Sur la route des vacances, à la rencontre des usagers de l'aire d'autoroute des Volcans d'Auvergne

Ce samedi 3 juillet donne le coup d’envoi des grandes migrations touristiques de l’été. Vers le sud, entre Paris et Clermont-Ferrand, l'une des étapes incontournables a pour nom Aire des Volcans d’Auvergne, sur l’autoroute A71, à Champs (Puy-de-Dôme). Carte postale d’une France en mouvement.

Samedi 3 juillet, ils seront plusieurs milliers de vacanciers à faire une pause sur l’Aire de repos des Volcans d’Auvergne, à Camps (Puy-de-Dôme) sur l’autoroute A71. Chacun en profitera pour se restaurer et immortaliser la vue imprenable sur la chaîne des Puys. Quant à nous, si l’on devait vous envoyer une première photo prise sur la route des vacances, voici ce que l’on y verrait :
- Au premier plan un chauffeur routier, hier encore adulé, fait sauveur de l’humanité. Aujourd’hui redevenu ce qu’il a toujours été aux yeux de beaucoup : camionneur. Le monde d’avant, c’est maintenant.
- A côté de lui, un patrouilleur, en chasuble jaune fluo, en train de ramasser des déchets à tour de bras. Au bout de sa pince, tout porte à croire qu’il tient là une belle prise. Un os de poulet, sûrement. L’idée d’un monde d’après était donc bien une utopie.
- Au second plan, sur une table de pique-nique, deux auto-stoppeurs, dont un aux cheveux longs et lunettes rondes, en train de taper dans le pâté local, sous la pluie. Cap sur la Corse en bateau-stop. Les confinements ont aussi nourri des rêves. Grands bains leur fassent ! Enfin, à ce propos, pris en flagrant délit d’orgies caloriques, un surveillant de baignade est en route pour faire la plonge dans un refuge du Vercors. En quelques clics, voici les souvenirs d’un voyage immobile, au carrefour des routes, une galerie de portraits, à la croisée des chemins de vies de chacun.

Pendant le confinement, on était les « meilleurs » soi-disant, on faisait tourner le pays, on alimentait le commerce, et aujourd’hui on est des m... !

Sabri descend de sa cabine, le téléphone sur l’oreille, les yeux cernés, le visage fermé. Lunettes de soleil, une paire de tongs, c’est l’été. Mais Sabri n’est pas en vacances. Il est parti d’Orléans (Loiret) à 7 heures. Et ils sont attendus, lui et sa semi-remorque, à Montpellier (Hérault). Il ignore tout de son chargement et s’en fout pas mal d’ailleurs. Il vient de se garer sur un emplacement réservé aux bus, juste à hauteur du panneau « interdit aux poids lourds », « parce que c’est plus près des boutiques » se défend-il. Ce qui n’est pas faux, au demeurant. Bon allez ! On ne va pas tourner autour du pot 107 ans, Sabri en a gros sur la patate. « Cela fait 19 ans que je suis sur les routes. Pendant le confinement, on était les « meilleurs » soi-disant, on faisait tourner le pays, on alimentait le commerce, et aujourd’hui on est des m... ! On emmerde les bagnoles, on pollue ». Tout comme avant quoi. D’ailleurs, quoi qu’il fasse ou qu’il devienne, c’est un fait établi, personne n’échappe à sa condition. Et si Sabri s’est garé à la place d’un bus, c’est aussi parce que « les camping-cars et les caravanes stationnent sur celles réservées aux poids lourds et l’été, c’est tout le temps la même histoire et c’est pire que le reste de l’année ! » s’emporte-t-il. « Ce n’est pas propre à cette aire d’autoroute, c’est partout pareil, il manque des places pour camions d’autant qu’on est de plus en plus nombreux avec les transporteurs de l’Est. La nuit, on est même obligés de se garer sur les bretelles d’accès en file indienne. Et comme c’est interdit, on se fait verbaliser. 135 euros et 3 points de moins sur le permis, à la charge du conducteur ». Il n’y a donc plus de traitement de faveurs.

L'ombre d'un retour à la normale

Le déconfinement accouche d’un retour à la normale. « Ce qui est dégueulasse, c’est que les étrangers ne paient eux que la contravention, c’est injuste ». Il n’y a pas si longtemps encore, les patrouilleurs, salariés de la société APRR* (*Autoroute Paris-Rhin-Rhône, exploitant de l’A 71 et de 2300 km de réseau autoroutier en France. 4ème groupe autoroutier d’Europe, 2ème en France, filiale d’Eiffage) réveillaient les routiers en pleine nuit, pour les inviter à stationner ailleurs, par mesure de sécurité, sans aucune autre forme d’autorité. Mais ils ont fini par renoncer, « il y a trop eu d’agressions » explique l’un des agents en chasuble fluo. Les routiers sont sympas mais il ne faut pas les réveiller. Ils sont comme tout le monde. Les patrouilleurs sont, eux aussi, très sympas. Ils veillent surtout au confort des usagers de l’autoroute. Par exemple, ils nettoient les pelouses jonchées de déchets en tout genre, laissés en souvenir de leur passage par les automobilistes et les transporteurs. L’un d’eux, qui tient à garder l’anonymat, tient aussi au bout de sa pince un de ces OVNI. Un Os Véritable Non Identifié. Serait-ce les restes d’un bon gros poulet fermier ou d’une côte de Bœuf ? Nul ne saurait dire. "Mais ça, c’est rien comparé aux toilettes !" tranche le préposé au nettoyage. Il poursuit "Là-bas, il faut avoir le cœur bien accroché, c’est pourri, vous n’imaginez même pas ! Et sur les parkings, le matin, c’est comme dans une féria, ça sent la pisse, d’ailleurs regardez bien où vous mettez les pieds !  Bien… bien… bon… ben euh…moi, je, je, je vais rentrer un peu ok ?"

