Après deux ans de crise sanitaire, les Français se retrouvent confrontés à l’augmentation des prix et aux conséquences de la guerre en Ukraine. Autant dire que le moral n'est pas au beau fixe. Dans les rayons d'un supermarché, nous avons donné la parole à des clients qui nous racontent leurs difficultés et inquiétudes.
Il est à peine 10 heures, un jour de semaine, il y a un peu de monde dans les allées de cet Intermarché de Clermont-Ferrand. Devant les oranges, une femme scrute les étiquettes. Valérie a 51 ans. Habituellement, elle est hôtesse de caisse, d’ailleurs, elle a suivi une formation pour ça. Mais depuis quelques semaines, elle est en arrêt maladie après une grosse opération. Alors quand on lui demande comment est le moral, elle répond directement qu’il n’est pas très bon. « On n’arrête pas de compter. Avec le prix du gaz et tout le reste, c’est très compliqué de vivre. Je gagne moins de 1000 euros par mois ». Elle raconte qu’elle a deux enfants : une fille qui vient d’avoir un bébé et un fils, âgé de 21 ans, encore en étude et qui vit chez elle. « Je fais toujours attention à ce que j’achète. Tout a augmenté, mais à côté, les ressources, elles, n’augmentent pas. Quand je fais les courses, je ne prends que ce dont j’ai besoin. De temps en temps, je prends des petites gourmandises pour mon fils. Il faut quand même se faire plaisir, c’est important surtout quand on a le moral dans les chaussettes ». La guerre en Ukraine, elle essaye de ne pas trop y penser même si elle avoue que ça l’inquiète aussi beaucoup.
Mais pas autant que Jean-Marc croisé près du rayon des poissons. Lui aussi confie que le moral n’est pas au beau fixe : « Quand on voit ce qu’il se passe à l’intérieur avec le prix du carburant, mais aussi à l’extérieur, c’est compliqué en ce moment. Ce qui m’inquiète le plus aujourd’hui quand même, c’est cette guerre en Ukraine, on espère que ça ne va pas déborder et venir jusqu’à nous. Ça ne devrait pas exister aujourd'hui ce qu’il se passe là-bas ». Le prix de l’essence aussi l’inquiète. Avant d’entrer dans le magasin, il a regardé les prix du carburant : le diesel est à 2,32 euros le litre. « On fait attention à tout, on regarde les promotions. On est obligés de se restreindre et de moins utiliser la voiture aussi ».
Je regrette d’avoir pris ma retraite, je ne sais pas comment je vais faire. J’ai perdu 1000 euros de salaire par mois, je suis au SMIC.
Sylvie, 62 ans
Sylvie, elle, a décidé de se passer de sa voiture. « Hier, je suis allée voir mon cousin, j’ai pris le vélo, à 62 ans, je me suis remise au vélo, dit-elle avec le sourire. Après, c’est bon pour la santé, ça me fait faire un peu d’exercices ». Derrière son sourire, Sylvie est préoccupée. Depuis quelques mois, elle est à la retraite. Elle travaillait depuis 40 ans dans la fonction publique. « Je regrette d’avoir pris ma retraite, je ne sais pas comment je vais faire. J’ai perdu 1000 euros de salaire par mois, je suis au SMIC. Ce qui m’inquiète le plus aujourd’hui, c’est l’augmentation des prix ». Pourtant, elle n’a pas trop changé ses habitudes alimentaires, elle prend les mêmes marques que d’habitude, mais en moins grosse quantité. « La viande, j’en mange deux fois par semaine, un morceau de viande rouge et un morceau de viande blanche. Je mange une tranche de jambon blanc et un morceau de poisson par semaine. Je faisais des entrées maintenant, je n’en fais plus. Je fais viande, légumes et dessert ». Même si parfois, elle se permet quelques petits plaisirs… « Là, je vais prendre des petits gâteaux pour ma petite fille parce que je veux continuer à gâter mes enfants, mais on réduit sur nous ».
D'ailleurs, elle a déjà réduit le chauffage et préfère mettre un pull, même si son mari n’est pas trop d’accord. « Quand je pensais être à la retraite, je me disais que j’allais faire plein de choses comme aller me balader, visiter des endroits, boire un café de temps en temps, je m’aperçois que je ne vais pas pouvoir le faire ». Son mari aussi est maintenant à la retraite depuis peu, il a perdu 1 500 euros sur son salaire chaque mois. « On savait qu’on allait perdre de l’argent avec la retraite, mais je me disais qu’on allait y arriver. Mais depuis que les prix ont flambé, non, on n’y arrive pas. On n’est pas malheureux, mais avant, on ne se privait pas. Je plains les générations à venir ». Elle a peur de la guerre en Ukraine et de l’après : « Les prix ont augmenté un peu plus avec cette guerre, mais je ne suis pas sûre qu’ils redescendent quand ce sera terminé ».
Au début, on a parlé de cette guerre avec eux, mais là, on a décidé de couper les médias. C’est trop pour eux moralement : ils ont traversé le COVID eux aussi, et maintenant la guerre.
