Au lendemain du premier tour des élections législatives anticipées qui ont vu le RN s'imposer, Jordan Bardella aura-t-il une majorité absolue ou relative au lendemain du second tour ? Cohabitation, triangulaire, autant de termes qui méritent une explication. Un professeur de droit constitutionnel nous donne quelques clefs pour comprendre.
Le premier tour des élections législatives a eu lieu le dimanche 30 juin.Trois semaines après la dissolution de l'Assemblée nationale annoncée par Emmanuel Macron, ce premier tour constitue un succès inédit pour le RN et ses alliés. La vague Rassemblement national observée aux européennes se confirme lors de ce scrutin. Le RN et ses alliés arrivent largement en tête, avec 33,2% des voix, selon une estimation Ipsos-Talan pour France Télévisions, Radio France, France 24, RFI et LCP.
Le parti de Jordan Bardella devance nettement le Nouveau Front populaire (NFP), qui s'est formé en urgence au lendemain des européennes. La coalition de gauche rassemble 28,1% des suffrages, toutes nuances liées aux partis confondues, d'après cette estimation.
Le camp présidentiel ne pointe qu'en troisième position : il est le grand perdant de la soirée, avec un net revers par rapport aux précédentes législatives. La coalition Ensemble pour la République (Renaissance-MoDem-Horizons) ne pourrait être présente au second tour que dans 290 à 330 circonscriptions.
Cohabitation, motion de censure, voici quelques mots-clefs pour mieux comprendre le fonctionnement des institutions. Ils sont expliqués par Raphaël Piastra, professeur de droit constitutionnel à l’Université Clermont Auvergne.
Députés
Combien de députés y a-t-il à l'Assemblée ?
Il y a un député élu dans chacune des 577 circonscriptions, comme le veut le découpage électoral. Pour que chaque circonscription pèse le même poids à l’Assemblée, elles représentent chacune environ 125 000 habitants.
Raphaël Piastra : “Il y a 577 circonscriptions en France : en temps normal, il y a donc 577 députés qui siègent à l'Assemblée nationale. Ce chiffre peut varier, temporairement, en cas de démission, de nomination d'un député au gouvernement, ou encore en cas de décès. Si vous me demandez si c'est beaucoup, je vais vous dire oui. Si vous me demandez si c’est beaucoup trop, je vais dire que c'est beaucoup trop, c'est plus qu'aux États-Unis. Ce qui est scandaleux car on n'a pas complètement la même population qu'aux États-Unis me semble-t-il.”
Majorité
Majorité absolue ou majorité relative, quelle différence ?
La majorité est fixée à 289 sièges.
Raphaël Piastra : “ La majorité absolue à l'Assemblée nationale est donc fixée à 289 sièges. Si un groupe politique, ou une coalition, atteint ce nombre - et si cette majorité fait preuve d'unité et de cohésion - l'exécutif peut faire adopter les lois qu'il propose sans difficulté. Quand aucun groupe politique, ou aucune coalition, n'atteint le seuil des 289 députés, le groupe ou la coalition qui détient le plus grand nombre de siège est en situation de majorité relative. Dans cette situation, il est plus difficile pour le gouvernement de faire adopter ses projets de loi, puisqu'il lui faut convaincre d'autres groupes politiques de les soutenir ou, au moins, obtenir un certain nombre d'abstentions. Surtout si toutes les oppositions votent contre un texte, le gouvernement peut être mis en minorité et le projet de loi, être rejeté. Cette majorité relative implique souvent de recourir à l’article 49-3 pour faire passer les textes « en force ». Rien d’inconstitutionnel à cela ! Seule la minorité « grogne » mais elle fait pareil quand elle devient majorité. C’est le jeu !”
Rôle du président
Quels sont les pouvoirs du président et du Premier ministre ?
Raphaël Piastra : “Chacun a son mode de gouvernement. Le Président préside et le gouvernement gouverne sous l'autorité du Premier ministre. Si on se réfère aux cohabitations qui sont passées, le président de la République s'occupait essentiellement de ce qu'on appelle le “domaine réservé”. C’est un terme qui a été employé par Jacques Chaban-Delmas. Le domaine réservé, c'est la politique étrangère, la défense, et la représentation de la France à l'étranger. Pour le reste, l'application d'une politique gouvernementale, les relations avec la majorité, la gouvernance du pays en interne si j'ose dire, c'est le gouvernement sous l'autorité du Premier ministre. L'élément qui permet aux gens de cohabiter, c'est le Conseil des ministres tous les mercredis matin. Tout le monde est réuni, le président et le gouvernement, avec la mission de servir le pays. Cohabitation ou pas, il va falloir servir le pays. L'article 5 de la Constitution définit le président comme le « gardien de la Constitution ». Le président a également des pouvoirs aménagés à l’article 19 de la Constitution qui lui attribuent des pouvoirs propres : dissolution, référendum et des pouvoirs partagés : nominations, affaires étrangères, diplomatie. Il fait son arbitrage sur le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l'État, il est garant de l’indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités. La façon d’exercer la fonction dépend surtout du contexte politique. Hors cohabitation, c’est un contexte présidentialiste. Le président élu par le peuple met en place sa politique en s’appuyant sur une majorité à l’Assemblée avec le relais du gouvernement. En cohabitation, on revient à un schéma parlementaire avec une majorité opposée au président à l’Assemblée et une politique déterminée et conduite par le gouvernement sous l’autorité du Premier ministre. Les trois dernières cohabitations ont été sur ce schéma.”
Dissolution
Quelle est la définition d'une dissolution ?