La Toussaint en juillet

C’est dommage, l’aire des Volcans d’Auvergne jouit d’une telle vue panoramique sur la Chaîne des Puys. Il n’y a personne pour s’accouder à la table d’orientation. Pluie battante, 15 degrés, vents variables. Voilà la Toussaint en juillet. Comme à l’heure de rentrer du bois, certains font déjà des réserves pour l’hiver. Tel David, attablé au chaud, derrière un muffin, un soda et des chips. Le trio gagnant d’une orgie calorique. « Je me lâche à nouveau ! » reconnaît ce vacancier, large sourire en bandoulière, descendu depuis sa Sarthe quelques heures plus tôt. "C’est con parce que j’avais réussi à perdre 6 kilos en trois mois et là je stocke comme en plein mois de décembre". Une bouée sur le dos donc. Après tout, David est surveillant de baignade. Mais de tout ça, il n’en fera rien car dès demain, il donnera la main à des amis dans un refuge du Vercors. La plonge, peut-être.
 

Le fromage et le Saint-Nectaire en particulier, on n’en tient pas, c’est de la folie !

D’ailleurs, à la cafétéria de cette aire de repos, les touristes préfèrent les sandwichs, en face. Il suffit de prendre la mesure de la queue. Qui pour une part de quiche, qui pour un panini mozzarella- tomate. Un grand classique. Mais le viatique, le trophée, le bout de terre arraché à l’Auvergne, c’est bien le Saint-Nec’.  A 22 euros le kilo, il trône à l’entrée d’une boutique qui se revendique « 100% régionale ». Du couteau de Thiers, aux salaisons du Cantal et aux fromages de l’Allier et du Puy-de-Dôme, elle concentre 3500 références livrées par 100 fournisseurs locaux. Une vitrine des savoir-faire artisanaux et gourmands de la région. « Le fromage et le Saint-Nectaire en particulier, on n’en tient pas, c’est de la folie ! » s’en étonne même plus l’une des vendeuses, tout en parcourant les rayons du regard. Son responsable, Guillaume Brunmurol, abonde : « Je ne peux pas vous communiquer ni les chiffres ni les tonnes que l’on écoule ici. Ce que je peux vous dire c’est que ça se compte par plusieurs centaines de Saint-Nectaire par semaine et que quand vient l’été, on double nos livraisons, c’est que l’on fait en ce moment. Car on ne peut pas se permettre de ne pas satisfaire notre clientèle. Si bien que quand notre fournisseur ne peut plus nous livrer, nous avons un second et même un troisième fournisseur en secours ». La vache ! C’est la poule aux œufs d’or.
 

Je n’ai même pas eu le temps d’écrire la destination sur mon ardoise qu’un automobiliste avec son fils nous ont pris ce matin 

Les yeux dehors, depuis l’aube. Barthélémy et Josué mordent maintenant dans une terrine de cerfs aux airelles achetée au garde-manger auvergnat précédemment cité. A peine abrités de la pluie tenace, ils paraissent deux oisillons tombés du nid, là, sur le coin de leur table avec vue sur les voitures. 23 ans chacun, à la poursuite d’un projet un peu fou né d’on ne sait où. Partis d’Angers (Maine-et-Loire) avec leurs sacs à dos, ils nourrissent l’espoir d’atteindre la Corse dans deux jours, au doigt mouillé, et surtout le pouce levé au bord des routes, au bord des ports aussi. Ils sont auto-stoppeurs. Leur aventure est, ma foi, bien engagée. « Je n’ai même pas eu le temps d’écrire la destination sur mon ardoise qu’un automobiliste avec son fils nous ont pris ce matin », s’en félicite Josué, étudiant en géographie, « ils vont à Lyon ». Va donc pour Lyon et après ? « Ben…euh…après ? après, eh ben on verra ! » Et pour dormir ? « Pour dormir…ben euuuuhhhhh…où on pourra. Après, on a une tente donc ça peut être au bord de la route par exemple ! ». Bien sûr. Il va sans dire. Vu d’ici, la Corse n’a jamais semblé aussi si loin de Lyon d’autant que les deux copains ont l’intention de faire du stop jusqu’au bout. Jusqu’aux bouts de leurs doigts. « On est bons nageurs mais l’idée c’est de traverser la méditerranée en bateau-stop ! » annonce Barthélémy, étudiant en master de communication-événementiel. « On va faire un test PCR à Lyon pour pouvoir embarquer, et après soit depuis Toulon, Nice, ou Marseille, sur le port, on va demander à un pêcheur si l’on peut monter avec lui, et au retour, rebelote ! ». Mmmmmmouais. « Nos copains nous prennent pour des cons parce qu’ils disent qu’il y a plus rapide, comme l’avion ». Pour l’avion, on ne saurait mieux dire. « Mais nous on se dit qu’on participe à la lutte contre le réchauffement climatique et qu’on préfère découvrir les bons produits locaux comme cette terrine ou cette de tomme de Tronçais. Alors que si l’on avait pris l’avion, il aurait fallu se contenter d’un pauvre Sodebo ».

Pendant ce temps, l’automobiliste lyonnais était attablé à l’intérieur, avec son fils. Ils croquaient, tous les deux, à pleines dents dans un hamburger. Un routier reste donc un routier, un voyageur sera toujours un voyageur. De même qu’un commerce, un consommateur, un touriste. Tous assignés à résidence. Justement, hasard s’il existe, ce jour-là, à la radio, dans la voiture qui empruntait cette autoroute vers le sud, un historien interrogé sur les changements au lendemain d’une guerre répondait sans détour : « Oh vous savez, une société revient toujours à ses normes ».
 

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