"J'aime mon métier plus que tout" : infirmière, elle a tout plaqué pour élever des vaches

Au Sommet de l’élevage de Clermont-Ferrand, il n’est pas rare de croiser des femmes éleveuses. Parmi elles, Flavie, venue tout droit de la Creuse avec Spirit P, un taureau limousin de plus d’une tonne. Cette ancienne infirmière a quitté sa blouse pour la tenue d’éleveuse. Un choix qu’elle assume avec fierté.

Avec sa silhouette fine, vêtue de jeans et d’une chemise blanche impeccable, Flavie détonne un peu des autres éleveurs présents au Sommet de l’élevage de Clermont-Ferrand. Cette éleveuse a quitté sa ferme familiale de la Creuse, à Jouillat, pour participer au concours national de limousine avec son champion, Spirit P, un taureau de 1 100 kg, « un beau bébé » de son propre aveu. Sur son exploitation, elle veille sur 400 animaux. L’éleveuse âgée de 32 ans a deux associés : elle travaille avec ses parents. Un choix qu’elle a fait depuis quatre ans seulement. Elle était jusque-là infirmière à Guéret. Elle explique sa reconversion : « J’ai grandi avec certaines valeurs. Je n’ai pas choisi d’être éleveuse tout de suite. J’étais infirmière. Je me suis reconvertie il y a maintenant quatre ans en raison de ces valeurs, de cet héritage. Je pense que tout cela se perd aujourd’hui. Il était important de revenir à des choses que je trouve essentielles. Le travail de la terre et l’élevage d’animaux sont l’avenir. Il ne faut pas le perdre de vue ».

"J’ai quand même un peu de nostalgie pour mon métier d’infirmière car je l’ai aimé"

Après une formation dans un lycée agricole d’Ahun, dans la Creuse, elle a obtenu un brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole. Une reconversion assumée : « Je ne regrette pas mon choix. J’ai quand même un peu de nostalgie pour mon métier d’infirmière car je l’ai aimé. Par rapport à mes valeurs et ce que je défends, je m’y retrouve davantage ici. On travaille avec du vivant, 7 jours sur 7 et c’est très astreignant. Mais j’arrive à me prendre quelques vacances. Il ne faut pas non plus se déconnecter du monde. J’aime mon métier plus que tout ». Elle n’a pas tout plaqué sur un coup de tête : « Sur le papier, cela paraît un peu radical comme changement mais dans la réalité, j’ai toujours vécu près de la ferme. J’ai toujours passé du temps avec les animaux.  L’idée d’une reconversion est venue quand mes parents ont commencé à envisager la retraite. Ils se sont posé la question de vendre. Je me suis dit que si je perdais cela, tout perdait son sens, je perdais mon équilibre. Pour faire mon choix, j’ai fait une année de transition en me formant. A l’hôpital, j’étais bien mais tout ne me correspondait pas. Je ne voulais pas que tout le travail de mes parents s’arrête. Leur héritage était trop important pour moi. Quand j’ai vu que tout cela pouvait disparaître, j’ai réagi ».

De fonctionnaire à...paysanne

Elle explique la réaction de ses parents, à l’heure de son changement de cap : « Mes parents ont ressenti un message de satisfaction et d’appréhension car on est quand même dans un métier difficile. On maîtrise peu de choses, on dépend des cours du marché. Tout ce qu’on achète a un prix qui augmente. On ne fixe pas nos prix. Il y a plein d’incertitudes pour l’avenir. Il faut être motivé et y croire. Mes parents ont aussi vu que je renonçais à un travail de fonctionnaire, avec un salaire tous les mois. Ils m’ont payé mes études et ils ont vu que je changeais mes plans. Cela a pu générer de l’inquiétude ». Aujourd'hui Flavie vie pleinement sa nouvelle vie de "paysanne".

