Avec l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat, les Français font attention à tout lorsqu’ils consomment. Le vin n’échappe pas à la règle. Mais depuis plusieurs années, sa consommation baisse. Elle est même concurrencée par la bière. En Auvergne, des producteurs misent sur la qualité des vins à un prix raisonnable pour attirer les clients.
Avec moins de 40 litres consommés par personne et par an, la France est le pays où l’on boit le plus de vin après Le Vatican et Andorre, d'après le Wine Institute. Ainsi, pour de nombreux consommateurs, le mois de septembre est synonyme de rentrée, mais également de bonnes affaires lors des Foires aux vins. Mais la consommation de vin ne cesse de baisser en France. Selon l’Office français des drogues et des conduites addictives (OFDT), on est passé de 120 litres consommés en un an par habitant à moins de 40 litres en 2022. Mais qu’en est-il de cette consommation par temps d’inflation ?
"Les clients font un peu plus d’arbitrages"
Rodrigue Serman est le directeur de l’hypermarché Leclerc du Brézet à Clermont-Ferrand. Il explique : « La Foire aux vins débute le 2 octobre. Ce sera cette année les 50 ans des Foires aux vins de notre groupe. Il y a une très grosse communication qui est prévue au national, pour mettre en avant des vins à petits prix, pour coller à cette période inflationniste. On en tirera un bilan. Les chiffres montrent que la consommation de vin diminue. On a une augmentation de la consommation de bière. La population est en train de basculer sur la bière. Je pense que les clients font un peu plus d’arbitrages. On le voit sur les ventes de la cave, plus haut de gamme. Le marché de la bière explose et celui du vin ralentit ». Il décrypte le comportement de ses clients : « Avec l’inflation galopante, on voit que les clients font de plus en plus attention. Ceux qui souhaitaient se faire plaisir avec quelques bouteilles de vin ont baissé en gamme. La Foire aux vins est différente : on propose des bouteilles qu’on ne trouve pas toute l’année. Les connaisseurs viennent et se font toujours plaisir. Je pense qu’en mettant en avant une gamme dite "incroyable", avec des bouteilles à moins de 10 euros, on est sur une communication pour des vins pas trop chers et abordables, pour se faire plaisir ». Le directeur ajoute : « Les vins auvergnats ne sont pas forcément moins chers. Ils se positionnent parfois sur des prix élevés ».
Un monde viticole en crise
Pierre Desprat, directeur général de Desprat-Saint-Verny, est un fin connaisseur du monde viticole. Sa production IGP côte d’Auvergne est comprise entre 600 et 800 000 bouteilles par an. L’entreprise représente 48 emplois et 10 millions de chiffre d’affaires. Il souligne : « Le monde du vin est en crise depuis seulement quelques années. On sait que cela va être prochainement très dur. La première raison est une surproduction mondiale, liée à une baisse de consommation chez les particuliers. Le vin et les alcools connaissent une baisse sensible de consommation. Il y a certes la baisse du pouvoir d’achat, mais pas seulement, il y a aussi, à mesure de tirer à boulets rouges, une envie du consommateur de baisser sa consommation d’alcool. Les gens ont pris conscience qu’ils pouvaient vivre en buvant moins, faire la fête sans être alcoolisé. Il y a aussi la loi Evin qui a fait du mal au marché du vin ». Pierre Desprat souligne que les prix des vins auvergnats ont aussi dû augmenter, inflation oblige : « La crise s’accélère. Le vin a subi une crise énorme depuis deux ans depuis la raréfaction des bouteilles liée à la guerre en Ukraine, avec l’obligation d’acheter le verre à un prix astronomique. Aujourd’hui, les producteurs que nous sommes ont absorbé un peu plus de 40% de hausse moyenne des matières sèches. A titre personnel, je n’ai pas voulu que le consommateur décroche : je ne voulais pas relever de 10% ou plus les prix. On a augmenté les prix de 4% et cela a été salvateur. On a pu maintenir les volumes ».
