Tellement impatient de renouer avec la vie d’avant, après presque 7 mois de fermeture, l’unique bistrot de Saint-Saturnin (Puy-de-Dôme) ne manquera pas la reprise. A l’heure du déjeuner de ce 19 mai, sa terrasse affiche déjà complet. Il y aura à boire et à manger comme autrefois.
A Sain-Saturnin, dans le Puy-de-Dôme, le Bistrot d’Ici semble avoir compté les jours. Ces longs jours interminables d’automne et d’hiver qu’on adore avec tout ce gris ciment qui scie les jambes. D’un simple regard au-dessus de la tireuse à bière émerge le calendrier au mur resté figé à la date du… 30 octobre 2020.
Comme si le temps s’était ici arrêté. Mais de la patronne aux serveurs, tous veulent remettre les pendules à l’heure et fissa. Justement, chiffon en mains, huile de coude, sur la terrasse, Valentin astique une à une, chaises et tables aux couleurs bigarrées, cibles laissées en pâture aux volatiles en tout genre. Chapeau ! Certains ont tapé dans le mille, et, à en juger par l’énergie déployée par le préposé à la tâche, il y a manifestement un bail. Mais bon ! Valentin reprend du service et après tout, c’est bien tout ce qui compte n’est-ce pas ? « Je ne bossais plus depuis pas mal de temps et j’étais arrivé en fin de droits, il était vraiment temps que je reprenne. Franchement, je suis très heureux de travailler ici, la terrasse est magnifique, le chef cuisinier est très bon et surtout ce n’est pas l’abattage. Comme on dit dans notre jargon, ce n’est pas une place à business ! ». Le serveur est ici pour la saison avec sûrement la banane en bandoulière qu’on n’est pas encore près de voir. Hélas, masque oblige.
La soif des serveurs
Tout comme Valentin, Frédéric vient aussi d’être recruté pour les quatre prochains mois. Ces dernières semaines, il a d’abord goûté au chômage partiel, puis au chômage tout court. Moche. « Je vais travailler de 11 heures à 19 heures, six jours sur sept, et je ne me plains vraiment pas. J’ai toutes mes soirées pour moi et mes heures supplémentaires sont payées, il n’y a rien à dire ». Derrière le comptoir, Frédéric essuie les verres et sert le café dans des gobelets en carton que les habitués vont siffler debout, dehors par tous les temps. Un certain « Baby » est de ceux-là. C’est la poutre faîtière de la « maison ». Retraité, sa place est derrière le zinc et pas ailleurs, alors la terrasse…« Bff, moi je m’en f… » tonne-t-il, tout de go. Pas tant que ça à l’écouter. « Le problème c’est que quand il y a les gens en terrasse, ça me gêne pour passer et puis tout ce bruit. C’est pour ça que d’habitude je viens tôt le matin et un peu avant la fermeture le soir ». Son journal, son pain sous le bras, il est des rituels immuables auxquels Baby ne saurait déroger. Patricia, la patronne abonde : « Des gens comme Baby, la vie d’un café, ça compte vous savez ! S’il devait rester chez lui, il ne verrait personne de la journée ». Depuis quelques jours, c’est qu’il doit en revoir du monde Baby. Ne serait-ce que la valse des fournisseurs, de retour eux aussi aux affaires. « Ce matin, c’est le brasseur de Blesle (Haute-Loire) qui vient alimenter les stocks et depuis quatre jours ça n’arrête pas ! » s’enthousiasme la bistrotière. Il faut dire que les prochaines heures s’annoncent agitées en terrasse comme en cuisine.
On a l’impression que les gens sortent de prison !
