Le verdict du procès de la tuerie de Charlie Hebdo a été rendu le 16 décembre. Michel Renaud, fondateur du Rendez-vous du Carnet de Voyages à Clermont-Ferrand, faisait partie des victimes. Au lendemain du verdict, sa veuve, Gala Renaud, estime que beaucoup de questions restent sans réponses.
Michel Renaud était le fondateur du Rendez-vous du Carnet de Voyages, une manifestation qui réunit plusieurs centaines de carnettistes et dessinateurs chaque année à Clermont-Ferrand. Lors des attentats au siège de Charlie Hebdo, Michel Renaud assistait à la réunion de rédaction, invité par son ami Cabu. Il n'est jamais revenu et a laissé un grand vide dans la vie de son épouse, Gala, et de leur fille.
Au lendemain du verdict, Gala Renaud n'est toujours pas en paix. Des peines allant de quatre ans de prison à la perpétuité ont été prononcées à l’encontre des 14 accusés, poursuivis pour l'aide qu'ils ont apportée aux terroristes de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher, mais pour Gala Renaud, l'incompréhension demeure.
F. P. : Au lendemain du verdict du procès de Charlie Hebdo, quel est votre sentiment ?
G. R. : J'ai attendu ce procès pendant 5 ans et il y avait beaucoup d'énergie qui travaillait en moi. Maintenant, le procès est terminé, mais bien que les personnes impliquées aient été condamnées, je ressens beaucoup de tristesse. En fait, pour ma fille et pour moi, ce procès n'est pas terminé. Il y a des questions qui restent ouvertes. Les réponses n'ont pas été données, à cause de l'absence des principaux responsables de cet attentat (les frères Kouachi, auteurs de l'attentat, ont été abattus deux jours après la tuerie, ndlr). On ne les a pas vus. Les tueurs, les assassins n'étaient pas là. Evidemment dans ces conditions-là, le procès a suscité une sorte de frustration et c'est pour cette raison que mes sentiments sont très mitigés. Le procès était nécessaire évidemment puisque je l'ai attendu pendant cinq ans mais cela ne veut pas dire que là, d'un seul coup, je me sens libre et que je me suis libérée de la souffrance, de ce poids, de cette incompréhension. Comment peut-on assassiner des hommes qui ne sont pas armés, juste pour des dessins, juste parce que c'étaient des hommes libres ? Je n'ai pas encore la réponse.
F. P. : On dit communément qu'un procès aide à se reconstruire. Est-ce qu'aujourd'hui, vous avez ce sentiment ?
G.R. : Non. Les principales victimes de cet attentat, ce sont les familles. Elles ont perdu leurs proches. Moi j'ai perdu mon mari, mon amour, mon tout. Ma fille a perdu son papa avec qui elle avait des rapports fusionnels... Comment un procès peut-il réparer tout ce qui nous a été pris, enlevé, tout ce qui a été détruit en nous. Il y a beaucoup de mots qui ont été dits par rapport à la liberté d'expression lors de ce procès mais c'était avant tout le procès pour les familles, pour les épouses, les enfants qui ont perdu les maris, les papas...
F.P. : Le procès n'a rien changé ?
G.R. : Non. Michel, c'est un nom concret, c'est une vie, un sourire, des idées... Ce sont aussi des convictions et c'est tout ça qui a été détruit, assassiné en quelques secondes. Ces hommes ont été exécutés et ce procès ne peut pas réparer tout ça, ce n'est pas possible. La justice, évidemment, fait son travail. Elle a rendu une certaine justice. Parmi les accusés, il y a six personnes qui ont été jugées pour complicité... Avoir sur ses mains le sang de personnes innocentes, c'est inhumain, ça ne doit pas exister. Je le dis encore une fois, mon mari était une personne libre. Toute sa vie, il a dû se battre pour cette liberté, en tant que grand voyageur, humaniste... Les médias ont consacré beaucoup de temps à parler de la liberté d'expression. Mais la liberté d'expression, ce sont avant tout des hommes, ces hommes concrets qui ont été assassinés. La liberté d'expression, elle vit, elle vivra par nous, les Français, parce que nous la défendrons. Déjà, ma fille, qui vient d'avoir 16 ans, est très consciente de ce qui se passe autour des valeurs essentielles de la France, un pays qu'elle aime grâce à son papa qui lui a transmis ces valeurs. Pour Michel, mon mari, ce qui était important, c'était combien l'homme porte en lui ces valeurs et dans quel but... Et surtout je n'admettrai jamais que des valeurs aussi importantes que la liberté d'expression, mais aussi l'égalité, la liberté, la fraternité, soient évoquées en vain. La liberté d'expression ne doit pas être monnayée, la liberté d'expression doit être prise très au sérieux et à chaque fois. Chaque mot que nous prononçons, chaque pensée que nous exprimons a un impact sur notre société. Le procès est terminé mais je sais qu'il va continuer, et c'est pour ça que je ne peux pas dire que la page est tournée. Ma vie n'a pas de page. Ma vie est telle qu'elle est et en tant que citoyenne de France, j'estime que je dois obtenir toutes les réponses que ce procès n'a pas pu donner. La vie des hommes, c'est ce qu'il y a de plus précieux, de plus sacré. C'est d'ailleurs ce qu'on voit dans la crise qu'on vit actuellement, on se bat pour chaque vie et tous les moyens sont mis en œuvre pour les sauver. C'est le combat qui m'attend. Je veux me battre et défendre les vies humaines.