Une opportunité conjoncturelle pour les vins auvergnats
Mais le directeur général ne perd pas espoir : « Le vignoble auvergnat va tirer son épingle du jeu. Dans toutes les périodes de crise, de nouveaux vignobles se sont organisés et se sont fédérés. Tous les petits vignobles vont bénéficier de cette crise. Le consommateur peu à peu se détache des grands vignobles standards. C’est le cas des vins de Bourgogne, trop chers par rapport à leur qualité. De petits vignobles comme les nôtres vont jouer une carte. Les vignobles d’altitude comme les vins volcaniques, entre 200 et 400 m, ont une fraîcheur, un terroir uniques. C’est une petite niche. Notre cave Desprat-Saint-Verny, qui représente plus de la moitié de la distribution et de la production, en bénéficie, tout comme les viticulteurs indépendants ». Il dégage une tendance : « Notre grande chance, pour les vins auvergnats, est qu’on fait 25 à 30% de notre chiffre d’affaires à l’export. On a des marchés hyper porteurs comme les Canada, les USA et la Grande-Bretagne. On est suffisamment un petit vignoble pour ne pas s’emballer au niveau des prix, rester humble et continuer à travailler la qualité de nos vins. Je pense que la crise qui s’annonce sera moins violente chez nous ».
"Nous sommes plutôt épargnés, à Saint-Pourçain"
Même constat dans le vignoble de Saint-Pourçain, dans l’Allier. Pierre-Etienne Seguin est le directeur de la cave de l’Union des vignerons de Saint-Pourçain. Il indique : « Il y a une baisse de consommation de vin qui est évidente sur l’ensemble des vins. Il y a une demande de distillation, des arrachages de vignes dans certaines régions. Nous sommes plutôt épargnés, à Saint-Pourçain. Les volumes se développent même en vin blanc, de 12%, et baissent en rouge et rosé, de l’ordre de 1% ». Il estime que le vignoble auvergnat a tout à y gagner en temps de crise : « Les vins auvergnats peuvent tirer leur épingle du jeu. On est sur des vins avec un rapport qualité prix intéressant. On a une bonne récolte qui s’annonce. C’est l’impact des matières sèches qui nous met dans le rouge. On a eu des hausses des prix de l’énergie et une explosion des cours des matières sèches. Sur les bouteilles en verre, il n’y a plus que deux fournisseurs dans le monde : ils pratiquent les prix qu’ils veulent. On n’a pas eu le choix d’augmenter nos prix de l’ordre de 10-15% entre avril 2022 et mars 2023. Là, ça se stabilise. Mais on n’a pas de baisse sur les bouteilles. On a aussi des hausses sur les cartons, les étiquettes, le gasoil. Je pense qu’il y a un vrai potentiel pour les vins comme les nôtres, pour les vins d’Auvergne. On n’est pas nécessairement sur des vins à très hauts degrés. Cela va dans le sens de la consommation. En termes de prix, ces vins sont très accessibles par rapport à ce qui se fait dans le marché ». Sa cave regroupe 35 vignerons et représente 60 % du vignoble.
La concurrence de la bière
Le directeur de la cave de Saint-Pourçain redoute la progression de la consommation de bière dans l’Hexagone : « Il se consomme plus de bière que de vin en France pour la première fois. Est-ce que cela nous inquiète ? Il y a eu un développement de l’offre qui fait que cela peut gonfler les volumes. Le consommateur est aussi à la recherche de petits degrés. Mais pour faire de bons vins il faut plutôt de hauts degrés d’alcool. Il y a une consommation qui se développe pour l’apéritif et au niveau des femmes. Cela explique le développement de la bière ». La France est-elle devenue une superpuissance brassicole ? Si l’on se fie au nombre de brasseries en Europe, le pays du vin est celui qui en compte le plus, devant le Royaume-Uni ou l’Allemagne. Ce renouveau de la bière française s’explique notamment par l’effervescence de la culture "craft beer" dans les années 2010. Ces petites brasseries artisanales et locales, proposant un large éventail de goûts et de saveurs, loin de la production standardisée des géants comme Heineken ou Kronenbourg.
