Dans la région de Clermont-Ferrand, pays de montagne, Yannick Leduc, carreleur, a fait le choix de ne circuler qu'à vélo. Même pour son travail. Des raisons personnelles et éthiques. Mais ne lui dites pas qu'il est écolo ! L'homme se veut libre. Rencontre.
En ce matin d'hiver, le temps est chafouin. Un gris humide et froid. La neige menace. Dans son garage à Ceyrat, dans une petite ville cossue sur les hauteurs de Clermont-Ferrand, Yannick Leduc ne semble pas plus inquiet que cela. « Ah non, ça ne me fait pas peur ! Ce sont les 2-3 premières minutes qui piquent un peu. »
Dans sa remorque égayée d’un joli bleu ciel, il charge ses règles, ses seaux, ses truelles, son perforateur. « Je peux mettre jusqu’à 350 kg d’outils dedans », explique celui qui a repris son métier de carreleur il y a 2 ans et demi. « Et les palettes de carrelage sont livrées sur le chantier par les fournisseurs. » Yannick Leduc va tout simplement travailler…à vélo. Poussé par sa remorque. « Je l’ai découverte sur un chantier. Ils l’utilisaient à l’intérieur du bâtiment pour apporter les matériaux. A l’époque, je ne savais pas qu’elle pouvait s’atteler sur un vélo. »
Une remorque électrique avec un moteur dans chaque roue. Et autonome. « Elle a un petit cerveau qui lui permet de se déplacer toute seule. C’est comme un transpalette et c’est elle qui pousse le vélo. » Elle : la remorque. Yannick en parle comme si c’était une personne. Avec affection. « C’est mon bébé », lâche-t-il en riant. « Elle m’a déjà fait un ou deux caprices, faut apprendre à la connaître. Quand je suis sur le vélo, j’ai dû m’habituer à ce que ce soit elle qui me pousse. »
Et ainsi, depuis deux ans et demi, Yannick part travailler de bon cœur. A coups de pédale – car il en faut quand même. « J’ai arrêté de traiter les chantiers qui sont trop loin. Je me limite à un rayon de 15 km. »
Dans la rue principale de Ceyrat, la circulation est dense mais le carreleur a pris soin d’attendre que le flot des voitures soit déjà moins important qu’à l’heure de pointe du matin. Et quelle chance. Le froid est toujours piquant mais le soleil a décidé de pointer un petit bout de son nez. La neige attendra encore. La montée vers le chantier, dans un quartier de la commune, sur les flancs de ce qui dut être un volcan, se fait plus agréable. Mais Yannick Leduc, de toute façon, est à l’aise par tous les temps. Sur sa tête, un bonnet en forme d’ours. Il en possède aussi un en forme de lapin, le cadeau de Noël de sa fille. « J’en ai une dizaine comme ça. Je n’ai pas envie d’avoir le même look pendant 40 ans. » Et de se prendre trop au sérieux.
Et puis le cinquantenaire, cheveux accrochés sur l’arrière, assume son choix : « Quand tu vas faire du ski, tu ne te plains pas qu’il neige ou qu’il fait froid ! » Alors, chaque matin, Yannick est heureux d’être au contact des éléments.
Un monde meilleur
« Depuis 2017, je ne circule plus qu’à vélo ! » La conséquence d’un infarctus après une vie un peu trop vécue. « J’ai vendu tous mes véhicules et depuis 5 ans, je n’ai dû rouler que 15 fois au maximum en voiture. » Le vélo pour la santé. Et pour motif écologique. « Je veux apporter ma contribution pour un monde meilleur. Pour la planète, mes enfants et leurs enfants », lâche-t-il dans la côte et ses virages, sans être le moins du monde essoufflé. « Si ce n’était que pour moi, je ferais ma grosse feignasse et j’irais en véhicule en ville et je consommerais, je polluerais. »
Car Yannick Leduc n’est pas en guerre contre les voitures, à la base. « J’aimerais bien m’acheter une belle voiture, puissante mais ce n’est pas raisonnable. J’ai fait le choix d’être humble. »
Des graines et des steaks
Enfin, le chantier approche. Une belle maison en fin de rénovation avec une vue imprenable. De grandes dalles de carrelage grises attendent dans leur plastique. Ce sera pour la terrasse. Yannick est venu préparer leur implantation. Ce sera joli et contemporain.
« Ecolo ? Mais ce mot veut tout dire et rien dire. Je suis sensible à l’avenir et au futur de notre planète. Mais dire que je suis 100 % écolo, non. Sinon je mangerais des graines comme les poules. Mon père était boucher-charcutier. J’ai mangé des steaks très jeune. Si du jour au lendemain, je commence à manger des graines, ça va pas l’faire ! » Mais comme il le dit très bien, un grain de sable ajouté à d’autres grains de sable, on fait une plage. A chacun de faire sa part. Et puis la surconsommation, la pollution des eaux, les forêts qui brûlent, tout ça, en revanche, ça l’inquiète. « Je réalise la gravité de la situation. » L’effet de l’âge aussi. « J’ai passé 50 ans, j’ai conscience de ce qui est en train de nous arriver. » Pessimiste ? « Réaliste ! »
De la ressource
Mais il ne faut pas s’y tromper. Yannick, bonnet d’ours sur la tête, n’a pas l’âme pour autant d’un collapsologue. Dans le gris, il essayera toujours d’entrevoir la couleur. Ne jamais perdre le sourire, c’est un autre de ses leitmotivs. L’homme a de la ressource. Il n’a cessé de changer de métier et d’employeur tout au long de sa carrière. Chocolatier, cordonnier, carreleur, il rêve de ferronnerie, d’émaillage, de création de meubles. « Il existe tellement de choses ! J’aimerais tout savoir ! C’est comme ça que je me nourris. L’argent ne m’a jamais commandé. »
D’ailleurs, ses clients d’aujourd’hui ne savent même pas qu’il va venir chez eux à vélo. Ils le découvrent, étonnés, le premier jour du chantier. Yannick Leduc n’en a même pas fait un argument commercial.