PORTRAITS. Rencontre avec des passionnés de 2cv : " À bord de la deudeuche, on ne peut avoir que le sourire"

Près de Clermont-Ferrand, une bande d’amis partagent le même amour pour une légende de l’automobile : la 2cv. Plus de 30 ans après la fin de carrière de cette voiture mythique, ces passionnés gardent toujours un amour inoxydable pour elle, malgré les décennies.

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Six voitures trônent dans la cour intérieure de Jacques. Toutes des 2cv qui semblent être sorties d’usine. À mon arrivée, ce n’est pas un concessionnaire auto qui m’accueille mais une bande d’amis. Gilles, Jean-Luc, Michel, Jacques et Joël rient ensemble, accoudés à leurs belles autos dont la peinture brille comme au premier jour. Une bande de copains qui aiment se retrouver, passer du bon temps mais surtout qui adorent parler deudeuche.  

“Ceci n’est pas une voiture… mais un art de vivre” 

Quand on cause voiture avec les amoureux de cette boite de conserve qu’est la 2cv, on évoque bien sûr ni l’odeur du cuir, ni la puissance du moteur : 100 km max, un seul rétroviseur, pas de compteur, pas d’airbag, pas d’autoradio, pas de climatisation, mais une bonne bouille sympathique. Et c’est tout ce qui compte : “Ceci n’est pas une voiture… mais un art de vivre”, souligne Jean-Luc. Cette phrase est bien connue des amateurs de deudeuche. Et surtout, par Jean-Luc, puisque c’est tout simplement lui qui est le co-auteur de cette phrase célèbre que l’on voit sur tous les pare-brises des fans de deudeuches : “Cette phrase a marqué les gens parce qu’elle vraie. Cette voiture, elle n’est pas là seulement pour être conduite mais pour être vécue. C’est une expérience à vivre”. Gilles renchérit : “Pour la majorité des gens, une voiture sert seulement à emmener d’un point A à un point B. Ils ne prennent aucun plaisir à conduire une bagnole. La deudeuche, c’est différent. On prend du plaisir à la conduire”. Joel renchérit à son tour : “Je dirais mieux que ça, on rend heureux les gens avec notre 2cv. Dès qu’ils nous voient rouler avec en ville, ils nous font signe, ils veulent prendre une photo. Elle séduit vraiment tout le monde”. 

“Cette voiture me donne la banane” 

Dans la bande de copains, chacun aime la 2cv à sa façon : Jean-Luc connaît son histoire sur le bout des doigts, Gilles a appris à la rendre belle comme au premier jour,  Jacques tente de fédérer d’autres passionnés et Michel et Joël aiment juste la faire rouler et la bichonner. Ils sont tous tombés amoureux de cette voiture mythique de manière différente. Ce n’est certainement pas le vrombissement du moteur ou sa puissance qui l’ont séduit. C’est bien plus que ça. Gilles nous raconte sa première fois avec la deudeuche : “Durant ma carrière de garagiste, j’ai eu le loisir de réparer quelques 2cv. J’avais un ami qui avait une 2cv nouvelle génération et venait souvent la faire réviser chez moi. Et cette deudeuche-là, à chaque fois qu’il montait dedans il avait la banane. Il était heureux. Ça a été une révélation à ce moment-là. Moi aussi, je voulais avoir la banane en conduisant une bagnole”. Et ce sourire ne semble avoir jamais lâché le visage de Gilles depuis ce moment précis. Depuis qu’il est à la retraite, ce bon vivant ne roule qu’en deudeuche. Pour lui, aucune voiture ne rivalise avec cette légende :  “Vous voyez les gens à bord d’autres voitures, ils sont ternes, monotones. Nous, à bord de la deudeuche, on ne peut qu’avoir le sourire. Cette voiture me donne la banane”