La bière est un concurrent depuis belle lurette
Pierre Desprat, directeur général de Desprat-Saint-Verny
Même si l’offre se diversifie, les Français sont toujours ceux qui consomment le moins de bière en Europe, derrière les Tchèques, largement en tête du classement des buveurs de bière. On consomme en moyenne 33 litres de bière en France par habitant chaque année. Pierre Desprat, par ailleurs associé à deux micro-brasseries, dans la Loire et dans le Cantal, insiste : « La bière est rentrée dans le marché traditionnel. Des restaurateurs ont une offre de bières en bouteille dans leur carte. La bière est un concurrent. Là où les croissances étaient exponentielles, depuis un an et demi, le marché de la bière a stagné l’année dernière et commence à baisser cette année. On revient sur la problématique alcoolique ».
A Clermont-Ferrand comme ailleurs, la bière a su trouver son public. Maryse Picard, responsable de la cave de l’Empire du Malt, souligne : « Le secteur de la bière se porte bien mais on voit que les clients regardent beaucoup les prix. Ils font très attention. Le panier moyen n’a pas forcément augmenté. Les clients se font plaisir, en prenant une bière abordable et une plus chère à côté. Le consommateur est très attentif. Nous, artisans, nous subissons les augmentations. Nos prix ont augmenté en cave. Les industriels ont pu proposer des offres plus alléchantes en grande surface. Les brasseurs ont des augmentations de l’ordre de 30%, pour les matières sèches et l’énergie ». Elle raconte : « Les bières locales ont le vent en poupe en centre-ville. La clientèle citadine se porte vers ces bières. Des brasseries ont émergé dans le secteur. Il y a environ 40 brasseries en Auvergne. Certaines s’en sortent mieux que d’autres. Certaines ont eu de grosses difficultés cette année ».
La bière, un refuge en temps d'inflation
La bière française a étoffé sa gamme. Maryse Picard rappelle : « Le choix des styles permet de sortir des classiques blanche/blonde/brune. L’offre est diversifiée et la qualité a augmenté ces deux dernières années. La France peut parfois sortir du lot à l’international. Les brasseries françaises sont un peu timides au niveau des concours ». En temps d’inflation, elle pense que la bière peut elle aussi se faire remarquer : « La bière peut être un bon refuge. On peut se faire plaisir à un prix correct. Mais il faut voir le travail des brasseurs, les ingrédients de qualité. On paie la qualité pour ça et pas pour une bière industrielle sans âme ».
Une bière qui a une âme, c’est aussi le pari d’Anne-Lise Amiot, cogérante de Plan B. Elle a créé cette brasserie clermontoise il y a plus de 10 ans. Après une embellie, l’entreprise subit elle aussi la crise : « La période de l’engouement est plutôt derrière nous. Nous fournissons les magasins bio et là, comme ils sont en grande difficulté depuis 18 mois, on connaît aussi des problèmes. Nous existons depuis 12 ans. Jusqu’à juin 2021, on se portait bien. Le verre et l’électricité ont augmenté. On a limité la hausse des prix des bières à 8% sur ces 2 dernières années. On a fait notre trou dans le paysage. On a des clients fidèles. On arrive à tenir ». La cogérante de la brasserie de Clermont-Ferrand se félicite de la fidélité de ses clients, malgré l’inflation : « Depuis une dizaine d’années, il y a une réelle appétence pour la bière. Nos revendeurs peinent. La vente directe fonctionne toujours bien. Chez nous, la vente directe représente autant que la distribution. On produit 250 hectolitres par an environ ».
Un véritable changement de paradigme est en train de s’opérer en France : le pays du vin est aussi en passe de devenir le pays de la bière. Chez les 25-35 ans, la bière occupe 32 % des parts de marché, contre 27% pour le vin. Inflation ou pas, la bière et le vin ont cela en commun : ils sont à consommer avec modération.