Il y a quelques années le neurochirurgien de Clermont-Ferrand avait alerté sur l'évolution des risques dans le rugby. Aujourd’hui, après le décès d’un jeune rugbyman de Billom après un match, Jean Chazal incite les clubs et les autorités compétentes à se poser les vraies questions.
Vous avez été l’un des premiers à tirer la sonnette d’alarme, aujourd’hui quel est votre sentiment ?Mon sentiment, c’est que le rugby n’est plus le rugby. Le rugby a été créé par des universitaires anglais. C’était un sport d’évitement, un sport de stratégie et non pas un sport de combat. Or aujourd’hui, le surentraînement, la sur-musculation, l’homme augmenté, fait que le rugby est devenu un sport de contact, de collision et finalement un sport de combat. Et ce qui vient d’arriver dans notre région en est finalement l’expression.
Alors j’avais tiré la sonnette d’alarme, il y a maintenant un peu plus de deux ans. J’avais constaté, depuis environ une dizaine d’années, une augmentation du nombre de blessures, et de manières très significative depuis 5 ans. Avec un doublement du nombre des commotions cérébrales, pas seulement à l’extrémité céphalique, mais aussi des blessures à la colonne vertébrale, au niveau des genoux, etc.
Et le crâne est évidemment une zone sensible de notre organisme. Notre crâne ne peut pas se sur-muscler. Et les impacts de plus en plus forts m’avaient inquiété sur les conséquences crâniennes.
C’était pourtant une équipe de jeunes ?
C’est une équipe de jeunes, mais quand on pratique un sport tout petit, on prend l’exemple sur les professionnels. Et finalement, on a envie de pratiquer le jeu que l’on voit tous les week-ends et on a envie d’être aussi forts qu’eux, notamment quand on voit Ma’a Nonu (NDLR joueur néo-zélandais) donner des coups d’épaule par-derrière à des joueurs sans ballon avec simplement un carton jaune. Les jeunes n’ont pas le discernement et se disent que c’est comme ça qu’il faut faire. Ils prennent exemple là-dessus et ce n’est pas bien. On arrive à des drames qui étaient prévisibles. C’est vrai que j’ai dit un jour « il y aura un mort sur le terrain ». Là, c’est quand même dans les heures qui ont suivi un match. Il faut se poser maintenant des vraies questions. Il faut faire une enquête de fond et savoir exactement ce qu’il s’est passé, la relation de cause à effet, le type de traumatisme qui a été subi, le type de placage qui a été pratiqué, et en tirer des conséquences et prendre des mesures urgentes.
Quelles mesures faudrait-il mettre en place selon vous ?
Certains des amis de l’adolescent étaient venus me voir pour parler des risques de commotions, pour les aider à faire un TPE. Je l’ai fait pour le lycée d’Issoire, mais aussi pour le lycée de Chamalières et d’autres lycées de la région. Aujourd’hui on est devant cette situation dramatique. Ces amis sont choqués.
Il y a des mesures à prendre. Je pense qu’il faut replacer la formation dans la carrière professionnelle au collège, au lycée, à l’Université, dans les formations professionnalisantes.
Il faut aussi repenser le rôle des centres de formation avec de véritables cellules de prévention qui éduquent, non seulement les joueurs, mais également le staff, les médecins, les dirigeants, les arbitres. Il faut repenser les règles et les sanctions vis-à-vis des collisions sans ballon. Et enfin créer des cellules de formation au plaquage, parce que maintenant, c’est davantage une collision. À l’époque, il y avait l’évitement, mais aussi une technique du plaquage qui est très précise. Aujourd’hui, on a un petit peu oublié tout ça au profit du sport de combat. Non ce n’est pas un sport de combat. La boxe en est un et c’est très encadré : il y a des catégories de poids, il y a un arbitre pour deux boxeurs.
On est en train de tout mélanger. Ou alors il faut appeler autrement le rugby que l’on voit le dimanche à la TV, mais ça n’a rien à voir avec le rugby des centres de formation.
À l’époque, vous ne pensiez peut-être pas à ce qu’il y ait un mort parmi les jeunes rugbymen ?
Je pensais à tout le monde. Vous vous rappelez du jeune Ezeala, il a été séché sur le terrain, il était dans le coma, mais heureusement qu’il avait près de lui un médecin réanimateur, un médecin compétent qui a pris toutes les mesures pour le ramener à la vie. Ça, c’est la professionnalisation du rugby et c’est très bien. Le problème, c’est que l’on fait un amalgame. En Auvergne, il y a l’histoire Cudmore, mais Jamie Cudmore a subi des commotions qui auraient été pris en charge et qui ont été surveillées. Il a été arrêté un certain temps. Ça lui a permis de rejouer au rugby. Il ne faut pas faire d’amalgame, c’est différent. C’est en cela qu’il faut séparer le monde professionnel et le monde amateur. Je dirais, dans un sens, le professionnel est payé pour ça, il connaît les risques. Mais il fallait redouter que, dans un cadre plus amateur, un drame se produise, et il s’est produit.