Au Sommet de l’élevage de Clermont-Ferrand, certains agriculteurs pourront se renseigner sur la méthanisation. Une technologie qui permet de produire du biogaz à partir de déchets. Avantages, inconvénients : on vous explique comment ça marche.
C’est une technologie qui gagne du terrain en France. La méthanisation agricole est une solution pour décarboner l’énergie. Elle consiste à produire du biogaz à partir de déchets. On compte aujourd’hui près de 1 500 sites de méthanisation en France, avec 47 % des sites détenus par des agriculteurs, selon une étude des Chambres d’agriculture. Bertrand Duprat est agriculteur au Gaec de Laschamp, à Saint-Maignier, dans le Puy-de-Dôme. Il cultive des céréales sur une centaine d’hectares, qu’il complète par un peu d’élevage. Il est le vice-président de l’association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF). C’est un fervent défenseur de cette technologie. Il a installé une unité de méthanisation afin de revaloriser les déchets agricoles en digestat, un fertilisant inodore. « J’ai fait le choix de la méthanisation en 2014. C’est une diversification qui permet de valoriser des effluents d’élevage. La dégradation par méthanisation génère du biogaz, composé à 50 % de méthane. Cela nous permet soit de faire tourner un moteur pour la cogénération et la fabrication de l’électricité, soit, avec un épurateur, de trier les molécules et on remet cela dans le gaz de ville » indique l'agriculteur.
30 à 45 jours pour transformer une bouse de vache en biogaz
Philippe Métais, délégué Territoire Clermont Auvergne chez GRDF, est lui aussi un partisan de la méthanisation. Il indique : « La méthanisation permet d’utiliser le côté fermentescible des déchets : ce sont des biodéchets issus de notre vie quotidienne ou de déchets agricoles. Ils peuvent fermenter et en se dégradant ils vont produire un certain nombre de gaz. La méthanisation consiste à encadrer ce processus de dégradation, afin de capter la production de ces biogaz pour les réutiliser en valorisation énergétique. On peut les utiliser en injection de gaz, avec de la cogénération, en les brûlant pour faire de la chaleur, faire tourner une turbine et produire de l’électricité. On peut aussi gérer les déchets et récupérer ce qui reste à la fin de la digestion des déchets : c’est un amendement qui permet de se passer des engrais chimiques. L’idéal est d’avoir une sorte de mélange de déchets, à la fois liquides et solides ». Dans un cycle de méthanisation, il faut compter entre 30 et 45 jours entre le moment où une bouse de vache ou un biodéchet rentre dans le méthaniseur et le moment où on va valoriser le biogaz et l’amendement.
La vidéo ci-dessous explique comment fonctionne la méthanisation agricole.
Un gros investissement
Cette technologie a nécessité un investissement important. L'agriculteur indique : « Pour le premier projet, j’ai investi environ 2 millions d’euros. C’est une valorisation par cogénération. On fabrique 2 millions de kilowatts par an environ. Le gaz fabriqué est valorisé par un moteur et une génératrice. On revend la production à EDF Obligation d’achat grâce à un contrat, qui le revend aussi aux consommateurs ». L’agriculteur explique comment fonctionne son méthaniseur : « Le deuxième investissement s’est fait en 2018 et le dernier en 2022. Le méthaniseur tourne avec le fumier des vaches, avec les déchets de l’industrie agro-alimentaire, avec les tontes de pelouse, avec des intercultures. Cela se fait par opportunité, en fonction des déchets des uns et des autres. On a de plus en plus d’accidents culturaux, par exemple quand il y a un coup de grêle ou des mauvaises herbes qui ont poussé ». Sur son exploitation, 1 m3 de biogaz de méthane correspond à un litre de gasoil. Selon GRDF, le coût varie selon la taille du projet, si on est en injection ou en cogénération. Les plus petites installations ont un coût entre un et deux millions d’euros. Les plus grosses coûtent entre quatre et cinq millions d’euros. Les tarifs d’achat se font sur des contrats de 15 ans et le retour sur investissement est visé sur cette durée.
"Notre bilan carbone s’est amélioré"
Bertrand Duprat, agriculteur converti à la méthanisation agricole
L'agriculteur souligne : « Non seulement on produit une énergie renouvelable mais on obtient aussi un engrais. Cela évite l’utilisation d’engrais chimiques ». Selon lui, le modèle est vertueux sur le plan économique et écologique : « Il permet de valoriser des produits qui se dégradaient sans dégager de l’énergie. C’est la valorisation la plus noble de la matière organique. On récupère de l’énergie qui est devenue très chère depuis un certain temps ». L’investissement peut être subventionné : « Il peut y avoir des demandes d’aides de l’Europe via la Région et les fonds FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural ) et il y a aussi l’ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) et le Département pour les étude de faisabilité ».
