Inflation et surendettement : "J’étais tracassée, je ne voyais pas comment m’en sortir"

Avec l'inflation, la gestion du budget quotidien de nombre de Français est de plus en plus difficile. Le surendettement progresse au niveau national et de façon plus marquée en Auvergne-Rhône-Alpes. Des structures permettent de ne pas sombrer. On vous explique comment.

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C’est un phénomène qui s’accélére en raison de l’inflation et de la baisse du pouvoir d’achat. De nombreuses situations de surendettement surviennent, souvent à la suite d’un accident de la vie : perte d’emploi, séparation, maladie ou encore invalidité... C’est ce qui est arrivé à Blandine, une habitante de Saint-Germain-des-Fossés, dans l’Allier. Les ennuis de cette jeune femme de 25 ans ont débuté il y a 3 ans : « Tout a commencé en 2020. J’avais 22 ans à l’époque. J’avais souscrit un leasing pour une voiture. Au bout de cinq jours, j’ai eu un accident de voiture. Les réparations coûtaient très cher et je n’avais absolument pas les moyens de les payer. J’avais pris un prêt sur une petite durée, mais cela m’a complètement mis dans le rouge ».

Une spirale infernale

Sa situation est très vite devenue préoccupante : « J'étais déjà salariée en CDI. Je n’arrivais pas à payer les mensualités. Je devais payer entr 200 et 300 euros, sur 5 ans. Je n’avais plus les moyens de payer mon crédit. Tout s’est enchaîné. J’avais des dettes par ci et par là. Il y a plein de choses que je ne pouvais plus payer au fur et à mesure. Moralement c’était très dur, malgré les soutiens, mes amis et ma famille. J’étais tracassée, je ne voyais pas comment m’en sortir ». La solution de la constitution d’un dossier de surendettement auprès de la Banque de France est alors apparue comme une évidence. Blandine raconte : « Ma maman m’a conseillé de déposer un dossier de surendettement. Cela pouvait être une aide à laquelle je pouvais prétendre. J’ai rempli un dossier sur Internet. Ils ont étudié mon dossier et ils ont étalé mes dettes sur 3 ans. Ils ont prévenu tous les créanciers et leur ont dit qu’ils devaient attendre leur tour pour que je les rembourse. Là, il me reste environ 8 mois à rembourser. Je suis contente. Je dois verser 200 euros tous les mois. Cela représente environ 10 et 15% de mon salaire. En ces temps où tout augmente, c’est un vrai soulagement. La Banque de France a été à mon écoute. Dès que j’avais besoin d’une réponse, les conseillers étaient là. Ils étaient compréhensifs. Prêts à revoir à la baisse les mensualités ».

"Personne ne sait gérer son argent"

Désormais, Blandine voit enfin le bout du tunnel : « J’ai tout changé : ma conjointe m’aide beaucoup à mieux gérer mon budget tous les mois. Je fais des prévisions pour chaque catégorie et ça marche plutôt bien. Sans cette mauvaise expérience, j’aurais continué comme avant à faire n’importe quoi ». Avec ses collègues, elle évoque les difficultés liées à la conjoncture. Elle n’est pas surprise de voir le nombre de dossiers de surendettement augmenter : « Cela ne m’étonne pas. Je me rends compte auprès de mes collègues de travail que c’est très difficile. Ils sont aussi dans les mêmes difficultés financières. Personne ne sait gérer son argent. Personne ne l’a réellement appris. Quand on est jeune on est encore plus fragile, on entre dans la vie active d’un coup. On ne s’attend pas à payer tout cela tous les mois ».

Des incidents de paiement de crédits en hausse

Olivier Danès, directeur de la Banque de France de Grenoble, a pu observer certains phénomènes récents : « Depuis le mois de janvier, on assiste à une baisse du nombre d’interdits bancaires. Cela a baissé de 3% jusqu’en juillet en Auvergne-Rhône-Alpes. Les personnes qui ont fait des chèques sans provisions sont inscrites dans un fichier. Cette baisse s’explique sans doute par la faible utilisation du chèque désormais ». Il poursuit : « C’est au niveau des crédits que l’on recense le plus de difficultés. On n’a pas de données au niveau régional. Sur le plan national, cela a augmenté de 15% depuis janvier 2023. Il s’agit d’incidents de paiement pour les crédits des particuliers ». Le fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP) recense les personnes qui ont rencontré des difficultés dans le remboursement d’un crédit souscrit à titre personnel, ainsi que les personnes en situation de surendettement, dès la date du dépôt d’un dossier auprès du secrétariat d’une commission de surendettement.

Le nombre de dépôts a bondi récemment : « Les dépôts de dossiers de surendettement ont aussi beaucoup augmenté. En Auvergne-Rhône-Alpes, entre janvier et fin août 2023, cela a augmenté de 9,7%. Au niveau national, la hausse est de 6,2%. C’est assez flagrant : en août, généralement, il y a un fléchissement du nombre de dépôts mais pas cette année. Depuis 2014, on avait connu une baisse continue, avec une reprise en 2022. Depuis cette année, cela repart à la hausse ».

