Chaque année, près de 300 bébés naissent prématurément au CHU de Clermont-Ferrand et sont pris en charge par le service de réanimation néonatale. Un service où chaque jour est une lutte pour donner la meilleur vie possible aux bébés venus au monde trop tôt.
En réanimation néonatale, au CHU de Clermont-Ferrand, Ibrahim pèse à peine 650 grammes. Né prématurément, il est dans une couveuse fermée. Cet enfant de 2 semaines est l’un des patients pris en charge par ce service de réanimation néonatale. Il propose une réanimation de l’enfant à partir de 24 semaines de grossesse. Une grossesse normale dure entre 40 et 42 semaines. « A partir de 24 semaines et 500 grammes, l’enfant est dit « viable ». Ça reste une zone grise pour nous. Jusqu’à presque 26 semaines, il y a des réunions de concertation entre les obstétriciens, les pédiatres et les parents pour élaborer le projet de la prise en charge de cet enfant, savoir si on réanime, jusqu’à quel point, comment on prend en charge l’enfant et la maman », explique le docteur Nadia Savy, cheffe du service.
Différents stades de prématurité
Jusqu’à 27 semaines, il s’agit d’une extrême prématurité, entre 28 et 32 semaines, on parle de grande prématurité, et de 32 à 36 semaines, de la prématurité modérée. A 37 semaines, l’enfant est considéré à terme. Mais ces chiffres sont à prendre avec du recul : « Le nombre de semaines en lui-même n’est pas suffisant pour déterminer le pronostic d’un enfant. Un enfant né à terme avec une malformation cardiaque lourde a un pronostic moins bon qu’un enfant qui est né 2 semaines avant le terme et qui n’a pas de problème de santé. Des facteurs associés vont participer comme la croissance pondérale de l’enfant. Un bébé qui, à 30 semaines, fait 1,5kg et un bébé qui fait 600 grammes n’ont pas le même pronostic. Le second facteur, ce sont les comorbidités de type infectieuses ou malformatives. Il faut également savoir s’il a bénéficié d’une corticothérapie anténatale ou pas », explique le docteur Mathieu Lang, lui aussi chef du service de réanimation néonatale.
Les corticothérapies anténatales sont des administrations de corticoïdes à la maman pendant la grossesse, lorsqu’il y a un risque de prématurité : « Cela améliore le pronostic des enfants prématurés de façon extrêmement importante », ajoute le docteur Lang.
Des séquelles à court et long terme
Les pronostics sont eux-mêmes classés en diverses catégories : survie, survie sans séquelles lourdes, survie avec séquelles modérées et survie avec séquelles très faibles. « Ces séquelles sont perçues différemment. On compte dans les séquelles légères tous les troubles de l’apprentissage, la surdité, la déficience visuelle, ce qui, à l’échelle individuelle, peut représenter des difficultés importantes », précise le docteur Savy. En effet, les conséquences possibles de la prématurité sont multiples : « Aux limites de la viabilité, presque tous les organes sont finis mais tous ne sont pas fonctionnels. Le premier problème est pulmonaire. Les grands prématurés sont des enfants qui ont des difficultés pour respirer du fait d’un système pulmonaire qui n’est, lui, ni fini ni fonctionnel. Ça nécessite une aide respiratoire, soit non invasive avec un masque, soit sous une forme plus invasive qui nécessite d’intuber l’enfant », raconte le docteur Lang.
Des enfants dépendants du lait maternel
Mais ce n’est pas tout : « En suivant, il y a des problèmes de tolérance digestive qui peuvent mettre leur vie en danger voire même tuer l’enfant. Le troisième problème est l’hémorragie cérébrale, en lien avec l’instabilité de l’enfant. Les grands prématurés sont plus à risque d’avoir des hémorragies qui peuvent engendrer des séquelles », explique le docteur Lang. Le docteur Savy en profite pour appeler au don. En effet, cette faible tolérance digestive fait que la plupart de ces nourrissons sont dépendant du lait maternel et certains ont besoin de dons de lait : « La nourriture dont on ne peut pas se passer pour les prématurés de moins de 34 semaines, c’est le lait maternel. Le lait vient de leur maman ou de dons de femmes. C’est vraiment un enjeu car c’est la seule alimentation qu’ils sont capables de recevoir. On manque cruellement de lait de femme. »
"Lorsqu'on est dans l'incertitude, on est obligés de faire le pari, en concertation avec les parents, de poursuivre le processus et de voir ce qu’il se passe."
