"Le jour où j’ai rencontré Ben Laden", une bd pour lutter contre la radicalisation

Mourad Benchellali et Nizar Sassi ont connu tous les deux Guantanamo. Les 2 Vénissians se sont retrouvés embrigadés par Al-Quaïda lors d’un séjour en Afghanistan en 2001. Jérémy Drès a réuni leur témoignage dans un roman graphique. Le premier tome vient de sortir.

En 2001, Mourad Benchellali a dix-neuf ans, Nizar Sassi 21 ans. En voyage en Afghanistan, ils se retrouvent dans un camp d'entraînement malgré eux. Capturés après le 11 septembre, ils sont emprisonnés à Guantanamo. Aujourd’hui, chacun tente à sa manière de lutter contre la radicalisation en racontant son vécu. Jérémy Drès l’auteur a fait le déplacement à Lyon pour leur montrer la BD dans sa version finale. Notre équipe a profité qu’ils sont tous les trois réunis pour les rencontrer.

2 témoignages pour une histoire

Jérémy Drès a réuni leurs deux témoignages dans un roman graphique « Le jour où j’ai rencontré Ben Laden ». L’auteur illustrateur découvre leur histoire dans une émission de radio sur France Culture. «J'avais presque l'impression que c'était deux amis qui me parlaient. On est à peu près de la même génération, on a la même manière de parler et je comprenais pas mal de choses comme quand ils disaient qu’ils ne savaient pas qui était Ben Laden, ou Al-Quaïda. Je pouvais le comprendre parce qu'effectivement en 2001 avant le 11 septembre personne n'en avait entendu parler à part les supers spécialistes».
On est en 2019, l’auteur de BD repère tout de suite l'histoire à raconter avec ces 2 témoins de l’intérieur. «L'un et l'autre, de façon différente, jouent vraiment un rôle utile. Nizar c'est plus au niveau du quartier, il va parler aux jeunes qui sont autour de lui et je trouve que l'action qu’il mène est super et effectivement moins médiatisée. Mourad a une action plus médiatisée. Il fait le tour des lycées dès qu'on l’invite à Paris ou ailleurs. Ils ont vécu quelque chose et plutôt que d'essayer de l’enfouir, ils ont décidé de le partager pour dissuader les jeunes d'aujourd'hui de faire les mêmes erreurs. C'est pour ça que j'ai voulu faire ce livre ». Leurs deux témoignages se croisent, se complètent, se répondent. L’histoire commence avec leur enfance à Vénissieux. Mourad parle de son père qui anime la salle de prière en bas de son immeuble, puis devient imam et se radicalise. Il raconte comment son frère le convainc de partir pour l’Afghanistan. Nizar parle de son envie d’aventure, d’exotisme, de son attirance pour le régime taliban suite à sa victoire sur les Russes. Point commun entre les 2 jeunes hommes, une envie de découverte.

La suite sera toute autre. Tous deux racontent ce qui ressemble à un tourbillon où ils ont complètement perdu le contrôle, où ils sont pris en charge par un réseau organisé qui ne laisse rien au hasard, au cours duquel ils vont perdre leur libre arbitre, broyés par une mécanique implacable. Le départ pour Londres dans un premier temps, le transit par le Pakistan puis très vite leur formation militaire et religieuse dans les camps afghans. La découverte de la réalité, l’enseignement d’un islam radical, le maniement des armes et des bombes, et la peur qui ne les quittera plus.

Ponctuellement, au cours de la narration, Jérémy Drès fait intervenir Ali Soufan, ancien agent du FBI qui enquêtait sur la nébuleuse Al-Quaïda bien avant le 11 septembre. Son personnage apporte une vision plus objective des événements. Il fournit au lecteur des données sur le fonctionnement d’Al-Qaïda à l'époque en Afghanistan. L'auteur a l’habitude de s’appuyer sur des experts dans ses livres pour coller à la réalité des événements et les replacer dans la réalité géopolitique du moment.

Raconter pour lutter contre la radicalisation

Aujourd’hui Mourad Benchellali est médiateur social. Il a déjà raconté son histoire dans un livre «Voyage vers l’enfer» sorti en 2016.

«La BD m'apporte un support que j'ai toujours recherché dans mon travail de médiation, justement parce que raconter mon parcours, faire un monologue face à des élèves, ce n’'est pas très attractif. La BD fait appel à l'imaginaire, permet à des jeunes de visualiser des endroits qu'ils n’ont pas connus ou dont ils ont entendu parler. La BD leur permet de mieux comprendre, de mieux s'imprégner du parcours et de s'immerger dans notre histoire.»

Sous influence, l’autocensure fut la plus forte

Nizar Sassi est plus discret, il agit plus localement mais de manière toute aussi active. «Au début, je voulais enfouir tout ça mais je me suis rendu compte que quoiqu’il se passe, on est toujours confronté à ça dans tous les domaines ». Aujourd’hui, il raconte comment agissent les recruteurs, comment il a été approché. Autant d’outils pour éviter que cela arrive à d’autres. Avec le recul, il s’est rendu compte de la fragilité dans laquelle il se trouvait en 2001. Il a également raconté son parcours dans un ouvrage «Prisonnier 325, camp delta». «Moi personnellement, à ce moment-là je me cherchais énormément, je n’arrivais pas à me situer. Il y avait certes le fait d'être sous l'influence du quartier. Si on ne se mélange pas avec d’autres catégories sociales ou professionnelles, c’est compliqué de dépasser la vision que l’on a de la société. Aujourd’hui, j’ai des amis avocats, policiers qui y sont arrivés…. Mais à l'époque c'était compliqué. Maintenant, c'est un peu moins le cas parce qu'il y a des parents qui sont derrière, qui motivent leurs enfants. Moi, mes parents, ils ont tout fait pour nous donner la meilleure des éducations. Je ne leur reproche rien du tout. Ils le faisaient avec des moyens très limités. […] Au fond de moi, j'ai compris qu’il y avait un métier dans lequel j'aurais vraiment excellé. J'ai pu le nommer à 40 ans. C'est professeur d'histoire. Je n’ai jamais pu le dire, peut être que j'avais honte. A l'époque, je pense, ce n'était pas sexy de dire je veux être professeur d'histoire. C'est un enfermement, blocage, des barrières que je me suis mis tout seul. Et je n’avais pas la connaissance ou les outils nécessaires pour essayer de me sortir de là. D’autres plus déterminés que moi ont réussi». Aujourd’hui encore, il ne peut expliquer certaines de ces décisions. «Si on me demandait aujourd’hui de partir, je sais que 100 000 fois je ne serai pas parti mais là, va comprendre pourquoi je suis parti».

Et, avec le retour des Talibans à Kaboul, et le départ des troupes occidentales, l'actualité leur revient comme un boomerang...

Le second tome (la fuite dans les montagnes et l’emprisonnement à Guantanamo) paraitra en 2022.

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