Mercredi 12 janvier, Michelin a été condamné définitivement pour discrimination sexuelle, harcèlement moral et sexuel dans sa compagnie aérienne. La cour de cassation a rejeté le pourvoi effectué par le groupe. Un soulagement pour la plaignante, une pilote qui affirme avoir vécu un « enfer »pendant 5 ans au sein de la compagnie.
C’est l’épilogue d’une longue bataille judiciaire. Mercredi 12 janvier, la cour de cassation a rejeté le pourvoi du groupe Michelin. En 2019, puis en 2020, en appel, le groupe avait été condamné pour discrimination sexuelle, harcèlement moral et sexuel, licenciement abusif à l’encontre de Virginie Fournier, une femme pilote de Michelin Air Services, sa compagnie aérienne. Emmanuelle Richard, avocate de la plaignante, explique cette décision de justice : « L’arrêt de la cour de cassation est un arrêt de rejet, c’est-à-dire qu’il vient dire que les arguments de Michelin ne sont pas opérants. Elle ne se prononce que sur le droit et elle ne revient pas sur les faits, sur ce que la pilote a subi et sur la responsabilité de Michelin qui est engagée. Michelin disait que comme ma cliente est devenue malade à cause de son travail, les prud’hommes n’étaient pas compétents mais les juridictions de sécurité sociale. La cour de cassation dit que ça n'a rien à voir. Il y avait aussi la question de l’indemnisation du préjudice. Ma cliente a perdu une carrière entière de pilote, avec une déclaration d’inaptitude définitive prononcée par les services de médecine aéronautique ».
"Ca a été un soulagement intense"
Virginie Fournier, qui a aujourd’hui 38 ans, se satisfait de la décision de la cour de cassation : « Ca a été un soulagement intense. Après 4 années de bataille juridique et avant 5 années d’enfer et de souffrances au travail, c’est cela qui prime, car les choses s’arrêtent enfin, pour que l’acharnement de Michelin puisse être stoppé par cette décision. C’est une joie immense pour moi, d’avoir gain de cause et d’être reconnue dans tout ce que j’avais vécu. Mais aussi une joie intense pour pouvoir véhiculer le message qu’on peut s’attaquer au colosse, au molosse, au Bibendum, à cette machine de guerre. On peut gagner face à eux. J’ai été dissuadée de le faire à de nombreuses reprises, y compris par la médecine du travail. C’est une belle revanche. J’espère en tout cas pouvoir faire passer ce message à toutes les personnes qui sont en souffrance ».
"On ne se rend pas compte dans quel piège on tombe"
Virginie Fournier raconte ses 5 années passées au sein de la compagnie aérienne de Michelin : « Ces années ont été un enfer. C’est venu de manière très insidieuse, on ne se rend pas compte dans quel piège on tombe. Au début, je me suis dit que ça allait passer, qu’il fallait laisser passer du temps, que mon bourreau allait partir en retraite mais en fin de compte, ça n’a jamais été mieux. J’ai subi des humiliations répétitives, des remarques vraiment désobligeantes, des attitudes et des gestes très déplacés. Il y avait une volonté de me discréditer auprès de toute l’équipe et de me faire passer pour une folle, pour une menteuse, pour une fille de mauvaise vie. Cela a été très dur à vivre. J’ai traversé des moments difficiles, amplifiés au moment de la bataille juridique. Tout ce que j’ai vécu à l’intérieur de l’entreprise a été amplifié par les avocats de la partie adverse, qui sont allés chercher des détails sordides, remuer des ragots de caniveau, pour me donner une fausse réputation. Cela a été des humiliations perpétuelles. Aujourd’hui je m’en sors plus forte et fière ».
Une condamnation définitive
L’avocate salue cet arrêt de la cour de cassation, qui met un terme à la bataille judiciaire : « La condamnation de Michelin est définitive pour harcèlement moral, harcèlement sexuel, défaut de prévention, discrimination sexuelle. C’est enfin terminé pour cette pilote après 4 ans. On a la chance dans ce dossier d’avoir une justice qui a bien fonctionné. On critique souvent la lenteur de la justice et l’écoute parfois flottante des juges, mais là, elle a toujours été très entendue. On a pu plaider longuement devant le conseil de prud’hommes, on a eu une belle décision, on a pu replaider devant la cour d’appel, avec de nouveau une décision très détaillée. C’est important pour les victimes. Elle ne sera jamais replacée dans la situation qu’était la sienne mais la justice vient dire qu’elle a été écoutée ».