Une robe froment, de solides appuis,son taureau est impressionnant. Ce jour-là, il concourt dans la catégorie des animaux de 26 à 33 mois. Spirit P a deux ans et demi. Le P de son nom évoque le gène Pold : « Il est génétiquement sans cornes. Habituellement on écorne les bêtes : on brûle les cornes quand elles sont petites, pour des raisons de sécurité et de praticité. Depuis plus de 20 ans, quelques éleveurs ont travaillé le gène sans cornes et cela se démocratise. Cela s’est fait par croisement d’animaux, avec le gène angus notamment. On a réussi à avoir des bêtes limousines qui de morphologie et de visu sont des limousines mais qui ont hérité de ce caractère sans corne. On est attaché au bien-être animal et l’écornage n’est agréable ni pour l’animal ni pour l’éleveur ».

Quelques heures avant le concours, Flavie Daillet, prépare son champion. Ils sont arrivés la veille à Clermont-Ferrand : « Le taureau a très bien vécu le voyage. On est venus dans notre petit camion, bien tranquillement. On n’a pas connu de stress, tout allait bien. Ce Sommet est incontournable car c’est un lieu de rendez-vous et d’échanges. Je suis là pour le concours national donc je rencontre les éleveurs de toute la France. L’intérêt est aussi de voir les autres races, le parc matériel et tous les professionnels du monde agricole ». 

"J'aime la race limousine"

A l’heure de la toilette, Spirit P semble apprécier son sort. Sa propriétaire indique : « Le taureau est content, il sort de sa stalle. Il a marché un petit peu. Il fait chaud sous le chapiteau. D’abord je le mouille, je le shampouine, je le sèche. L’étape la plus importante est celle du brossage : c’est là que tout prend forme, on veut que le taureau présente bien. Il passe son concours en fin de matinée, il faut qu’il soit au top de sa présentation. Il y a les adeptes de la lessive, du Paic citron. Moi c’est le shampoing. Je le brosse avec une étrille. Je veux donner le maximum de volume ». Flavie défend avec ferveur la race de son taureau : « J’aime la race limousine pour sa mixité. C’est une race à viande mais qui est aussi une très bonne allaitante. C’est une vache qu’on travaille pour rester rustique, en plein air, sans bâtiments ».

L'ex-infirmière aux petits soins pour son taureau

Elle espère que son champion fera une belle performance au concours : « Spirit P a ses chances car il présente un bon compromis par son volume, sa taille. Il porte de la viande. Il a un super bassin et joli quartier arrière, tout en gardant de la finesse d’os. Il est très bien racé au niveau de sa robe. Pour le concours, tout dépend du juge. Je pense que mon taureau ne sera pas ridicule mais je ne sais pas s’il pourra prétendre à un classement. Un classement est une vitrine, cela fait de la publicité et cela ouvre des portes commerciales. Mais le taureau n’est pas à vendre. On veut l’utiliser dans notre élevage, pour qu’il se reproduise et fasse des veaux ». Avec ses 1 100 kg sur la balance, Spirit P se fait remarquer dans les allées du Sommet. Son ascendance est prestigieuse : « Son grand-père maternel s’appelait Aramis, il est né chez nous. Son père, Star, a été acheté dans un élevage creusois. Aramis avait gagné sa section au concours national de Limoges en 2010. C’était un beau souvenir ». Avant le début du concours, le stress monte : « Il y a un peu d’appréhension, celle d’arriver à tenir son taureau en ligne. Ce sont quand même de grosses bêtes et avec des taureaux alignés, on ne sait jamais ce qu’il peut se passer. Il y a 13 concurrents en tout. C’est un gros investissement car il y a la préparation de l’animal qui se fait en amont, pendant des mois. L’alimentation représente le coût le plus important, ensuite c’est le temps passé. Il y a aussi les frais comme le logement pendant le Sommet de l’élevage. On travaille avec des marchands d’aliments pour trouver le produit le plus complet possible et qui lui corresponde le mieux. Il faut qu’il ne manque de rien car quand on pousse ces animaux-là à chercher la performance de croissance, il y a des risques physiologiques, notamment sur le foie, les reins. Il faut des aliments équilibrés. Il ne faut pas qu’il mange trop vite et qu’il prenne du poids trop rapidement ».