Raphaël Piastra : “La dissolution, c'est un mode qui est prévu par l'article 12 de la Constitution. Le président n'a pas de raison à donner pour dissoudre, c'est un pouvoir propre sans signature ministérielle qui lui permet de révoquer le mandat des députés. Cela donne lieu des élections législatives. Il est probable que le 7 juillet, on bascule dans une nouvelle façon d'exercer la République. Ça va être compliqué. Le Président ne peut plus dissoudre pendant un an, c’est-à-dire qu'il est coincé jusqu'au 8 juin 2025.”
Désignation du Premier ministre
Sur quels critères le président désigne-t-il le Premier ministre en cas de cohabitation ?
Raphaël Piastra : “Un critère, la majorité. Il peut choisir n'importe qui dans la majorité. Dans l'absolu, il nomme qu'il veut mais il a tout intérêt à se conformer à la majorité. Si la majorité est RN, il sera quasiment obligé de prendre quelqu’un du RN. S’il ne prend pas quelqu'un du RN, ce sera la guerre. C'est un pouvoir propre aussi mais il faut qu'il prenne compte la majorité qu'il a à l'Assemblée. Techniquement, en fait, il peut désigner n'importe qui. Mais ce qui va se passer, c’est que, dès que ce Premier ministre hors majorité voudra mettre quelque chose en place, il sera censuré. L’intérêt c'est quand même que les choses fonctionnent. Techniquement, il peut même m'appeler moi s'il veut, après tout, mais je fais un pas à l'Assemblée, on me censure et puis 2 semaines après je m'en vais.”
Cohabitation
Comment fonctionne une cohabitation ?
Raphaël Piastra : “C’est ce qu'il s'est passé en 1986, un président de gauche, François Mitterrand, a dû cohabiter avec une majorité de droite dirigée par Jacques Chirac. En 1993 c’est le même schéma avec Balladur qui est nommé à Matignon, Chirac ayant « déjà donné ». Vous avez eu la même chose en 1997 mais l'inverse, un président de droite, Chirac qui dissout et qui se retrouve avec une majorité de gauche. Macron va se retrouver, possiblement, avec une absence de majorité. On sait qu'elle sera opposée à lui, ça c'est une certitude. C'est ça la cohabitation, c'est qu’un président et un Parlement de couleurs politiques différentes doivent cohabiter.”
Motion de censure
Qu'est ce qu'une motion de censure ?
Raphaël Piastra : "C’est un des modes de mise en cause de la responsabilité du gouvernement. Un groupe de députés va essayer, en déposant une motion de censure, de faire tomber le gouvernement. Il y en a eu plus d'une centaine de déposées je crois, depuis 1958. Une seule a réussi en 1962 contre le gouvernement Pompidou. Autrement, la logique majoritaire empêche les motions de censure de réussir. On peut en déposer, mais si on n'arrive pas à trouver une majorité de députés on ne peut pas renverser le gouvernement. C'est la logique majoritaire. Elle doit être signée par un député sur 10 au moins. Le vote n'a lieu que 48 heures après le dépôt. C’est un délai de réflexion. Ce n'est pas un acte anodin. On ne va recenser que les votes favorables à la motion de censure qui sera à la majorité des membres, donc 289. Dans une logique majoritaire, en logique présidentielle, ça n'a jamais été possible sauf en 1962. On vient de mettre la République en place parce que les députés n’ont encore pas digéré la révision du président élu par le peuple. Il y a des députés aussi de droite qui votent la censure, mais c’est une exception. Ça ne s’est jamais fait en cohabitation non plus parce que le Premier ministre a une majorité à l'Assemblée et l'Assemblée ne va pas faire couler son Premier ministre. C’est imparable.”
Triangulaire
Que désignent les termes triangulaire et quadrangulaire ?
Raphaël Piastra : “ Lors d'élections législatives, il ne s'agit pas de qualifier pour le second tour les deux candidats ayant recueilli le plus de suffrages, mais les candidats ayant obtenu un nombre de voix correspondant à 12,5% des électeurs inscrits et non des électeurs ayant voté. Si trois candidats atteignent ce seuil, le second tour prendra alors la forme d'une triangulaire, ou d'une quadrangulaire s'ils sont quatre. Il devrait y en avoir beaucoup pour ce scrutin. C’est pour éviter cela que des alliances et des désistements (républicains ou pas) vont avoir lieu. Les négociations vont parfois être très serrées !"
Loi
Qu'est ce qui différencie une loi et un décret ?
Raphaël Piastra : “La loi est l'acte fondamental du Parlement et le décret est d'origine gouvernementale, ou présidentielle. Le décret est administratif et la loi est législative, c'est l'acte parlementaire par définition. Le Parlement vote la loi et il faut des décrets pour faire exécuter les lois, c’est-à-dire qu'il y a une loi qui est votée et le décret va donner la façon d'exécuter. Ça permet à une loi d'exister. Si vous n'avez pas de décret d'application, la loi n'existe pas.”
Groupe parlementaire
À quoi sert un groupe parlementaire ?
Raphaël Piastra : “C'est l’existence des partis politiques au Parlement. C'est 15 députés minimum. Cela permet aux députés d’avoir le poids qu’on peut avoir avec un groupe, un poids administratif, un poids politique, un poids économique. On n’est pas obligé d'être rattaché à un groupe. Il y a des non-inscrits, des apparentés. Un parlementaire est libre d'adhérer à un groupe ou de ne pas adhérer. Pas mal de députés macronistes ont quitté le groupe En Marche pour être non-inscrits ou apparentés. Ce n'est pas bon. Quand vous avez vos propres députés qui commencent à dire non, c’est quand même un mauvais signe.”
Le second tour aura lieu le 7 juillet.