Une hôtesse de l'air devenue pilote
Emmanuelle Richard raconte le parcours de sa cliente, entrée en 2012 chez Michelin Air Services, à l’âge de 29 ans : « Elle était hôtesse de l’air. Elle a décidé de devenir pilote alors qu’elle n’avait qu’un DEUG d’italien. Elle a une volonté incroyable et elle a trouvé un professeur de physique qui l’a faite travailler. Elle a dû trouver des financements car issue d’un milieu modeste. Elle a emprunté 100 000 euros pour payer sa licence. Elle a d’abord travaillé pour une compagnie anglo-saxonne, basée à Dijon. Elle n’a jamais eu de problème d’intégration des femmes ».
" Elle a alerté sa direction"
L’avocate poursuit : « Etant d’ici, c’était symbolique pour elle de revenir à Clermont-Ferrand et de travailler pour Michelin, ça la faisait rêver. Michelin n’a jamais nié le fait que c’était une excellente pilote. Elle a subi le harcèlement sexuel d’un chef pilote. Il se collait dans le dos des filles, leur faisait des bisous dans le cou, leur assénait des réflexions sur leur tenue. Finalement ce harcèlement sexuel va se transformer en harcèlement moral. Elle a aussi été embauchée le même jour qu’un homme au même poste pour un salaire 30% inférieur. Elle a été constamment freinée dans son évolution. Elle n’a jamais pu passer commandant de bord alors qu’elle avait objectivement le meilleur dossier. Tout était bon pour entraver sa progression. Elle a alerté sa direction et on lui a dit qu’elle était trop sensible, qu’elle devait partir si elle n’était pas contente ».
" Tout le monde savait"
Emmanuelle Richard dénonce la responsabilité de Michelin dans cette affaire : « Elle est sidérante. Ils n’ont jamais dit qu’ils savaient ce qu’elle a subi, qu’ils allaient réfléchir à l’intégration des femmes dans leur compagnie. S’ils avaient fait cela, je pense que ma cliente ne serait pas allée en justice. Dans ce dossier, il y avait je ne sais combien d’attestations, tout le monde savait. Ma cliente a fait de nombreuses alertes auprès des plus hauts dirigeants de Michelin, qui n’ont pas levé le petit doigt. D’un autre côté, Michelin n’est pas le dernier pour communiquer sur le management bienveillant. Ce double discours est quand même dérangeant ». L’avocate ajoute au sujet de sa cliente : « Elle sait qu’elle va pouvoir, seulement à partir de maintenant, se projeter dans une autre vie. Elle n’aura plus à penser à cela. Il va lui falloir du temps pour réaliser ». En appel, Michelin avait été condamné à lui verser près de 500 000 euros.
Une reconversion en cours
Aujourd’hui, pour la plaignante, l’heure est à la reconstruction : « J’ai voulu m’impliquer fortement dans cette bataille juridique, en préparant ma défense. En parallèle, je me suis reconstruit dans un chemin personnel et thérapeutique. J’ai trouvé des outils de reconstruction dont je veux faire maintenant profiter tous ceux qui en ont besoin. Ma reconversion sera pour l’accompagnement des personnes qui souffrent ».
"J’ai perdu gros"
Elle conclut : « J’ai perdu gros. J’ai perdu un métier, pour lequel j’avais investi beaucoup de temps et beaucoup d’argent. J’avais fait un emprunt colossal pour obtenir mes licences de pilote de ligne. Malheureusement pour moi c’est fini. Si je me suis lancée dans cette bataille juridique c’est pour les générations futures et les personnes qui sont victimes de cela. Si je peux être porte-parole et montrer qu’on peut sortir du silence, c’est gagné pour moi. Il faut inciter les personnes qui souffrent de harcèlement ou de discrimination au travail à se dresser pour faire valoir leurs droits ».
Contacté, le groupe Michelin n’a pas souhaité s’exprimer, indiquant qu'il ne voulait pas commenter une décision de justice.