Pour le coup, Frédéric ne chôme plus. En plus des verres qu’il dépoussière et des cafés à emporter qu’il sert, il est aussi pendu au téléphone et n’en finit plus de noircir les réservations. Et 4 personnes de plus à midi pour ce jeudi ! Rien, à comparer à ce qui l’attend lui et ses collègues ce mercredi 19 mai, avec une jauge en terrasse réduite de moitié. « C’est fou ! On refuse du monde : 40 couverts à midi, on est déjà complet et on va donc devoir faire un second service. Le téléphone n’arrête pas de sonner, on a l’impression que les gens sortent de prison ! ». La patronne surenchérit : « L’attente est très forte, des personnes m’ont même appelée pour réserver une table ne serait-ce que pour boire un coup, vous imaginez ? C’est du jamais vu ». Derrière son masque, se lit la joie libératrice de Patricia. Elle tranche avec l’humeur qui devait être la sienne il y a encore quelques jours. « Avec mon mari, on s’est attaché à maintenir le lien avec les clients. On ne l’avait pas fait lors du premier confinement mais là il le fallait. Alors, on a proposé des plats à emporter du mercredi au dimanche. C’était aussi un moyen pour nous de ne pas péter les plombs ! Nous qui étions habitués à travailler 72 heures par semaine. Passer de ce rythme à plus rien, c’était inconcevable ! ». Pour ceux qui avaient réservé leur retour en terrasse à midi, comme on réserve un voyage ou des vacances à l’autre bout du monde, le plat du jour annonce une côte de veau (300 g), accompagné d’un risotto forestier pour 10,50 euros. Et si d’aventure, elle tape l’incruste, la pluie pourra toujours bien tomber. Car, pour une fois, personne ne devrait s’en plaindre. Et au pire, Patricia dressera un barnum.
"Je suis un peu comme un élève avant une rentrée scolaire"
Ex-professeur d’anglais dans un collège de Thiers (Puy-de-Dôme), Patricia Labbe-Vilet a réenchanté sa vie derrière le comptoir de ce bistrot dont elle est l’heureuse propriétaire depuis six ans. Servie sur un plateau, interview derrière un café. En terrasse. Evidemment.
Que vous évoque le mot « terrasse » ?
Liberté, convivialité et rencontres.
Comment vous définissez la vôtre ?
Accueillante et gaie.
Qu’est-ce qui vous a le plus manqué durant ses derniers mois ?
La présence des gens.
Un souvenir impérissable sur cette terrasse ?
Il y en a tellement. Mais s’il faut en retenir un, je dirais un soir d’octobre 2019. Une association (Anis étoilé sise à Lempdes dans le Puy-de-Dôme) qui organise le festival Saveurs Sans Frontières était arrivée avec des danseurs et des musiciens. Des migrants étaient passés en cuisine pour préparer des recettes africaines. D’un coup, il s’était mis à pleuvoir des cordes mais ce n’était pas grave. Sous le barnum dressé à la hâte, on était bien, on était heureux, tous rassemblés, ensemble.
Un évènement inattendu sur votre terrasse ?
Une voiture était garée à proximité de la terrasse. Le conducteur n’avait sûrement pas serré le frein à main. Il est arrivé ce qui devait arriver, il s’est invité à la table des clients. Mais plus de peur que de mal.
Un instant de terrasse, ailleurs ?
Sans hésiter, à Florence en Italie. On venait d’arriver dans la ville, on préparait notre visite, là, au pied d’une basilique. Le café était délicieux, il avait coûté une fortune, peut-être 10 euros. Je peux vous dire qu’on l’a encore plus dégusté.
Est-ce que la réouverture de votre terrasse sera le prétexte d’une fête ?
Effectivement, on l’a prévu. On devait fêter les 5 ans de notre installation l’an passé mais…. Alors la bamboche du Bistrot d’Ici est toujours d’actualité. Elle se fera dès qu’on pourra. On attend simplement d’avoir plus de visibilité, un avenir un peu plus dégagé.
Un plateau avec des consommations dessus, vous craignez d’avoir perdu la main, après plus de 6 mois sans service en terrasse ?
Je n’en sais rien et c’est vrai que j’ai une appréhension. Je suis un peu comme un élève avant une rentrée scolaire. C’est drôle pour une ancienne prof comme moi ! (rires)