C’est dans ses “moins” que Gilles a découvert le petit plus de la 2cv : ”C’est une voiture simple. Elle a un moteur agréable : on n'est pas obligé de monter dans les tours. Ce n’est pas une voiture de course. C’est le tracteur au quotidien, plaisante Gilles. C’est agréable. Quand on vit à la campagne, on n'a pas besoin de Ferrari”. Il ajoute : “Dans le garage, j’ai une Mercedes de 240cv, à chaque fois que je la sors je perds un point ou trois. Donc c’est fini, elle reste dans le garage, la 2cv c’est beaucoup mieux”. Si Gilles est tombé amoureux de la 2cv de manière fortuite, Jacques, lui, a décidé de lui jurer fidélité : “J’ai toujours connu une 2cv à la maison. Mes parents ont toujours roulé en Citroën. Ma première voiture, quand j’ai eu mon permis de conduire, c’était une 2cv. J’ai eu quatre 2cv successivement dans ma vie. Je l’ai un peu trahie à un moment donné mais je suis vite retourné à mes premières amours. Dès mon retour en Auvergne, j’en ai acheté une puis deux, trois, quatre …. puis ma femme m’a dit ça suffit”, s’amuse Jacques. Alors à défaut de pouvoir collectionner les grandes autos, le passionné se réfugie sur leur version miniature. Plus de 1200 sont exposées chez lui, comme des trophées.

Puisque la 2cv ne se parle pas mais se vit, Gilles propose une petite balade en deudeuche. Assise sur la banquette arrière, me voilà propulsée dans un film d’époque : entre Truchaud et Louis de Funès. Il me propose de m’essayer à la conduite de cette chaise longue sous parapluie. Ne voulant pas incarner le célèbre Corniaud, j'hésite mais je finis par accepter. Le levier de vitesse, le frein à main, le volant, tout est différent. Tout est à réapprendre. Je passais, en réalité, sans le savoir, mon permis spécial deudeuche. 

La deudeuche : une voiture made in Puy-de-Dôme 

Les premières 2cv de ces passionnés datent des années 70 ou 80 mais l’histoire de cette voiture est bien plus ancienne. Elle a commencé dans le Puy-de-Dôme, à quelques kilomètres de Clermont-Ferrand. Jean-Luc, l’encyclopédie de la deudeuche de la bande, connait bien cette petite histoire. Il raconte : “ En 1934, Citroën est passé sous le giron de Michelin. Pierre Boulanger était déjà employé de l’entreprise puisqu’il habitait à cette époque à Clermont-Ferrand, à l’avenue Carnot pour être précis. Lorsque Michelin a repris Citroën, Pierre Boulanger a été nommé patron de Citroën. Il a ensuite déménagé à Lempdes”. Il raconte comment l’idée de la 2cv est née : “La légende dit que Pierre Boulanger circulait, un jour de marché, dans un village près de Thiers. Il se serait retrouvé dans un embouteillage et aurait vu tous ces gens coincés avec leurs carrioles, ânes, chevaux, charrettes. Et c’est là qu’il se serait dit qu'il fallait une voiture qui leur permettrait de vendre leurs productions agricoles. Et idéalement, que ces produits puissent être vendus par des femmes. Donc une voiture facile à conduire par une femme, selon l’époque. La femme pourrait donc vendre les produits sur le marché pour que son mari puisse bosser à la ferme au lieu de poireauter au bistrot”, ponctue Jean-Luc, avec humour. Gilles renchérit : “François Michelin conduisait sa propre 2cv. Ce n'est pas des racontars”

Jean-Luc poursuit : “Ils voulaient mettre à disposition une voiture fiable et économique qui puisse s'adresser à des populations rurales. Il fallait qu’elle puisse aller partout. Une voiture qui puisse être utile pour des médecins, des facteurs, des vétérinaires, des curés…”. “Et même des bonnes sœurs !”, lance Michel pour plaisanter. Plaire aux habitants des milieux ruraux, c'était, en effet, l'objectif. Il fallait donc, à tout prix, remplir un cahier des charges bien précis : pouvoir transporter quatre personnes et 50 kg de pommes de terre à bas coûts dans des chemins défoncés. C'est en 1948 qu'elle a été présentée pour la première fois au public, au salon de l’auto. Elle a été commercialisée une année plus tard et a connu la carrière qu'on lui doit aujourd'hui. 