Catherine, 48 ans
L’incertitude par rapport à l’avenir, voilà ce qui inquiète Catherine, 48 ans, mère de trois enfants : une fille de 18 ans, un garçon de 15 ans et une autre fille de 11 ans. « Je m’inquiète pour mes enfants. Au début, on a parlé de cette guerre avec eux, mais là, on a décidé de couper les médias. C’est trop pour eux moralement : ils ont traversé le COVID eux aussi, et maintenant la guerre. À leur âge, ils devraient être insouciants, mais ils ont déjà perdu cette insouciance depuis la crise sanitaire ». Il faut dire aussi que Catherine "accumule", comme elle dit lorsqu'elle se présente : « Je suis infirmière donc là, on commençait un peu à sortir la tête de l’eau avec le COVID. Mais là avec tout ce qui arrive, on essaie de tenir le cap, ce n’est pas facile parce que moralement c’est compliqué ». L’augmentation des prix n’est pas quelque chose qui l’inquiète. « Il y a toujours eu des hauts et des bas à un moment dans l’Histoire. On essaye de s’adapter, on consomme autrement. Un budget ça s’équilibre du coup, on change nos habitudes. Alors que la guerre, à notre niveau, on a aucun contrôle dessus. On ne sait pas jusqu’où ça va aller sachant que de chaque côté il y a des armes nucléaires ».
Ma priorité, c’est de payer mon loyer parce que je ne veux pas me retrouver dehors
Lydie, 63 ans
La guerre, le papa de Lydie l’a connue. Il lui en a beaucoup parlé lorsqu’elle était plus jeune. Aujourd’hui, elle a 63 ans, elle scrute les étiquettes du rayon des promotions et s’inquiète de voir des rayons vides. « Je suis retraitée et j’ai peur de me retrouver à la rue. Je n’ai pas une grosse retraite, il y a une importante inflation. Ça fait peur, on ne sait pas quand ça va s’arrêter. Je n’ai même pas 900 euros pour vivre. On se demande si on ne va pas aller vers la famine ». Elle doit donc s’adapter. « Je regarde les prix, il y a des choses que je ne prends plus. Je réduis de partout. Avant, j’aimais bien prendre des gâteaux, maintenant, je n’en prends plus. Je n’achète plus de sirop. Je ne prends plus de fruits, à la place, je prends des yaourts aux fruits quand ils sont en promotion. Les légumes sont hors de prix. Ma priorité, c’est de payer mon loyer parce que je ne veux pas me retrouver dehors et je ne veux pas être assistée ». On se quitte sur une citation de son papa comme un conseil aux générations à venir « Il faut garder une poire pour la soif, ça veut dire que s’il arrive quelque chose, j’ai toujours une autre moitié d’une poire pour m’en sortir ».
J’ai arrêté de fumer parce que mon plein de carburant me coûte 80 euros. Il faut trouver des économies là où on peut
Claire, 25 ans
Certains clients ont décidé aussi d’acheter moins de viande et de fromage. Antoine Lafond travaille depuis trois ans dans le magasin : « Les gens en ont marre. On solde les produits sur les dates courtes, c’est ce qui part le plus vite. Ils sont très attentifs aux promotions ».
Claire, elle, ne veut pas se restreindre sur l’alimentaire pour le moment et préfère faire des concessions ailleurs. Elle a 25 ans et travaille depuis un an. « C’est compliqué pour moi aussi. Je ne peux pas faire certaines choses. C’est un truc bête, mais j’ai arrêté de fumer. C’est bien, mais j’ai arrêté de fumer parce que mon plein de carburant me coûte 80 euros. Il faut trouver des économies là où on peut. On fait moins de restaurants. Je vais moins voir mes parents qui sont en Haute-Loire à cause des péages et du carburant. On fait attention ».
À choisir, je préfère avoir une augmentation des prix, qu’avoir une guerre. Je me sens en insécurité constante
Elodie, 32 ans
Laurent Lafond est le directeur de ce supermarché de la rue Fontgiève, à Clermont-Ferrand. Cela fait 30 ans qu’il travaille dans ce magasin. « Je n’ai jamais vu ça de toute ma carrière, j’ai connu la guerre du Golfe, mais les prix du carburant n’ont jamais été aussi élevés. Les gens sont moroses. On était contents de commencer à sortir de la crise sanitaire, maintenant, c’est la crise économique. Ce que les gens dépenseront dans l’essence, ils le dépenseront moins dans l’alimentaire ».
Une tristesse générale ressort de ces rencontres mais aussi une grande inquiétude. Élodie a 32 ans, elle est fonctionnaire. « J’espère que la guerre en Ukraine ne se transformera pas en guerre mondiale et que ça arrive en France. À choisir, je préfère avoir une augmentation des prix, qu’avoir une guerre. Je me sens en insécurité constante ».
Elle termine en disant qu’elle préfère vivre au jour le jour. Elle ne planifie rien pour l’avenir et vit l’instant présent.