Le directeur de la Banque de France de Grenoble s’interroge : « S’agissant de l’évolution des dépôts de dossiers de surendettement, il a toujours été impossible de trouver un lien clair et évident avec l’évolution de la conjoncture. L’impact des évolutions législatives et réglementaires a été historiquement beaucoup plus fort, en particulier l’encadrement plus strict des règles d’octroi des crédits à la consommation ou encore les possibilités régulièrement accrues d’effacer les dettes des débiteurs dont la situation financière est gravement dégradée (principe de la « 2ème chance »). Dans la période récente, la bonne tenue de l’emploi, les boucliers tarifaires et autres mesures d’aides ont néanmoins,au moins en partie, expliqué la faiblesse des dépôts en 2021 et 2022. Un arrêt de la baisse et une hausse des dépôts en 2023 n’est à cet égard pas surprenant dans un contexte de hausse des prix et de moindre dynamisme de l’activité économique, même si le marché de l’emploi résiste bien à ce jour ». Il insiste : « Il ne faut pas négliger la « réticence » de nombreuses personnes à déposer un dossier de surendettement, il est par conséquent très probable que des situations de surendettement existent qui ne sont pas prises en charge faute de dépôt de dossiers, y compris de la part de personnes qui sont suivies par des travailleurs sociaux ou des bénévoles d’associations ».

"D’habitude, on traite un dossier par mois, là c’est plutôt un par semaine"

Lydie Hiron est conseillère budget à l’UDAF, Union départementale des associations familiales, du Cantal. Elle souligne : « A notre échelle, on a beaucoup plus de dossiers de surendettement ces derniers mois. D’habitude, on traite un dossier par mois, là c’est plutôt un par semaine. De base, il y a un problème d’éducation financière. Les gens n’ont pas d’épargne de précaution. Au moindre débordement, c’est la catastrophe. Il n’y a pas d’amortisseurs. A cela s’ajoutent les charges qui augmentent, pour l’électricité, le carburant et l’alimentation ». Lydie Hiron avance une explication : « S’il y a un accident de la vie, malheureusement, comme le chômage ou la maladie, ces personnes ne peuvent pas y faire face. Une personne qui travaille a la capacité d’avoir des emprunts, de prendre du leasing et le budget passe juste lorsque le salaire est à taux plein. Dès qu’il y a une diminution de capacité ou une régularisation d’électricité si les personnes ne sont pas mensualisées, cela pose problème. Je recommande d’augmenter sa mensualisation de 20% ou de mettre de l’argent de côté. Si on se base sur l’année dernière, on sait que cela ne fonctionnera pas pour l’électricité. L’eau aussi pose problème. Dès qu’il y a une grosse facture, certaines personnes n’arrivent pas à les absorber ».

Cela fait 15 ans que je suis dans le social, je suis sur ce poste depuis 2009. Je n’ai jamais vu ça

Lydie Hiron, conseillère budgétaire

La conseillère évoque un schéma devenu trop classique : « La première étape est le découvert. Il augmente les frais car c’est assez taxé. Après, certaines personnes n’arrivent pas à le rattraper. Cela va loin. Cela augmente les charges. Si on vient me voir, on peut trouver des solutions, sinon on pense que c’est plus simple de faire un crédit ». Elle s’étonne de la multiplication de ce phénomène : « Il y a tellement moins de marge que les personnes ne peuvent pas absorber. C’est ric-rac. Le public dépense tout son argent dans le mois. Il n’y a plus d’épargne de précaution, même 50 euros. Il suffit que le lave-linge lâche pour être en mauvaise posture. Il y a maintenant cette histoire de leasing qui n’existait pas avant. On ne peut rien y faire car il y a un contrat. Ce n’est pas comme une assurance qu’on peut résilier ». 

Les familles monoparentales touchées

Les personnes souscrivent un leasing principalement pour une voiture, mais aussi pour un ordinateur par exemple. C’est ce qui est arrivé à Blandine, dans l'Allier. Pour Lydie Hiron, le surendettement touche surtout les actifs, de 18 à 62 ans : « Le contexte d’inflation, de baisse du pouvoir d’achat accélère ces phénomènes. Si on ne prévoit pas ces augmentations, qu’on ne réduit pas son budget sur le reste à vivre, on ne peut pas payer les factures. Pour payer les factures d’énergie, les demandes de Fond de solidarité logement (FSL) explosent : au niveau du département, il y a un Fond de solidarité logement. On peut faire des demandes à titre exceptionnel pour payer des factures d’énergie. Les personnes qui ont peu de revenus ont souvent des véhicules en mauvais état : ils en ont besoin pour aller au travail donc des réparations se surajoutent. Le fait de ne pas prévoir met en difficulté les personnes qui ne prévoient pas ». Elle rappelle : « Les familles monoparentales sont touchées. Elles supportent mal les accidents de la vie, car le parent est seul. Il n’y a pas de deuxième salaire pour payer les factures. Ces publics ont une très mauvaise connaissance des dispositifs qui peuvent les aider, comme Action logement. C’est principalement pour les travailleurs du privé. Pour payer une dette, le public s’adapte à ce que lui demande le créancier. Mais on peut étaler les dettes. Le public va payer ses factures, se mettre à découvert et payer des frais ».

