Après 23 ans de combat pour obtenir justice après la mort de Mohamed Abdelhadi, c'est une famille meurtrie, fatiguée et combative qui est arrivée au tribunal en début d'après-midi. Les proches du jeune homme devront se contenter ce 8 octobre d'une audience en correctionnelle à Lyon. Dans cette affaire criminelle, le principal suspect ne sera pas jugé. C'est son fils, un quadragénaire, qui comparait aujourd'hui pour "recel de cadavre". La décision de justice a été mise en délibéré : réponse dans un mois.
Sur la photo arborée par Naouel et Rachida Abdelhadi dans les couloirs du palais de justice, leur frère Mohamed arbore un franc sourire. Le jeune homme a disparu en décembre 2001. Sa famille, qui habitait près de Villefranche-sur-Saône, n'a jamais su ce qu'il était devenu jusqu'en 2016. C'est à cette date que son corps a enfin été retrouvé dans une forêt du Beaujolais. Mohamed a été poignardé et enterré. Pendant 23 ans, ses proches ont réclamé justice. Pour cette famille, cette audience est une bien "maigre consolation", selon les mots de la famille et de leur représentant.
"Un affront"
"J'ai l'esprit brouillé. Je n'ai pas l'esprit tranquille d'être face aux meurtriers. Avec cette maigre consolation d'un procès pour recel de cadavre, alors qu'on devrait être dans une cour d'assises en train de juger l'assassinat de Mohamed et de lui rendre justice", a déclaré, peu avant l'audience, Rachida. La sœur de la victime peine à cacher son amertume.
Ça va être difficile et éprouvant, pour moi et pour ma famille, mais on est là, debout et dignes, à l'image de Mohamed, de sa mémoire.
Rachida AbdelhadiSoeur de la victime et partie civile
"Aujourd'hui, on est là pour Mohamed, en sa mémoire. À défaut d'avoir un procès pour meurtre, on a un procès pour recel de cadavre. On est conscient de la peine encourue. C'est un affront à la mémoire de Mohamed et à la souffrance de notre famille", a déclaré à son tour sa sœur Naouel.
"Maigre consolation"
Depuis des années, les deux sœurs portent ce combat à bout de bras. Un comité de soutien avait même vu le jour. Pendant huit ans, elles ont été confrontées à un véritable parcours du combattant. Elles ont multiplié les procédures et recours, allant jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme, pour tenter d'obtenir un procès et pouvoir enfin faire leur deuil. Alors aujourd'hui, la famille de Mohamed Abdelhadi n'aurait manqué ce rendez-vous avec la justice pour rien au monde. Même si ce n'est pas un procès d'assises, mais une audience devant le tribunal correctionnel pour "recel de cadavre".
On est là pour Mohamed et on va faire entendre notre souffrance à la justice qui, elle aussi, nous a maltraités. Il a fallu qu'on essuie des coups, des défaites et des souffrances supplémentaires pour quémander une justice pour Mohamed.
Naouel AbselhadiSoeur de la victime et partie civile
Ce procès "a du sens", selon Me David Métaxas, l'avocat de la famille qui se dit "maltraitée par la justice" depuis le début de cette affaire. "C'est la seule audience, après 23 ans de disparition, après un calvaire judiciaire. On aurait préféré être aux 24 colonnes, devant les assises, mais on est au tribunal correctionnel, c'est une maigre consolation, mais c'est l'occasion de rappeler la mémoire de Mohamed Abdelhadi, la famille viendra rappeler son souvenir et qui il était". L'occasion aussi de dire "ce que les membres de cette famille ont subi comme turpitudes judiciaires et le sentiment de mépris qu'ils ont ressenti".
Prescription
Me Métaxas a cité comme témoins le meurtrier présumé et son fils complice des faits. L'espoir de connaître enfin la vérité pour les proches du défunt ? "Pendant 15 années, on a vécu avec des questions sans réponse. Les huit années de combat judiciaire, on les a encore vécues sans réponse. On fait appel à leur conscience. On a besoin de réponses ! On a besoin d'entendre la vérité ! ", a affirmé Naouel, avant d'entrer dans la salle. Mais finalement, c'est un nouveau "rendez-vous manqué": Peu avant l'audience, les proches du disparu ont appris l'absence au procès du meurtrier présumé. L'homme s'est fait porter pâle.