"Il y a de beaux jours pour la méthanisation si elle est soutenue par les pouvoirs publics"
Bertrand Duprat, agriculteur converti à la méthanisation agricole
C'est dans le Cantal que le 50e site de méthanisation en Auvergfne-Rhône-Alpes a été enregistré par GRDF. Phillippe Métais, délégué Territoire Clermont Auvergne chez GRDF, précise : « Aujourd’hui, sur le territoire national on doit être à environ 600 sites de méthanisation agricole qui injectent sur les réseaux de gaz. Cela regroupe plus de 1 500 exploitations agricoles. Très souvent un agriculteur porte le projet et il travaille avec d’autres à côté de lui, afin de diversifier les intrants et les déchets qui sont importés. Les biogaz sont la seule énergie renouvelable en avance sur sa trajectoire de la PPE, programmation pluriannuelle de l’énergie ».
Gaz des villes, gaz des champs
Cette technologie est encore relativement récente, elle interroge forcément : « Les agriculteurs ont leurs propres convictions. Le travail est plus à mener sur l’acceptabilité de la société pour ces projets de transition agroécologique. On a parfois de l’incompréhension de riverains. Il y a des fausses idées qui circulent, notamment sur les odeurs. Une exploitation agricole qui a un site de méthanisation a un espace de stockage. S’il y a des odeurs, c’est que les déchets sont déjà en train de se dégrader. L’agriculteur n’a pas intérêt à ce que cela se dégrade en dehors du méthaniseur, pour ne pas perdre de la valeur. On peut aussi redouter des entrées et des sorties de camions pour apporter des déchets : tout dépend de la taille du site, mais c’est quelque chose que l’agriculteur doit gérer, pour qu’il n’y ait pas trop de rotations, s’il gère mal ces déchets ». Pour Philippe Métais, la méthanisation présente de nombreux avantages : « Avant d’être de la valorisation énergétique, la méthanisation permet aussi de décarboner son exploitation. Les engrais chimiques sont faits à partir de gaz fossiles. La méthanisation met aussi beaucoup de lien entre le rural et l’urbain, pour avoir une économie circulaire locale ». Dans le Puy-de-Dôme, le site de méthanisation de Saint-Rémy-de-Chargnat permet de produire du gaz pour l'agglomération d'Issoire. En Haute-Loire, un autre site situé dans la vallée du Haut-Allier alimente Brioude. Il y a actuellement 8 sites injectant du biométhane en Auvergne. Ils seront 10 à la fin de l’année 2023.
"Pour nous, la méthanisation est une technologie intéressante quand elle est à la ferme, gérée par les agriculteurs eux-mêmes"
Ariane Malleret, chargée de campagne agriculture de Greenpeace
L'association Greenpeace est plus mesurée au sujet de la méthanisation : « Elle permet de générer une énergie en circuit court, en valorisant des déchets organiques, dans une logique d’économie circulaire. Elle offre un bon complément de revenus aux agriculteurs. Mais les processus de méthanisation qui sont industriels et sans contrôles peuvent engendrer des catastrophes écologiques ». Elle redoute certains risques : « Il peut y avoir des accidents industriels car les unités de méthanisation font partie des Installations classées protection de l’environnement (ICPE). Elles sont entourées d’une réglementation en raison des risques qu’elles représentent pour l’environnement et des impacts possibles. Par exemple, il y a eu un accident dans le Finistère, à l’unité de méthanisation de Chateaulin, en 2020 : cet accident a privé d’eau potable des dizaines de communes à la fois. Il y a déjà eu des problèmes, il y en aura sûrement encore. Il y a aussi des risques de pollution des sols. On constate également des nuisances pour les riverains et les riveraines. Il y a des odeurs ».
"Un risque de spéculation foncière et d’accaparement de terres agricoles"
La porte-parole de Greenpeace craint aussi d’autres dérives : « A côté de cela, il y a aussi un risque de spéculation foncière et d’accaparement de terres agricoles. Tout cela est lié aux intrants qu’on apporte dans le méthaniseur. Il peut y avoir une concurrence avec l’alimentation humaine et animale. Aujourd’hui, le plus gros gisement de biomasse qui sert à alimenter les méthaniseurs est d’origine agricole. C’est une mine d’or pour produire du biogaz. L’enjeu est de trouver de la biomasse pour alimenter ces unités. Les céréales sont plus efficaces que les effluents d’élevage pour produire du biogaz. Un agriculteur va être tenté de cultiver des cultures dédiées et non pas d’utiliser des déchets agricoles. Se pose la question d’intensifier une pratique dans une logique de rentabilité et arrive le risque que cela devienne l’activité principale des agriculteurs. Cela risque de générer une compétition dans l’utilisation des terres, devenant une source de profit pour les grands groupes ».
"On n’est pas contre cette technologie mais pour un usage encadré. Elle doit rester à taille humaine et ne doit pas détourner des cultures à vocation nourricière"
Ariane Malleret, chargée de campagne agriculture de Greenpeace
Ariane Malleret appelle à un réel encadrement de cette technologie : « La méthanisation est intéressante, avec un réel intérêt économique et écologique pour les agriculteurs dans un contexte tendu. Mais son utilisation et son développement doivent être strictement encadrés. Son impact environnemental doit être évalué. Pour nous, tout projet doit faire l’objet d’une étude d’impact environnemental et doit se faire en concertation avec les riverains. ». Selon Greenpeace, la méthanisation ne doit pas être présentée comme une solution miracle.