Ce n’est pas en mangeant des pilules, en construisant des immeubles et du béton qu’on va sauver la planète. Les vaches sont nécessaires

Flavie Daillet, éleveuse

Flavie ne met pas en avant sa féminité pour se distinguer : « Il y a de plus en plus d’éleveuses. Je ne suis pas dans une idée de girl power, avec des revendications. J’essaie juste d’être à ma place et de faire mon boulot. Tenir des taureaux peut être parfois un peu sportif, il faut être aux commandes et savoir gérer. La pression est aussi là ». L’éleveuse creusoise est vent debout contre l’agri-bashing : « Je pense qu’on n’est pas assez forts en communication et on se fait tirer à bout portant alors qu’il n’y a pas lieu d’être. Les gens prétendent défendre l’écologie mais ils ne la définissent pas comme il faudrait, selon moi. L’élevage est essentiel pour préserver les paysages. Les prairies sont très importantes. Cela fait des millénaires que les vaches sont là. L’homme est ce qu’il est aujourd’hui parce qu’il a mangé de la viande. Les vaches maintiennent les prairies et l’environnement ».

 "J’ai la foi en l’élevage sinon je ne serais pas là et je n’aurais pas fait ces choix-là"

La trentenaire est passionnée par son métier : « Ce qui me plaît le plus dans mon métier c’est la diversité et l’élevage. Je suis plutôt animalière et j’adore passer du temps avec mes bêtes. J’aime le côté agricultrice, en cherchant l’autonomie pour notre élevage. Il y a plein de taches différentes et je n’ai pas le temps de m’ennuyer. J’ai cette fibre depuis l’enfance ». Flavie va reprendre le GAEC avant 2030 si tout va bien. Tout dépend de la réforme des retraites. Le projet serait de travailler avec un salarié car elle sait qu’elle ne pourra pas tout faire toute seule. Avec ses parents, elle parvient à s’en sortir : « J’arrive à me verser un salaire. Dans un GAEC, on est tenus juridiquement de se sortir un SMIC annuel. C’est mon cas. Il y a l’importance de gérer l’entreprise : on n’est plus des agriculteurs, on est des chefs d’entreprise. Par rapport à mes parents, il y a plus de charges administratives. Les choses ont un peu changé. Le côté dématérialisé du métier a évolué et cela peut déplaire aux générations de mes parents ». Elle insiste : « J’ai la foi en l’élevage sinon je ne serais pas là et je n’aurais pas fait ces choix-là. On a beaucoup d’inquiétudes pour la suite mais je veux croire que la France est attachée à son élevage. Il faut que les gens se soucient de ce qu’ils vont manger. On ne peut pas tout importer. Ici, on nous demande d’être plus blanc que blanc et on nous a imposé des tas de normes. Je pense que ce qu’on fait venir d’ailleurs est beaucoup moins bien que ce que l’on fait ici ».

 

Une sixième place au concours

Il est midi et le concours de race limousine bat son plein. Avec plus d’une heure de retard sur le programme, Spirit P arrive sur le ring, sous le feu des projecteurs. Au milieu des 12 autres concurrents, le taureau se fait remarquer. Il est d’un calme olympien, comme son éleveuse, alors que d’autres taureaux sont plus agités. Un juge corrézien est chargé d’évaluer les concurrents. Après un défilé sur le ring et une longue attente, l’heure de la délibération a enfin sonné. Le juge se base sur une grille d’évaluation et attribue la sixième place à Spirit P. Il indique : « Il a un très gros quartier arrière avec une très bonne longueur de cuisse. L’animal est monté sur une ossature relativement fine. Je le pénalise un peu par rapport à sa rectitude de dessus ». Pour Flavie, le stress est passé. Elle est fière de la sixième place de son taureau : « Il s’est bien tenu et il s’est bien présenté. Une sixième place est un bon résultat. On ne pouvait pas espérer mieux aujourd’hui. La concurrence était là. Spirit P n’est pas un habitué des concours. Jusqu’à début juillet, il était avec un lot de vaches. Il était dehors et n’était pas du tout soigné pour la préparation du concours. Il a bien répondu à la préparation ». Le concours fini, Spirit P et Flavie retournent vers la stalle et le chapiteau. L’éleveuse est tout sourire. Elle peut désormais se consacrer aux échanges entre éleveurs et le public. Le Sommet ne fait que commencer pour elle.

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