« On a vampirisé nos âmes de soignants », Mélanie infirmière à l’hôpital Sainte-Marie de Clermont-Ferrand

Les équipes de l’Unité de soins longue durée de l’hôpital Sainte-Marie, à Clermont-Ferrand, sont à bout de nerfs. Épuisées physiquement et moralement, elles tirent la sonnette d’alarme sur leurs conditions de travail devenues intenables. Elles racontent et témoignent de leur quotidien.

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C’était mardi 5 juillet, Mélanie, infirmière, était à son travail dans l’Unité de soins longue durée, à l’hôpital Sainte-Marie, de Clermont-Ferrand. À bout de nerfs, elle craque et éclate en sanglots. « Souvent, on est en effectif minimum, c’est-à-dire qu’il y a une infirmière pour les deux étages et pour gérer 44 patients. Il y a une seule infirmière en poste le matin et une seule en poste l’après-midi ». Des conditions de travail qui se sont dégradées depuis son arrivée dans le service il y a 10 ans. Mélanie évoque son appréhension la veille d’aller travailler lorsqu’elle sait qu’elle sera seule dans le service : « Tout est organisé à la minute, c’est une course contre la montre. On a calculé pour la distribution des traitements, on passe 3 minutes par patient. Si on a une urgence comme une chute d’un patient qui nécessite un transfert, on est seuls. On n’a pas de collègue qui peut prendre le relais. Ça retarde le reste des soins et les patients nous attendent », explique la jeune femme.
Cette course contre la montre, Marion Morand, aide-soignante depuis 6 mois dans le service, le connaît bien aussi. « On prend 10 minutes par toilette et 5 minutes pour les faire manger. Quand on est en effectifs minimum, on n’a même pas le temps de faire des toilettes, parfois les patients ne sont pas douchés pendant deux semaines. On lave le strict minimum au lit ou au lavabo, juste le visage, les mains et la toilette intime ».

Les patients peuvent être parfois violents, ils peuvent nous frapper. Et comme on n’est pas assez nombreux, on ne peut pas les gérer comme il faut.

Marion Morand, aide-soignante

L’Unité de soins longue durée accueille majoritairement des personnes âgées de plus de 60 ans dont l’état nécessite une surveillance médicale constante. Pour l’unité de l’hôpital de Sainte-Marie, les patients ont souvent la particularité d’avoir des problèmes psychiatriques. « Ce sont des patients qui ont besoin de soins. Ils sont perdus et ils ont besoin d’un accompagnement constant. Ils me voient 3 minutes alors qu’ils ont besoin d’une présence. On ne peut pas prendre le temps de les rassurer », évoque Mélanie.
« Les patients peuvent être parfois violents, ils peuvent nous frapper. Et comme on n’est pas assez nombreux, on ne peut pas les gérer comme il faut. On récupère les patients qui tournent : on a des patients schizophrènes ; on a même une personne qui a Alzheimer elle ne devrait pas être là, elle se met en danger avec les autres patients, et on ne peut pas s’occuper d’elle », ajoute Marion Morand.

Et pourtant, l’USLD n’est pas considéré comme un service psychiatrique aux yeux de l’ARS. « Tous nos patients ont des traitements psy, on a un psychiatre. Mais on n’a pas les moyens et les effectifs d’un service psychiatrique parce que nous ne sommes pas considérés comme tels », continue Marion Morand.
Une reconnaissance qui pourrait faire la différence sur les effectifs. « On est censés avoir six infirmières, on en a seulement 4,80. Comme les aides-soignantes, on devrait être 8 pour chaque étage sur la semaine à tourner, mais généralement au rez-de-chaussée ils sont 4, deux le matin et deux l’après-midi », insiste l’aide-soignante. Au total, sur deux étages, le service comprend 42 patients. 

On attaque à 6 h 30 et on ne peut pas aller aux toilettes avant 13 h 30. 