L'intérêt du dossier de surendettement

Lydie Hiron confie : « Les banques n’aident pas beaucoup non plus. Il existe le dispositif Offre client fragile, notamment obligatoire en surendettement. La banque a l’obligation de proposer une offre pour réduire les frais et ne plus avoir de découvert. Je vois cela trop peu souvent ». Elle ajoute : « On peut monter un dossier de surendettement pour 500 euros. Il n’y a pas de montant minimum de dettes. Il s’agit plutôt d’un équilibre entre ce qu’on peut rembourser et le budget global. L’intérêt d’un dossier de surendettement est d’abord qu’il n’y aura pas d’intérêts à payer en cas de prêt bancaire. Ces intérêts sont à 19% chez Cofidis par exemple. Un dossier va permettre de réduire les mensualités. De plus, quand le dossier est recevable, on ne paie plus aucune dette. Pendant ce temps-là, on peut rembourser son découvert. Pour les situations les plus difficiles, il peut y avoir une annulation partielle ou totale des dettes ».

Le tabou du surendettement

Elle s’étonne du tabou du mot surendettement : « Le problème est que le mot surendettement fait peur. Les personnes ne pensent pas qu’il peut y avoir un intérêt. Elles ont trop peur. Elles se disent qu’elles vont être bloquées, qu’elles ne pourront plus faire de prêt. Mais actuellement elles ne peuvent déjà pas. Elles pensent qu’elles ne pourront plus avoir de découvert. Je leur dis que c’est peut-être bien d’apprendre à vivre sans découvert. Elles réalisent que le dossier de surendettement est avantageux pour elles ». La complexité à bâtir un dossier peut aussi faire peur : « Je ne conseille pas de le déposer seul. Il y a une stratégie de dépôt, d’où l’intérêt des points conseil budget, où je travaille. Je suis aussi présente à Mauriac, Saint-Flour et Aurillac. C’est la même chose dans les autres départements auvergnats. On est là pour conseiller et aider. On met en place un plan conventionnel de redressement, avec les mensualités, qui ne sont pas prélevées, mais qui sont payées ». L’UDAF a un point conseil budget, afin de renseigner et d’orienter le public. Au regard de la situation social, budgétaire et psychologique, les conseillers listent toutes les solutions à mettre en place pour les soutenir : cela peut être des aides, des conseils pour le budget, pour gérer le reste à vivre. Le conseiller regarde comment payer les dettes. Ce conseil est gratuit, sur simple rendez-vous physique ou téléphonique.

"Cela n’a rien d’infâmant d’être en surendettement"

Autre lieu pour se renseigner et se faire aider, Crésus. Pascal Confavreux est chargé de développement et de la communication de Crésus Rhône. Lui aussi fait un constat amer :  « La procédure de dossier de surendettement est l’étape où devraient arriver le moins de personnes possible. C’est la phase la plus dure. Historiquement, le nombre de dossiers a baissé mais on a un phénomène actuel, l’inflation, qui fait des ravages. C'est l'arbre qui cache la forêt. Les personnes en situation de précarité financière ne connaissent pas forcément la mécanique du surendettement. Les ménages ne sont pas assez informés pour venir nous voir assez tôt. On a un problème qui gronde ». Il avance plusieurs explications : « La notion d’épargne de précaution, qui permet de lutter contre l’aléa, est très difficile. Récemment, les personnes ont eu une augmentation de leurs dépenses courantes, notamment les rappels de consommation d’énergie au printemps. Quand elles avaient une épargne de précaution, elles l’ont finalement mangée. C’est chronique chez les personnes qui ont peu de moyens. On a passé un cran. Même ceux qui en avaient un peu, ils l’ont mangée ». Il confirme lui aussi le tabou du mot surendettement : « Il y a un effet de honte. Il y a aujourd’hui 800 000 personnes qui sont sous protocole surendettement à la Banque de France. C’est un chiffre. Les personnes ne le disent pas à leur voisin. Cela n’a rien d’infâmant d’être en surendettement. Le fichage Banque de France n’est pas fatidique. Marginalement, il ne se passe pas grand-chose. Les personnes ont besoin d’être rassurées ».

Il est très préoccupé : « Chez Crésus, on est inquiets. On sait que l’inflation vient manger les charges quotidiennes. On a un appauvrissement de toute une population. La classes des précaires, des modestes s’élargit, jusqu’aux couches moyennes ». Crésus a une activité d’accompagnement budgétaire, d’éducation budgétaire et d’accompagnement pour le micro-crédit. Ces services sont gratuits et confidentiels. Il n’y a pas d’antenne en Auvergne mais les conseillers reçoivent des Auvergnats à Lyon. Ainsi, si vous connaissez des difficultés financières, n’hésitez pas à en parler. Des structures comme l’UDAF ou Crésus sont là pour vous aider.

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