Début novembre, les juges des enfants de Bobigny dénonçaient le manque de moyens investis dans la protection de l'enfance et la difficulté à mettre en place les mesures qu'ils prennent pour protéger les enfants en danger. Un constat que font aussi les magistrats de Clermont-Ferrand.
Dans le bureau du juge des enfants, une famille en proie à de lourdes difficultés comme tant d'autres ici. Aujourd'hui, les parents et leurs deux enfants sont reçus, accompagnés par les travailleurs sociaux qui les suivent. Objectif de cette audience pour la magistrate: évaluer la situation et décider si elle prolonge ou non le placement en foyer décidé il y a un an.
Car si les juges des enfants sont amenés à sanctionner des mineurs délinquants, 80% de leur travail se fait auprès de familles en difficulté afin de mettre les enfants à l'abri et leur permettre de grandir le mieux possible.
Évaluer les situations des enfants repérés comme étant en danger ou en grande précarité, c'est la mission première des juges des enfants et c'est aussi celle de l'aide sociale à l'enfance.
Pour répondre à ces situations, des mesures d'assistance éducative peuvent être proposées aux familles, mesures qui consistent à mettre en place un suivi régulier par un éducateur spécialisé qui intervient à domicile, pour aider les parents comme les enfants à construire un quotidien sécurisé.
4 à 6 mois d'attente
En 2018, dans le Puy-de-Dôme ce sont 1600 mesures qui ont été prononcées. 10% de trop pour les trois associations mandatées par le conseil départemental pour les appliquer.
Ainsi par exemple, sur les 411 mesures actuellement confiées à l'ANEF, 46 sont en attente, les éducateurs ne pouvant pas prendre en charge plus de 30 familles chacun pour pouvoir exécuter leur travail correctement.
"On est dans un délai beaucoup trop long, explique Gilles Loubier, le directeur général, puisque pour ouvrir une mesure il faut attendre en 4 et 6 mois. C'est beaucoup trop long d'autant qu'il ne faut pas oublier qu'avant il y a déjà eu une évaluation sociale pour diagnostiquer la difficulté que rencontrent l'enfant et sa famille, diagnostique qui peut prendre jusqu'à six mois".
Des situations
qui s'aggravent
"Le risque c'est que la situation se dégrade et qu'on soit obligé de placer l'enfant en urgence parce qu'il n'y a pas eu d'intervention dans la famille, déplore Aline Olié, juge des enfants à Clermont-Ferrand . Pourtant une intervention rapide et soutenue aurait permis de faire un accompagnement à la parentalité suffisant... Mais le fait que personne n'intervienne va entraîner une situation qui va s'aggraver".
En 2018, le conseil départemental en charge de l'aide sociale à l'enfance y a pourtant consacré 10% de son budget global, soit un peu plus de 57 millions d'euros. Un effort jugé par tous insuffisant.
"C'est compliqué pour le département qui a des contraintes budgétaires et financières imposées par un état qui contraint les collectivités territoriales de plus en plus fortement, souligne Alexandre Pourchon, premier vice-président du conseil départemental chargé des solidarités sociales. Maintenant, que l'état, qui réaffirme encore aujourd'hui que les départements sont les chefs de file de ces politiques de protection de l'enfance, nous laisse le soin de lui octroyer les moyens nécessaires!"
De plus en plus
de familles concernées
Si les moyens baissent, le nombre de familles nécessitant une prise en charge est pourtant en constante augmentation.
"Dans le Puy-de-Dôme on ne fait pas face à un pic mais à une situation qui dure depuis des années, poursuit Gilles Loubier. Il y a quatre ans, le conseil départemental avait ouvert 270 agréments pour des mesures, 90 par association. Mais aujourd'hui, on est revenu à la même situation, on est à nouveau saturé. On est face à un problème sociologique car la population se paupérise de plus en plus et il y a de plus en plus de parents qui rencontrent des difficultés pour élever des enfants qui sont de plus en plus difficiles, notamment à l'adolescence".
Une situation aggravée par l'arrivée massive de mineurs non accompagnés dans le département, ces jeunes migrants qui viennent s'ajouter à la liste déjà trop longue de tous ceux qui ont besoin d'aide.
Cette année, l'aide sociale à l'enfance a pris en charge plus de 500 d'entre eux et le budget qui leur est consacré est passé de 3,2 à 6,5 millions d'euros.
"Le flux des arrivées fait que notre dispositif est largement submergé, précise Martine Labreveux, directrice de l'aide sociale à l'enfance. Aujourd'hui nous avons 260 MNA à l'hôtel en attente d'évaluation. Quand ils auront été évalués, s'ils sont bien mineurs, on va les faire passer dans d'autres dispositifs qu'on a crées depuis deux ans, notamment 280 places exclusivement pour les MNA".
Des moyens en baisse et des besoins en hausse... la prise en charge de l'enfance en danger inquiète. Et si un quatrième poste de juge des enfants vient d'être créé au tribunal de Clermont-Ferrand, les magistrats s'associent à leurs collègues de Bobigny, craignant comme eux de devenir les juges des mesures fictives.
"C'est un peu dommage de se dire que c'est ce manque de moyens qui fait perdre aux familles une chance de s'en sortir, conclut la juge, parfois parce que lorsque les familles arrivent à adhérer à des mesures éducatives, on peut faire un travail intéressant avec elles".