A bientôt 53 ans, Annick Moulin continue de rompre le silence autour du nouveau scandale de pédophilie qui implique le père Louis Ribes, surnommé le "Picasso des églises". Native de Pomeys, dans la Loire, elle revient sur son enfance. Sur le déclic qui l'a poussée à ouvrir son cœur et se lancer dans la bataille de la vérité, aussi dure soit-elle.
Quelle est votre réaction face à l’ampleur que prennent ces révélations ?
J’ai enfin le sentiment d’avoir la reconnaisse du diocèse de Lyon pour les faits que j’ai vécus. J’attends beaucoup de la réunion de ce mardi, en présence de l’évêque de Saint-Etienne. Luc et moi sommes un peu considérés comme des porte-paroles de cette affaire abbé Ribes.
Comment vous êtes-vous retrouvés avec Luc ?
C’est grâce aux réseaux sociaux que nous nous sommes recontactés. On ne s’était plus revus depuis 40 ans. A l’automne 2021, quand le rapport de la Ciase est sorti, mon frère est un jour tombé sur un message de la fille de Luc sur Tweeter. Elle y disait que Ribes était visé par le rapport. Et qu’il fallait arrêter d’encenser cet homme, ses œuvres. Quelques jours plus tard, j’ai lu le témoignage de Luc dans Marianne. Luc G. J’ai vu la photo et je l’ai reconnu tout de suite. C’est dans la foulée de cet article que la fille de Luc a lancé son appel aux victimes du curé.
Vous connaissiez Luc quand il était jeune ?
On se connaissait quand j’étais une fillette de 8 ans, lui était un ado de 14 ans. C’est quand il est venu avec l’abbé Ribes chez mes parents pour lui trouver un stage de maçonnerie que je l’ai vu la première fois. Mon père était maçon et connaissait bien l’abbé. On peut dire qu’à cette époque, Ribes était un ami de la famille.
Votre famille avait-elle des doutes sur les attitudes du prêtre ?
Absolument aucun. Il venait chez nous comme un ami, on le voyait dès qu’il y avait des vacances. Il revenait dans le coin. C’est à ces occasions qu’il va profiter de moi, comme sans doute d’autres jeunes et enfants. Avec moi, ce sera de mes 8 ans jusqu’à 12 ans. Avec l’accord de mes parents qui ne savaient rien, il me faisait venir à la cure où il résidait. J’allais dans sa chambre. C’était pour s’inspirer pour ses œuvres, disait-il. Je posais nue. Mes parents étaient convaincus que l’on était en sous-vêtements. Je me souviens, on s’allongeait sur son lit et parfois sur ses genoux. Alors, il me caressait, me faisait des attouchements. C’était toujours le même scénario.
Avez-vous compris que vous étiez la victime d’un prédateur sexuel ?
J’étais bien trop petite pour imaginer une telle chose. J’étais en confiance même si la première fois que c’est arrivé, j’étais mal à l’aise. Je sentais bien que ce qui venait de se passer n’était pas normal. Ce premier jour, je suis partie en courant, je ne suis pas rentrée à la maison tout de suite.
Pourquoi n’avez-vous rien dit, à vos parents, à votre entourage ?
Parce que c’était un prêtre admiré par beaucoup de gens dans le village et aux alentours. Je n’ai jamais ressenti de contraintes. Et puis moi aussi je l’admirais. C’est quelqu’un qui avait une emprise, qui manipulait avec aisance. Je me rappelle il m’offrait un tas de choses auxquelles je n’avais pas forcément accès : des livres, j’adorais lire (et toujours aujourd’hui). Des crayons de couleur de marque. Il m’a appris la pyrogravure et offert du matériel. Mais il n’y a jamais eu de violence, ça non, jamais. Aujourd’hui, mes parents sont sous le choc. Eux aussi sont des victimes du père Ribes. Ils ont été trompés et cette affaire les fait culpabiliser. Ils ne peuvent plus entrer dans l’église de leur village.
Quel a été l’impact sur votre vie, quel traumatisme ?
J’ai vécu dans une forme de déni, je souffrais d’amnésie traumatique, m’a expliqué mon psychiatre il y a une vingtaine d’années quand tout est remonté à la surface. Jusqu’en 1998, j’avais réussi à refouler ce que j’avais vécu. Mais à cette date, à la rentrée scolaire, mon plus jeune fils devait entrer en CP dans une école privée tenue par des frères. Son enseignant était réputé pour pratiquer des sévices physiques sur les élèves. J’ai dit non ! J’ai refusé catégoriquement que mon enfant entre dans cette classe. Dans la foulée, j’ai fait une profonde dépression. Je tombais dans un gouffre. Lors de séances d’hypnose, tout est revenu. Ça a été terrible. J’avais réussi à oublier, mais ces choses-là ne disparaissent jamais, m’a expliqué mon psychiatre.
Et comment allez-vous aujourd’hui ?
J’ai fait 7 ans de psychanalyse. Je vais relativement bien parce que j’ai pu parler, en parler avec ma famille. J’ai été entendue par mes parents, mes enfants. Mon mari était déjà au courant, je lui avais dit.