L’été a été chaud, septembre aussi. Et les champignons pourraient bien être les victimes de ces températures élevées. Si la sécheresse les épargne pour l’instant, ils seront probablement bientôt en danger, selon des spécialistes.
Le dérèglement climatique a des conséquences sur toute la biodiversité et cela pourrait se ressentir dans nos assiettes plus rapidement qu’on ne le croit. Les champignons risquent en effet de souffrir du manque d’eau. Mais pour l’instant, il est difficile de faire un tableau précis de la situation, selon le mycologue Marc-André Selosse, biologiste et professeur au Muséum National d'Histoire Naturelle : “On n’a pas d'image très claire. En fait, on ne voit pas grand-chose parce que le champignon vit dans le sol, qui retient l'eau, donc il vit moins les sécheresses. C'est quelque chose d'isolant, donc il a moins froid en hiver... Pour cela, les organismes du sol seront probablement les derniers à subir les effets du changement climatique.”
Des conséquences à différents niveaux
Il tient à distinguer les différentes conséquences que pourrait avoir le changement climatique : “Il y a la question de savoir comment ils vont tous les jours et comment ils vont quand ils se reproduisent. La partie que vous voyez n'est que l'organe reproducteur. C'est la partie qui produit des spores. La question qu'on peut se poser, c'est s'ils fabriquent cette partie-là au même moment ou pas. Il y a l'autre question qui est de savoir comment vont les parties souterraines microscopiques, ce qu'on appelle les mycéliums”. Les mycéliums sont des filaments microscopiques qui sont dans le sol, qui mangent de la matière organique morte, qui parasitent des plantes ou s'associent aux racines de ces plantes et les aident à se nourrir en échange d'un peu de sucre. “C’est le cas de la truffe par exemple : c'est une interaction gagnant-gagnant, sucre contre sels minéraux venus du sol.”
Au Sud, il commence à y avoir des champignons qui souffrent et qui sont moins abondants.
Marc-André Selosse, mycologue
Le premier changement est déjà survenu, remarqué par de nombreux amateurs ; la saison commence plus tard : “Il y a des changements de date de fructification. Effectivement, dans la fructification de la partie reproductrice, il y a des évolutions de date ces dernières années. Il y a des papiers publiés qui montrent que cette évolution est un peu plus marquée pour les champignons associés aux arbres, ceux qui forment des symbioses. Cela est dû au fait que les arbres fonctionnent plus tard en saison.” La fructification se fait donc de plus en plus tard.
En France, y a à peu près 30 000 espèces de champignons. “Il y a à peu près 9 000 espèces de champignons en Auvergne-Rhône-Alpes. On pourrait imaginer qu'on en reparle dans quelques temps et on n’aura plus ce chiffre malheureusement. Il semble que beaucoup d'espèces que l'on ne revoit plus ou que l'on n'a pas vues depuis longtemps aient disparu de la région”, selon Philippe Louasse, responsable de l'Association Mycologique de Haute-Auvergne (AMHA).
Pour le professeur Selosse, cette disparition est le signe d’une migration : “Effectivement, on a des indices d'une remontée au nord. Ce n'est pas étonnant parce que les animaux font pareil. En région parisienne, on trouve de plus en plus de truffes de Bourgogne, la truffe noire du Périgord remonte en France. On commence à avoir, très au nord en France, une très belle amanite délicieuse qui est méditerranéenne, l’amanite des Césars. Les champignons suivent leur zone climatique. Au sud, il commence à y avoir des champignons qui souffrent et qui sont moins abondants.”
Les arbres, alliés des champignons, menacés
Un seconde menace plane, cette fois sur le milieu des champignons. Ils sont intimement liés aux arbres qui les abritent, selon Philippe Louasse : “De nombreux conifères, probablement, vont mourir. Idem pour les hêtres, la hêtraie, qui souffre beaucoup. Les champignons, eux, sont sous terre, donc dans un premier temps, ils n'étaient pas très impactés, mais avec les sécheresses répétées les mycéliums vont mourir. Ils ne reçoivent plus de précipitations ou très peu, ou alors des précipitations quelquefois brutales, mais qui finalement ne vont pas humidifier le sol. On peut imaginer que ces champignons vont disparaître.”
En effet, sans eau, comme de nombreux êtres vivants, les champignons sont en danger. Marc-André Selosse précise : “Je suis plus inquiet pour les plantes. C'est évident que les champignons associés aux racines des plantes souffriront, quoiqu'un peu plus tard. Les champignons décomposant les feuilles mortes en matière organique, si ce n'est pas la même matière morte qu’il y a au sol, il y en a qui vont souffrir. Si la forêt souffre, tous les champions associés à la forêt vont avoir plus de mal à se nourrir. Pour l'instant, ils sont dans le sol, ils sont en 2e ligne donc ils ne souffrent pas beaucoup. De fait, nos récoltes ne sont pas mauvaises, personne ne se plaint, sauf dans des régions où il fait très sec. Cela ne veut pas dire que tout va bien, ça veut dire que pour l'instant, moi, je suis plutôt inquiet pour les plantes.”
Une migration incertaine
Si certaines espèces s’en tireront grâce à une migration, d’autres pourraient ne pas survivre, selon Marc-André Selosse :“Il y en a qui mourront parce que ce qui se passe chez elles en ce moment commence à devenir invivable pour elles. Il y en a qui peuvent mourir s’ils ne peuvent pas coloniser assez vite les endroits où ils peuvent vivre. Toutes les espèces n’arriveront sûrement pas à migrer à temps. L'inquiétude qu'on peut avoir, c'est les espèces qui sont assez spécifiquement associées à certaines espèces de plantes, on peut craindre que si leurs hôtes n'arrivent pas à bouger assez vite, elles disparaissent aussi.” Selon l'UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), 40% des espèces d'arbres d'Europe seront en voie d'extinction en 2040. “C'est demain”, alerte Marc-André Selosse.