Bébés sans bras : le Registre des malformations de Rhône-Alpes toujours en sursis

Le Remera - Registre des malformations en Rhône-Alpes - est un registre indépendant, basé à Lyon. Il a joué un rôle de lanceur d'alerte dans l'affaire du scandale des bébés sans bras, mais aussi dans le dossier très médiatisé de la Dépakine. Dirigé par Emmanuelle Amar, il est aujourd'hui encore menacé. Explications.

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Le Remera, Registre des malformations en Rhône-Alpes, est implanté à Lyon. C'est l'un des six registres recensant les malformations en France. Il collecte des données auprès des services hospitaliers, plus d'une centaine. En 2018, c'est cette petite structure, peu connue du grand public, qui a occupé la scène médiatique, en lanceur d'alerte, avec l'affaire dite des "Bébés sans bras". Avec notamment, un nombre inhabituellement élevé de naissances de bébés atteints d'une agénésie transverse du membre supérieur, dans le département de l'Ain.

Malgré les menaces financières qui pèsent sur la structure, sa responsable, Emmanuelle Amar est aujourd'hui plus combattive et déterminée que jamais. 

En sursis jusqu'à fin décembre

"Un Registre doit répondre à des appels à projets de recherche. Aujourd'hui, on répond à deux appels internationaux. Mais si l'espérance de vie du Remera n'est que d'une durée de 9 à 10 mois, on ne pourra pas remporter ces appels à projets", déplore Emmanuelle Amar. "C'est important d'avoir des investissements dans la durée, pour avoir des équipes motivées". Pour Emmanuelle Amar, des menaces financières pèsent régulièrement sur le Registre.

L'existence du Remera est ainsi suspendue aux dernières subventions qui lui sont allouées par Santé publique France et le ministère de la Santé. En 2017, la Région Auvergne Rhône-Alpes les lui a supprimées, de même que l'Inserm.

"Début 2020, Santé publique France a signé une deuxième convention de financement du Registre avec les HCL, valable pour 2020-2021 et 2022. C’est cette convention qui s’est achevée en décembre 2022 et n’a pas été reconduite à ce jour", explique-t-elle.

Au 31 décembre 2022, la convention triennale conclue avec SPF est donc arrivée à son terme.  "On s'était dit, on va renouveler la convention pour 3 ans", explique Emmanuelle Amar. Mais Santé publique France, en vacances de pouvoir, est alors aux abonnés absents. Côté HCL, ce sont des CDD renouvelés chaque mois qui sont accordés à trois des cinq membres du Remera depuis janvier. Mais pas l'ombre d'une convention à l'horizon. Les CDD couraient jusqu’au 31 mars. La petite équipe lyonnaise est désormais suspendue à une menace de fermeture.   

"Il n'y a pas de mercenaires. Il y a des CDD renouvelés sans interruption depuis 2013 sur des postes pérennes. Il y a des dizaines de milliers de données qui risquent de partir à la benne. Il y a des salariés qui ne savent pas à quelle sauce ils seront mangés le 1er avril", écrivait l'énergique Emmanuelle Amar sur Twitter cette semaine, trois jours avant la parution de la BD-enquête consacrée au scandale des bébés sans bras, une affaire qui a démarré dans l'Ain. Plus de 4 ans après la médiatisation de l'affaire, le Registre, lanceur d'alerte, continue de lutter pour sa survie. 

Faire appel à des fonds privés ? Le Registre tient à son indépendance.

Une BD-enquête qui tombe à pic ?

Rien donc jusqu'à l'annonce de cette enquête signée Mélanie Déchalotte et Pierrick Juin. Emmanuelle Amar n'a pas manqué de saluer l'enquête des deux auteurs de la bande dessinée et leurs efforts de vulgarisation. "Cette BD, c'est deux ans de travail. Ils ont fait un boulot énorme. Ils ont rendu accessibles des notions très complexes. C'est réussi".

Coïncidence ou divine providence ? Alors que la BD paraît ce jeudi 16 mars, Santé publique France et les HCL se réveillent enfin quelques jours avant. "Bien sûr, corrélation n'est pas causalité. Et puis le hasard, on connaît", ironise la patronne du Remera sur les réseaux sociaux. 

L'équipe lyonnaise peut-elle enfin souffler pour les trois années à venir ? Pas vraiment. En début de semaine, le Remera était averti que les financements alloués par Santé publique France, via les HCL, sont confirmés. Une confirmation à la toute dernière minute.

Le soulagement est de courte durée car le financement est prévu jusqu'au 31 décembre 2023. "Mieux que rien". Cerise sur le gâteau, le lendemain de l'annonce, trois des membres de l'équipe en CDD n'obtiennent à nouveau qu'un contrat d'un mois de travail d'un mois. La patronne du Remera n'a pas manqué de faire part de son amertume sur les réseaux sociaux. 

"Si vous ne savez pas quoi faire pour précariser, démotiver, ôter toute chance à une équipe de nouer des partenariats scientifiques, de répondre à des appels à projets pour ensuite le leur reprocher : limitez le financement du registre à 1 an et renouvelez les CDD d'1 mois tous les mois", réagit Emmanuelle Amar dans un autre tweet ce vendredi 17 mars.

Surveillance des malformations 

Le Remera est-il dans le collimateur des autorités de santé ? Emmanuelle Amar ne veut pas accuser mais elle constate que le Remera n'est pas le seul Registre à souffrir, à courir après les subventions. Pour elle, le problème va bien au-delà de la question des financement. C'est l'absence d'un Registre national sur les malformations qui la rend perplexe. L'outil est indispensable pour faire de la surveillance et de la prévention pour cette scientifique. Pourquoi les autorités sanitaires trainent-elles les pieds ? Leur crainte se résume simplement, selon elle : "l'apparition d'un autre cluster en France". Les Registres existants en France couvrent 20% du territoire à ce jour. Le Remera couvre les départements du Rhône, l’Ain, l'Isère et la Loire.

"Il n'y a aucun moyen en France de savoir ce qui se passe sur les malformations", déplore la responsable du Registre lyonnais. "Pas de Registre, donc pas d'investigation. Pas d'investigation, car pas de Registre". Emmanuelle Amar dénonce une "situation kafkaïenne" et une absence d'étude des causes environnementales de ces malformations. Pour la scientifique, la prévention des malformations reste encore à ce jour "le parent pauvre de la santé publique", comme elle le déplorait déjà en 2019 dans son livre "Un silence toxique".

Comment la patronne du Registre lyonnais parvient-elle à garder la foi ? "Je me dis, ce serait bien bête d'arrêter maintenant. On n'a pas fait tout ça, pris des claques, pour rendre son tablier maintenant. On se dit : je sers la prévention. On a une utilité sociale", assure-t-elle. " Si le Remera ferme, les dossiers partiraient à la poubelle, c'est ce qui a failli arriver en 2006 quand l'IEG a fermé. Il y avait 60.000 dossiers, on les a sauvés", rappelle Emmanuelle Amar.

En 2006, le Remera a repris les activités et les dossiers de l’Institut Européen des Génomutations, premier registre de malformations créé en France en 1973. Ce dernier a dû fermer ses portes fin 2006, faute de financement. Le Registre a été créé en 2006 sous forme d’association loi 1901, à la demande de Santé publique France. À ce jour, la base de données hébergées par le registre est riche de plus de 75.000 dossiers, collectés et analysés par une équipe entièrement dédiée à cette mission. "Si on devait fermer, je ne sais pas qui reprendrait nos dossiers", s'alarme la responsable. 

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