Une voiture “increvable” 

Près de 80 ans après sa création, cette voiture reste un bijou high-tech version après guerre pour ces mordus de 2cv. En fin connaisseur, Gilles explique toute la technologie insoupçonnée qui se cache sous ce tas de ferrailles : “Quand vous braquez sur un chemin, lorsque que vous êtes en 2cv ce sont les roues avant qui tirent la voiture. Elles vous emmènent donc dans le virage. C’est ce qu'on appelle des voitures à traction. Dans les voitures à propulsion, qu’étaient toutes les voitures de l’époque sauf la 2cv, ce sont les roues arrière qui vous poussent. Ici, si vous braquez, la voiture a tendance à aller tout droit. Aujourd’hui, toutes les voitures sont à traction. Elle était en avance sur son temps, plus d'un demi-siècle d'avance !”, assure Gilles. 

L’autre particularité de la 2cv : son moteur. Les 2cv ont presque toutes des moteurs refroidis par air. L’avantage c’est que ça ne tombe pas en panne : pas de radiateurs, pas de durite, pas de liquide qui risque de geler, etc…Certes, le moteur est légèrement plus bruyant mais on simplifie au maximum et ça coûte moins cher”. C’est justement cette simplicité de fabrication qui a séduit ces passionnés : “On peut facilement la restaurer, l’entretenir. Les pièces d'origine sont accessibles. Maintenant, on est capables de vous faire une 2cv neuve, de A à Z”, garantit Gilles. Pour une 2cv opérationnelle, comptez "5 000 euros", selon lui. 

Dans la cour de Jacques, ces voitures de plus de 30 ans ont accompagné ces amoureux de la 2cv dans tous leurs voyages. Une résistance, malgré les années, qui continue d’étonner Gilles : “Elle est increvable ! C’est fou que plus de 30 ans après la fin de sa production, elle est encore utilisée pour des voyages, des raids, etc… On ne peut pas en dire autant des autres voitures de l’époque. En 2023, on ne voit pas de Renault 16 ou de Simca 5 faire plus de 500 km dans le désert”

“Même mes enfants veulent leur deudeuche” 

En 2023, la 2cv reste toujours aussi populaire. Avec plus de 70 ans d’existence, elle reste la voiture française préférée des Français. En effet, elle continue de plaire encore aujourd’hui, même aux plus jeunes : “Mes enfants, quand ils étaient petits, ils voulaient toujours que je les emmène en 2cv, raconte Jacques. Puis à l’adolescence c’est devenu : “Ah non, c‘est quoi cette voiture de ringard ?”. Et maintenant, même mes enfants veulent leur deudeuche”. Ce qui séduit dans la 2cv, c’est toujours son côté simple et pratique. Gilles raconte : “Au début, mon fils aimait plutôt les voitures modernes. Mais en tant que berger, il s’est rendu compte qu’elles n’étaient pas du tout pratiques. Alors, il a essayé la 2cv. Il s’est aperçu que pour emmener ses filets et son matériel, c’est ce qu’il lui fallait, c’était parfait”

Ces cinq fous de la 2cv tentent alors tant bien que mal de continuer à faire vivre la légende : “On la fait vivre en la faisant rouler. Le jour où elle arrêtera de rouler, ce sera le signe de la fin de la 2cv”. Alors, c’est à travers leur club des amis de la 2cv que Jacques, président de l’antenne régionale de l’association, essaie de perpétuer la mémoire de cette voiture mythique : “On organise des rencontres, des raids, des voyages,... On essaie surtout de donner un maximum d’informations à des novices qui aimeraient découvrir la 2cv”

Prochaine étape, pour ces amoureux de la “deux pattes”, la rencontre internationale de la 2cv qui aura lieu en Suisse, pour rencontrer d'autres fous de la deudeuche. 

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