Rester chez soi. Imprévisible scénario. Plutôt agréable au départ, vertigineux aujourd’hui. Suite des confidences de chefs confinés avec celui du restaurant Les Chênes, à Augerolles dans le Puy-de-Dôme et président des Toques d'Auvergne : Jean-François Fafournoux.
Cinq semaines que Jean-Francois Fafournoux, chef du restaurant familial Les Chênes à Augerolles dans le Puy-de-Dôme, n’a pas allumé ses fourneaux. Après le discours du Président de la République, il a compris qu’il ne remettrait pas son tablier avant l’été. Rester chez soi. Imprévisible scénario. Plutôt agréable au départ, vertigineux aujourd’hui.
Entre Livradois et Forez, entre Thiers et Ambert, Augerolles. Ce village de 900 habitants a vu grandir Jean-Francois Fafournoux, quatrième génération à vivre au pays de sa passion. Depuis l’âge de 14 ans, il a le bonheur d’être en cuisine. Et jamais il n’a pris plus de 15 jours de congés. Comment vivre cette parenthèse imposée par un ennemi invisible ? Comment vivre dans la maison familiale sans subir cette privation de liberté ? Le chef a rapidement trouvé des réponses pour apprivoiser cette séquence exceptionnelle : "ne prendre que le positif de ce confinement".
A 52 ans, confiné avec sa femme Muriel et leurs deux fils, Mathieu 26 ans et Léo 23 ans, le temps s’écoule sans contrainte. "C’est presque agréable, sans doute parce que je suis bien avec eux, et que j’ai toujours quelque chose à faire dans le jardin ou dans la maison". L’arrière-petit-fils du sabotier et de l’aubergiste s’enthousiasme des trésors qu’il découvre dans son garage : "Je n’ai jamais eu le temps de regarder ce que mes aïeux ont entassé ici". Des outils de paysans, d’artisans, des ustensiles de cuisine... Des traces évocatrices de la vie de ses ancêtres. Se remémorer des gestes, les imaginer. Il a enfin le loisir de se plonger dans ses souvenirs. Le cuisinier, habile de ses mains, s’est transformé aussi en menuisier. Raboter, découper, assembler des planches de chênes centenaires pour en faire un beau meuble. Le plaisir d’un travail manuel méticuleux.L’ennemi invisible a imposé son rythme. Un rythme jusque-là inconnu pour beaucoup.
"Dans notre métier, nous pesons, calibrons, regardons la pendule constamment. Nous avons toujours des impératifs horaires". Au début du confinement Jean-Francois Fafournoux avoue qu’il a été perturbé par l’absence de contraintes horaires. "Se coucher quand on veut, se lever sans réveil... Une sorte de retraite avec des occupations inhabituelles". L’ennemi invisible a imposé son rythme. Un rythme jusque-là inconnu pour beaucoup. Le chef et sa femme pâtissière travaillent ensemble depuis 30 ans. "En ce moment, je la trouve reposée, elle a un équilibre de santé, elle a du temps pour elle". Puis il ajoute : "C’est un privilège d’habiter à la campagne, dans sa maison, de profiter du soleil, du jardin, de la nature".
Le président de l’association des "Toques d’Auvergne" sait que les 45 membres ne vivent pas tous la même situation. D’aucuns ont beaucoup investi financièrement dans leur établissement, d’autres venaient juste de commencer la saison quand ils ont dû fermer. Certains vivent le confinement dans un appartement au-dessus de leur restaurant... Le président prend des nouvelles, rassure, échange des informations, organise des vidéo-conférences, "la solidarité et le lien sont indispensables".Que va devenir la profession ? Sera-t-elle soutenue ? Que chercheront les clients dans nos établissements ?
L’annonce de la fermeture prolongée des établissements jusqu’en juillet "a donné l’impression d’un puits sans fond". Le chef commence à l’appréhender avec interrogations. "Que va devenir la profession ? Sera-t-elle soutenue ? Que chercheront les clients dans nos établissements ? Faudra-t-il repenser nos salles à manger ?" Pour autant, armé de son tempérament combattif, Jean-Francois Fafournoux garde le moral. Il insiste : "Si actuellement les cuisiniers subissent cette période d’inertie, il faudra être visionnaire, incisif et bien préparer la reprise, rebondir vite".
Impatient de remettre son tablier, Jean-Francois Fafournoux se lance aujourd’hui dans l’élaboration de plats à emporter. Le succès est déjà au rendez-vous. Fier de ses racines et soucieux de la préservation des richesses de sonterroir, il a toujours cuisiné en toute confiance les légumes, les viandes et poissons de ses voisins artisans producteurs. Débordant d’idées créatives pour le plaisir des clients, il sait conter avec sincérité et simplicité son territoire en préparant des mets, sains, bons et goûteux. "Après cette crise terrible, j'espère que les gens consommeront plus local, que le tissu commercial de proximité sera renforcé, que notre ruralité sera mieux reconnue". Paroles d’un cuisinier qui s’épanouit dans son pays situé "entre le couteau et la fourme !"