Dans la cantine scolaire du village de Picherande dans le Puy-de-Dôme, écoliers et retraités se retrouvent régulièrement pour déjeuner ensemble. Une "cantine des seniors" qui régale petits et grands.
Lorsque la sonnerie de l’école primaire retentit dans la commune de Picherande (Puy-de-Dôme), la cantine s’anime. Dans la salle de restauration, quatre retraités sont déjà attablés. En effet, ils sont venus partager le repas du midi avec les enfants, dans ce qu’on appelle ici la “cantine des seniors”. Une initiative plutôt originale qui consiste à inviter les aînés de la commune à venir manger dans la cantine scolaire du village.
"Oui ! Serge est là", crie Enzo, enjoué, tout en courant. Il nous présente Serge : son "copain" de...70 ans de plus. Les deux amis se serrent la main. Serge est ravi de revoir son acolyte : "J'étais un ancien élève de cette école. En revenant ici, 70 ans après, j'ai l'impression de n'avoir jamais quitté cet endroit. Avec ces enfants, je remonte le temps. À leurs côtés, je parais tout de suite plus jeune, n'est-ce pas ?", ironise le grand-père de 81 ans, tout en tapant le dos de son camarade de table.
Un repas équilibré à bas coût
La cantine fonctionne du lundi au vendredi, sauf mercredis et vacances scolaires. Les retraités et les écoliers ont la possibilité d'accéder à un repas équilibré pour la somme de 4,60 euros. Lucie, cantinière sert chaque jour entre 25 à 30 couverts, lorsque les seniors répondent présents. Une dizaine de couverts de plus que d'habitude. La trentaine de convives profitent des repas élaborés par ses soins : “Les menus sont affichés un mois à l’avance et ont été réfléchis par l’adjointe au maire Hélène Phelut Les gens viennent en fonction du jour où le menu leur plaît. C’est principalement du fait-maison. Par exemple, mardi c’était du pot-au-feu, beaucoup de seniors étaient venus”, sourit la cantinière tout en préparant les crêpes qui serviront pour le déjeuner du jour. Le menu est le même pour tous : “Aujourd’hui, c’est crêpe au jambon, poêlée de légumes, fromage blanc, et cookie. Il y en a pour tous les goûts !", s'enthousiasme la cantinière.
Lucie l’avoue, les menus n’ont pas tellement changé : “C’est à peu près les mêmes repas qu’avant. La subtilité c’est que, quelquefois, on s’autorise quelques pas de côté en proposant des plats plus familiaux comme le pot-au-feu dont je vous parlais qui a eu du succès auprès des seniors”. Elle ajoute : “On peut aussi se permettre de mettre des légumes, parce qu’on sait que la présence des seniors encourage les enfants à faire bonne figure”.
Rompre avec l’isolement
Lucie organise elle-même le plan de table. Elle connaît les affinités de chacun. La cantinière change souvent la place attribuée à chacun. L’objectif ? Apprendre aux enfants à s’ouvrir à autrui : “Les enfants fonctionnent beaucoup par bandes de copains. On essaie de casser ça pour qu’aucun ne se sente isolé malgré lui. Enfants comme adultes”, explique-t-elle tout en déposant les serviettes brodées du nom de chaque élève.
L'heure du repas commence. Sylvie à côté de Cindy, Serge de Sacha, et Elise de Jules. Anaëlle, 8 ans, voit beaucoup d’avantages à être assise à côté de Michèle : "C'est comme ma mamie". Et inversement : “Avec moi, ils sont beaucoup plus sages et apaisés. Bon, il y a forcément du bruit. C’est animé. C’est ce qui est aussi plaisant". La retraitée de 73 ans confie que cette cantine lui permet aussi de sortir de l’isolement : " Cela me permet de sortir de chez moi où il ne se passe rien et où je ne vois presque personne”, avoue Michèle. Pour sa camarade de table Sylvie, 60 ans, venir prendre son repas va au-delà de la rupture avec l’isolement : “Je touche une pension d’invalidité. Les fins de mois sont difficiles. Avoir un menu équilibré pour moins de 5 euros, ça fait du bien. Et puis, je viens ici aussi pour voir du monde et pour éviter d’être seule”, confie cette habituée. “Je viens tous les jours. Tout le monde me connaît, je connais aussi les prénoms de tout le monde ”, s’amuse-t-elle.
Certains enfants connaissent très bien les retraités venus déjeuner. En effet, parfois, parmi eux se trouvent leurs propres grands-parents. Anaëlle explique : " Ma mémé vient des fois. Je suis contente quand elle est là. Mon frère et ma maman Lucie, la cantinière, mangent ici aussi". Trois générations sont donc présentes. Au premier coup d'œil, la salle de restauration fait plus penser à un repas de famille qu'à une véritable cantine d'école.
Pour Carine, ce type de cantine doit se développer et perdurer : “Les seniors doivent jouer le jeu, estime la retraitée. Si on veut que cela continue et en solidarité avec les quelques personnes isolées, il faut que les aînés viennent plus souvent”.
Un véritable lien intergénérationnel
Les sujets de discussions sont vastes : “ Les enfants sont curieux !, s'enthousiasme Sylvie. Ils nous questionnent sur notre vie, on s’intéresse à la leur. Ils me demandent si j’ai fait la guerre, je leur demande s’ils ont fait leurs devoirs”, s’amuse-t-elle. Le sujet du jour : le dernier film vu au cinéma par Sylvie ou encore le voyage scolaire d'Anaëlle. Le repas prend fin. Les enfants ont hâte de retourner en récréation. Les seniors, eux, restent encore un peu. Ils en profitent pour converser. Avant cette initiative, les aînés se croisaient parfois dans la rue mais ne se connaissaient pas vraiment : “On a appris à se découvrir. On se voit en dehors de la cantine. On s'est fait quelques amis. Mais cette fois de notre âge”, ironise Serge.
Hélène Phelut, adjointe au maire de la commune et membre du CCAS, explique la genèse d’un tel projet : “ On a entendu parler de cette idée et on s'est tout simplement dit :’Pourquoi pas nous ?’. Cela ne demande pas une grande logistique. Notre cantine peut accueillir sans problème une dizaine de personnes en plus. C’est simple à mettre en œuvre surtout pour une petite commune comme la nôtre : c’est un projet qui peut prendre effet rapidement”. Elle précise les raisons qui ont poussé la commune à créer cette cantine pas comme les autres : “On souhaite permettre aux personnes âgées qui sont souvent seules de rompre avec la solitude. On tient à le préciser, c’est un projet social et non de rentabilité. On a gardé le prix de 4,60 euros - qui est un prix abordable pour beaucoup - parce que c’est avant tout une action sociale. On est même déficitaire puisqu’on paie beaucoup plus pour pouvoir les accueillir. C’est un choix politique”. Grâce à cette cantine peu ordinaire, le lien se fait aussi entre les aînés : “Pour une commune vieillissante comme la nôtre, l'objectif est principalement la création d’un lien intergénérationnel et générationnel. Au-delà de la cantine, ils en profitent pour se retrouver en dehors pour parler du passé, de leur familles, des amis en commun. ça crée un respect mutuel entre les générations”.
En France, une cinquantaine de communes suivent ce modèle. Prochaine étape pour le village : créer une micro-crèche juste à côté de l’école. Ce sera dont bientôt trois générations qui pourront coexister.