les parents ». Les épreuves du Grand oral doivent débuter le 21 juin, pour se terminer le 2 juillet.