Dr Lang, chef du service de réanimation néonatale
Les séquelles sur le long terme sont, elles, multiples et varient en fonction du stade de développement de l’enfant et d’autres facteurs, comme les complications : « Ca va de tout à rien. On peut n’avoir aucune séquelle. Les conséquences physiques vont d’une dyslexie à un enfant handicapé moteur et cérébral, sourd, aveugle et nourri par un tube. On a les troubles de la vue, de l’audition, les troubles psychiatriques et neurologiques, troubles moteurs, difficultés alimentaires, troubles digestifs, troubles osseux, on peut avoir à peu près tout », indique le docteur Lang. Il est impossible de savoir quelles seront les séquelles exactes : « On peut savoir à très court terme ou dans les situation extrêmes. Par exemple, en cas d’hémorragie cérébrale massive, on sait que ce ne sera pas compatible avec une vie de qualité. Pour les autres, on a assez peu d’éléments pronostics très fiables. »
Des causes diverses
Pour ce qui est des causes, la prématurité peut être liée à la santé de la maman comme à celle de l’enfant, indique le docteur Lang : « Les causes maternelles sont multiples. Une maman peut avoir le col utérin qui ne tient pas et la béance va engendrer une naissance prématurée. On a tout ce qui va être pré éclampsie, toutes les maladies de grossesse qui vont faire que la naissance va être nécessaire. Certaines infections aussi, notamment la grippe, qui est dangereuse pour les femmes enceintes. On a, une ou deux fois par an, des mamans qui finissent en réanimation car elles ont attrapé la grippe pendant leur grossesse et qui parfois en décèdent. On est obligé de faire naître l’enfant car la maman est en danger ou l’enfant est en danger. »
Les causes liées au bébé sont des retards de croissance, les infections de la poche des eaux… Certains facteurs extérieurs peuvent aussi modifier le cours de la grossesse, selon Nadia Savy : « Ça va du déménagement à l’accident de voiture en passant par des conditions socio-économiques défavorables. Quand vous êtes en situation de précarité vous avez plus de risques d’avoir des enfants prématurés. Si vous avez déjà eu des enfants prématurés également, si vous avez des grossesses rapprochées, si on est trop jeune ou trop âgée… » Les déplacements quotidiens peuvent eux aussi avoir des conséquences sur la grossesse, comme l’explique le docteur Savy : « Pendant la période de confinement, on a vu une régression claire des naissances prématurées, ce qui montre un lien entre le fait de se déplacer et la prématurité ».
On regarde les chances de survie et d’offrir une vie de qualité.
Dr Savy, cheffe de service en réanimation néonatale
En cas d’extrême prématurité, les débats s’engagent, toujours en concertation avec la famille : « On se pose la question de ce qu’on va proposer au bébé et à sa famille. On regarde le terme, le poids estimé, la cause de la prématurité, la préparation et on discute avec les parents de tout ça. On leur explique les risques et les bénéfices pour l’enfant mais aussi pour la maman», indique le docteur Savy. En effet, la prise en charge dépend également des parents : « La perception du handicap est très différente selon les familles et les sociétés. Certaines familles peuvent percevoir des difficultés d’apprentissage comme un gros handicap, alors que d’autres non. On a des gens qui disent que même si leur enfant est lourdement handicapé ils veulent le garder, et des gens pour qui l’incertitude est insupportable et qui ont tellement peur que leur enfant souffre qu’ils ne veulent pas qu’il vive. L’acceptation du handicap varie selon les gens mais l’incertitude bénéficie toujours à l’enfant. On explique à des gens qui ne veulent pas d’un enfant handicapé que, comme on n’est pas sûrs que l’enfant sera handicapé, on continue les soins », ajoute le docteur Lang.
Travailler avec les familles
Malgré cela, dans ce service, la volonté des parents est toujours prise en compte et leurs demandes, accompagnées : « On essaie toujours d’être en conciliation avec les parents, sinon ça ne marche pas. On est obligés de travailler main dans la main. C’est eux qui, à terme, auront l’enfant à la maison », rappelle le docteur Savy. Le docteur Lang ajoute : « Prendre en charge un prématuré, c’est forcément inclure la famille. Ça n’a de sens qu’autour d’une famille. On n’a pas le dernier mot. C’est une discussion où l’objectif est d’arriver à quelque chose de satisfaisant pour la famille et les soignants. Ça donne parfois lieu à de longs débats. On ne va pas forcément à la même vitesse et les parents ne peuvent pas tout entendre au même moment. On veut leur apporter suffisamment d’informations pour appréhender ce qui les attend. Contrairement à la médecine adulte, la pédiatrie ne peut pas s’affranchir de l’entourage. Ils sont partie prenante dans le service. Ils peuvent être là, 24/24h s’ils le souhaitent. On fait tout pour que les mamans puissent allaiter, pour que les fratries puissent rentrer… On fait rentrer la famille à l’hôpital. »
Des émotions fortes
Durant les longs séjours, des liens étroits se créent entre les professionnels de santé et les familles : « On rentre dans leur intimité. Quand ils sont là pendant des mois, on les voit tous les jours. On voit leur bonheur quand le bébé est stable, leur détresse et leur douleur quand le bébé ne va pas bien, les doutes, la peur de le voir mourir, l’incertitude du lendemain… On le vit avec eux au quotidien. Parfois, on leur annonce des choses inentendables. On a nos doyens, ceux qui restent très longtemps, avec qui il se crée quelque chose », raconte Mathieu Lang. Ce travail apporte son lot de satisfactions, mais aussi de doute, selon Nadia Savy : « Pour moi, les moments difficiles sont les annonces que l’on doit faire aux parents, parce que leur enfant se déstabilise, parce qu’on a reçu des résultats d’examen et que le pronostic n’est pas bon ou parce qu’on ne sait pas où on va. C’est peut être ça le plus dur, ne pas être capable de répondre aux parents et de ne pas savoir comment les orienter. Parfois aussi, on n’arrive pas à se mettre dans le même mouvement que les parents, pour savoir s’il faut arrêter ou continuer, dans un sens comme dans l’autre. C'est très dur, mais la plupart du temps, on arrive à retisser le lien de confiance et à avancer. »
Vous avez des gens dont le bébé décède et qui vous remercie, vous avez des gens dont vous sauvez le bébé et qui vous poursuivent.