Je rappelle que c'est un meurtrier qui a commis le crime parfait, puisqu'il est libre et a bénéficié d'un non-lieu. Son absence à l'audience aujourd'hui signe encore plus le crime qu'il a commis.
Me David MétaxasAvocat des parties civiles
Le principal suspect dans l'affaire de la mort de ce jeune homme de 27 ans sera-t-il inquiété un jour ? Dénoncé par une femme en 2015, l'individu a pourtant avoué les faits lors de sa garde à vue. Avec l'un de ses fils, il aurait poignardé le jeune homme à Limas, après un vol de lecteur CD. Les deux hommes ont avoué le crime et indiqué avoir dissimulé le corps dans un placard du domicile familial puis dans un bois du Beaujolais. Ce crime va rester impuni pour cause de prescription. Une prescription qui n'a pas pu être levée, à cause d'un dossier égaré. Celui d'une plainte pour disparition inquiétante déposée par la famille en 2008. C'est le seul acte judiciaire qui aurait permis d'interrompre la prescription de 10 ans.
"Un tyran violent"
Aujourd'hui, un seul individu est poursuivi pour avoir aidé à cacher le corps de la victime, il s'agit du deuxième fils du meurtrier présumé. Aujourd'hui âgé de 44 ans, Jérôme D. est poursuivi pour "recel de cadavre". Une infraction à ce jour non prescrite. Il comparaît libre.
L'unique prévenu de cette affaire criminelle a reconnu à la barre avoir assisté, tétanisé, au meurtre. Un étranglement puis des coups de couteau portés au jeune homme, de manière anarchique. "J'étais comme un automate sous la menace de mon père. J'avais peur de lui, c'est un tyran violent qui nous donnait des tartes. Je regrette d'avoir emmené Mohamed chez mon paternel", a déclaré Jérôme D.
C'est un père dont il a encore peur. Il l'a affirmé à plusieurs reprises. Ce qui explique le silence gardé pendant toutes ces années, ce que la famille Abdelhadi ne veut pas entendre, ne veut pas comprendre.
Me Cyrille CarmantrandAvocat de la défense
"Nous sommes face à une justice bancale qui n'est satisfaisante pour personne parce que le principal intéressé n'est pas là aujourd'hui", a-t-il indiqué.
"Nous vous devons des excuses"
Lors de ce procès, le procureur de la République s'est adressé à la famille Abdelhadi. Avec des mots pesés, il a présenté les excuses de l'institution judiciaire : "Nous avons un temps de Justice tronqué. Devant cette complexité, nous vous devons des excuses au nom d’une institution que j’ai choisie. Vos témoignages sont la meilleure réponse aux criminels. Ma consternation n’est rien comparée à votre colère. Mon émotion n’est rien par rapport à vos déchirements". Malgré tout, la famille espère toujours un procès devant les assises. "Il reste un infime espoir", a confié à demi-mots Rachida juste avant d'entrer dans la salle.
Il y a 20 ans, la prescription pour un meurtre était fixée à 10 ans. Depuis 2017, la loi a changé. C’est désormais 20 ans. J’ai la faiblesse de penser que des combats comme le vôtre y ont contribué.
Alain Grellet à la famille AbdelhadiProcureur de la République
Dans ses réquisitions, le magistrat s’est adressé au prévenu : "Cette constellation de coups de couteau portés sous vos yeux, vous avez la seule responsabilité de ce crime. Par la peur d’une claque d’un père… La dissimulation du crime est bien plus importante que la dissimulation d’un cadavre. Dans le placard de votre jeune frère de 16 ans, puis dans la terre battue de la cave de votre grand-mère. Vous avez contribué à l’impunité par le recel. Je requiers la peine maximale prévue, soit deux ans d’emprisonnement."
Délibéré le 7 novembre prochain.