Mélanie, infirmière

Pour Mélanie, infirmière, « dans un monde idéal » comme elle le dit, il faudrait deux infirmières le matin et deux infirmières le soir, tous les jours, toute l’année. Mais la réalité est toute autre. «Je me suis sur-adaptée à cette charge de travail, commence la jeune femme, des sanglots dans la voix. On ne prend même pas le temps d’aller aux toilettes. On attaque à 6 h 30 et on ne peut pas aller aux toilettes avant 13 h 30. Il n’y a pas longtemps, nous avions un patient en fin de vie, j’étais seule le matin. Je l’ai vu à 9 h, normalement, on est censés les voir plus régulièrement. On est infirmières, on accompagne nos patients jusqu’au bout, c’est pour ça que c’est un service de longue durée. On les prend en soin pendant des années. C’est dur de ne pas pouvoir les accompagner dans la bienveillance. Je n’ai pas signé pour ça. On a vampirisé notre conscience professionnelle, notre âme de soignants ». La jeune femme est en arrêt-maladie pour une semaine, après elle a droit à quelques jours de congés. « Je vais essayer de me reposer et de penser à autre chose, mais on est soignants, nos patients, on les ramène souvent avec nous ».

Depuis deux ans, je suis toute seule quand je travaille la nuit

Tatiana Micollier, aide-soignante de nuit

Tatiana Micollier travaille, elle, la nuit comme aide-soignante depuis cinq ans. Au début, elle travaillait en journée, mais très vite, c’est devenu « atroce », elle a donc demandé à travailler la nuit. Elle alterne des semaines cinq nuits (lundi mardi vendredi samedi dimanche) et de deux nuits (mercredi jeudi). Le problème pour la jeune femme, ce sont les étudiants en médecine qui sont embauchés en remplacement. « Les étudiants arrivent et ne savent pas faire. Quand je commence ma nuit, je fais un tour de change et je donne des collations, on essaye de discuter un peu avec les patients. Vers 5 h, on refait un tour. Mais entretemps, il y a du travail. Le problème, c’est que les étudiants ne restent pas assez longtemps pour être formés et connaître les patients. Je peux me retrouver avec un étudiant différent tous les soirs. Depuis deux ans, je suis toute seule quand je travaille la nuit ».
Ce qu’elle demande, ce sont des titulaires, des personnes qualifiées. « Une fois, je me suis retrouvée avec une étudiante un soir. Elle travaillait dans le service depuis 15 jours. Je lui ai demandé d’aller donner le traitement à un patient. Quand je suis rentrée dans la chambre, il l’avait agrippé par le bras. Elle était tétanisée. Elle n’a pas su réagir. Je ne peux pas les envoyer chez certains patients car ils risquent de prendre un coup. Je dois protéger les patients. On est seule à gérer le service et les étudiants ».
« Depuis le mois de janvier, on a interpellé la direction pour la prise en soin de nos patients et le manque d’effectifs, et on n’est pas entendus du tout, ajoute Mélanie. Il y a d’autres services qui ont eu des problèmes d’effectifs et des mesures concrètes ont été mises en place comme des fermetures de service pendant l’été, la répartition des patients dans d’autres services, ou même la répartition des soignants. Une unité psychiatrique a été fermée pour l’été, on attendait des renforts mais personne n’est venue ».

Les effectifs sont difficiles à trouver. On n’arrive pas à remplacer de manière pérenne

Laurence Chardon, directrice adjointe des opérations sanitaires

Du côté de la direction, on assure que les négociations avec l’ARS sont en cours pour que l’USLD acquière une spécificité psychiatrique. « Concernant les effectifs, on est dans un contexte difficle au niveau national, évoque Laurence Chardon, directrice adjointe des opérations sanitaires. On n’arrive pas à stabiliser les équipes, on travaille donc beaucoup avec des remplaçants, ce qui met en difficulté le service, les équipes et les patients. Il y a un épuisement général des équipes et nous le savons. On travaille dessus avec les moyens qu’on a. Les effectifs sont difficiles à trouver. On n’arrive pas à remplacer de manière pérenne ».
La direction affirme avoir gelé les admissions dans le service, mais seulement pour l’été. « La problématique est identifiée, et même si on a peu de moyens d’actions, on va essayer de travailler sur autre chose comme la formation, ou encore des solutions techniques qui peuvent faciliter le quotidien des équipes ».

Les soignants de l’ULSD attendent aussi une augmentation de salaires. Un moyen selon eux de faire en sorte aussi que le service soit plus attractif et donc d’attirer des candidats. « Le risque est que par épuisement professionnel, on peut faire une erreur d’administration de traitement à nos patients, insiste Mélanie. La situation est urgente »

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