Dr Lang, chef de service en réanimation néonatale
Pour le docteur Lang, « le pire, c’est la souffrance des gens. Quand vous annoncez à des parents qu’ils vont perdre leur enfant, c’est une douleur qui n’est pas mesurable. Plus que le décès de l’enfant, qu’on arrive plus ou moins à rationnaliser, la souffrance de ces familles n’a pas de limites, elle est sans fin. En revanche, je suis satisfait quand je sais que collectivement, on a donné le maximum, même si parfois le maximum c’est dire qu’on ne peut rien faire. C’est ça, les moments de doute et les moments de bonheur. » En effet, « ce sont des services où se vivent des choses très fortes », rappelle le docteur Savy. La réanimation néonatale et pédiatrique prend en charge 450 à 500 nouveaux nés, dont les 2/3 sont des prématurés. On déplore environ 40 à 45 décès par an chez les nouveaux nés, dont 25 à 35 sont prématurés.
Travailler en équipe
Avec son fonctionnement particulier, centré autant sur le patient que sur l’entourage, ces médecins ont dû adapter leur manière de travailler : « Il faut savoir travailler ensemble et accepter que parfois, on n’est pas la personne la plus compétente. L’égo n’a pas vraiment sa place. Toute personne compétente pouvant participer à la prise en charge est la bienvenue », précise Mathieu Lang. Il ajoute : « L’enjeu de la prématurité est qu’il y en ait le moins possible. On ne fait pas la course pour avoir sauvé le plus jeune ou le plus petit. Un très grand prématuré, ce n’est pas une bonne nouvelle. Quand on voit les conséquences, plus on peut l’éviter, mieux c’est. C’est comme pour le cancer. Si on fait énormément de progrès pour le soigner c’est une bonne chose, mais la plupart des oncologues préfèreraient qu’il n’y ait pas de cancer du tout. »
De belles histoires
Après avoir travaillé respectivement 8 et 15 ans au sein de ce service, Nadia Savy et Mathieu Lang ont vu de nombreuses familles, sauvé de nombreux bébés, mais certaines histoires les ont particulièrement touchés : « La belle histoire, quelle que soit la façon dont se passe l’hospitalisation, c’est quand vous avez une famille complétement intégrée au projet. Quand vous avez des enfants qui vont extrêmement mal, qui sont extrêmement précaires, mais que les parents sont là, créent un vrai lien avec leur bébé, c’est une belle histoire. Je me rappelle d’un bébé, Suzanne, il y a 15 ans. C’était la première fois qu’on avait un bébé si petit car Suzanne faisait 500 grammes. Il y a 15 ans, 500 grammes, c’était encore plus compliqué qu’aujourd’hui. Le papa de Suzanne était un très grand monsieur et elle tenait entièrement dans sa main. Et cette enfant n’a fait, au cours de son hospitalisation, aucune complication. Ce bébé de 500 grammes qu’on ne voyait pas vivre ou très difficilement, n’a fait aucune complication », se souvient le docteur Lang.
« Moi, je me souviens de l’histoire de Maël. Sa maman l’a eu à 27 semaines et moi, j’étais enceinte avec le même terme prévu. C’était une maman qui avait décidé de faire un bébé toute seule. Elle était en formation à Clermont-Ferrand mais originaire de Bretagne. Elle est restée des semaines et des semaines ici. Cette mère était super avec son bébé et on a fini par réussir à les transférer en Bretagne. On a créé du lien avec cette maman », raconte le docteur Savy.
Mais malgré ces beaux moments, et même si elle est prise en charge avec le plus grand dévouement, la naissance prématurée reste une épreuve : « C’est des phases de souffrance. La prématurité, c’est un parcours du combattant. »