Commerce de proximité : l'effet d'aubaine du confinement sur les librairies indépendantes en Auvergne-Rhône-Alpes

Effet inattendu du confinement : les lecteurs semblent avoir retrouvé le chemin des librairies indépendantes. Certains auraient découvert le plaisir du conseil et du commerce de proximité. Les ventes ont augmenté. Une aubaine pour une profession qui cherche à rattraper ces pertes d'exploitation.

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"J'ai la peur au ventre" expliquait Maya Flandin, directrice de la librairie "Vivement dimanche", à Lyon à la publication "Livres Hebdo" début mai 2020. Quelques jours avant de reprendre son activité, à la fin du confinement, elle redoutait le pire. 
En réalité, c'est une bonne surprise qui attendait cette commerçante de proximité. L'été qui a suivi a été plutôt un succès, contre toute attente.


Dès l'ouverture, le 11 mai, on a ressenti un regain de clientèle dans beaucoup de librairies. Le chiffre d'affaire du mois de mai a été en augmentation, malgré la perte de 10 jours d'exploitation. Pendant tout le confinement, les gens n'ont rien pu consommer, et nous étions la seule offre culturelle accessible. Les cinémas et théâtres étaient encore à l'arrêt. Je pense aussi aux parents qui se sont retrouvés pendant deux mois avec leurs enfants à la maison, et qui ont eu besoin de renouveler leur stock. Il y a clairement eu un appétit lié au fait d'avoir été immobilisés pendant toutes ces semaines. Et puis surtout, on a constaté une envie de revenir vers les lieux dits "de proximité". Une réelle prise de conscience. Dans une ville presque morte, il tenait aussi à nous de remettre de la vie dans notre environnement. J'ai l'impression que cela a fait revenir dans les magasins des clients qui, peut-être, avaient pris l'habitude de consommer sur Internet.

Quelle littérature a particulièrement bénéficié de ce regain ?

On a vraiment vendu de tout. L'impression que nous avions, c'est que les gens faisaient le tour de la librairie. Ils étaient attirés surtout  par le divertissement, loin du réel, plutôt que les romans intimistes. Mais ils achetaient aussi des sciences humaines, de la bande dessinée. On a senti aussi un appétit pour les genres vers lesquels ils ne se dirigeaient pas spontanément avant le confinement. Et surtout, une recherche de conseil. 

Vous êtes vice-président du Syndicat de la librairie française. Comment va la profession ?

On est un peu dans l'esprit qui se résume par l'expression "Jusqu'ici tout va bien"... C'est une profession qui toujours été sur le fil, en terme d'économie. En ce moment, on est tous très positifs parce que l'on fait des progressions à deux chiffres. Et, plus les librairies sont petites, plus les progressions sont importantes... Mais on n'oublie pas qu'on a tout de même perdu deux mois d'exploitation. La plupart ne les ont pas rattrapés. On se questionne sur le mois de décembre. Nous allons sans doute devoir limiter la jauge dans nos magasins. C'est un mois qui compte triple dans une librairie comme la mienne. Mais restons positif : la librairie indépendante s'est soudainement mise à exister aux yeux de certains. On a gagné, de manière incroyable, à la faveur de ce confinement, toute une nouvelle clientèle. Maintenant on doit transformer l'essai, être très professionnels et les garder. Même si on craint tout de même la concurrence d'Internet à Noël, surtout si les gens ont peur d'aller "se serrer les uns contre les autres" dans nos rayons.

L'Etat vous a-t-il suffisamment protégé ?

Beaucoup d'entre nous ont contracté un emprunt garanti par l'Etat (à taux zero s'il est remboursé au bout d'un an). Le syndicat a fait un travail impressionnant pendant tout le confinement. Et nous avons été écoutés. Il faut savoir que le taux de rentabilité moyen d'une librairie est de moins de 1%, donc on finit régulièrement dans le rouge. Le Ministère de la culture a bien compris qu'il allait falloir nous soutenir pour traverser cette crise. Nous avons eu un dossier très simple à compléter, pour pouvoir couvrir nos charges fixes. 

Libraires, éditeurs, auteurs... Laurent Bonzon, directeur de l'Association "Auvergne Rhône Alpes Livres et Lecture" scrute les professions liées à la littérature. Il confirme le regain pour la proximité... mais reste prudent.

Pour le moment, le marché de la vente du livre est en baisse d'environ 10% depuis le début de l'année. Donc le retard accumulé par les pertes d'exploitation durant la période de confinement n'est pas encore comblé. Ceci étant, il faut reconnaître que nous avons connu des mois de juin et juillet très forts en terme de vente, notamment pour la librairie indépendante, autour de + 20%. La rentrée de septembre littéraire marche plutôt bien aussi. Ensuite, nous avons connu un petit essoufflement et c'est sans doute la période de Noël qui sera déterminante. 

Peut-être y a-t-il eu une prise de conscience, globalement, sur l'importance du commerce de proximité ?


Que s'est-il passé pendant l'été ?

Nous avons fait une étude sur les pertes d'exploitation des 280 librairies de notre région, en partenariat avec l'Association des libraires d'Auvergne-Rhône-Alpes. Les pertes s'élèvent environ à 3 millions d'euros, ce qui est beaucoup. Nous avions misé sur des reprises autour de -40 à -50% du chiffre habituel pour le déconfinement. En réalité, c'est tout le contraire qui s'est passé. Les clients se sont précipités dans leur librairie. Peut-être y a-t-il eu une prise de conscience, globalement, sur l'importance du commerce de proximité. La librairie a bénéficié à plein de ce "regain d'envie" pour convivialité, l'échange, les conseils ou encore la commande personnalisée. et c'est sans doute la période de Noël qui sera déterminante. 

Les fêtes seront donc particulièrement observées

Pour ces commerces, Décembre est évidemment un mois capital, donc je pense que l'on saura d'avantage en janvier ce que donnera l'année 2020. Le rattrapage des effets du confinement est loin d'être complet. Ce qui est intéressant pour nous, c'est de constater que les lieux de vente du livre qui ont le mieux rattrapé la situation, c'est certes la librairie dite de premier niveau (donc indépendante) mais aussi toutes les librairies de type maison de la presse, ou papeterie. Donc l'ensemble du commerce de proximité dans ce domaine...

L'objectif est clairement de faire revenir les jeunes à la lecture.


Le couvre-feu pourrait-il avoir une incidence sur la pratique de la lecture ?

On peut toujours espérer que les gens vont lire d'avantage, parce que les soirées seront plus longues... L'enjeu se joue beaucoup sur les jeunes lecteurs. On sait que les pratiques culturelles ne vont pas dans le sens d'une lecture cursive de livres chez les moins de 25 ans, donc l'objectif est clairement de faire revenir les jeunes à la lecture. Plus globalement, ce nouveau couvre-feu est une mauvaise nouvelle pour le monde de la culture. Dans le livre, nous sommes en lien avec le théâtre, le cinéma... Il existe de nombreuses passerelles donc c'est vraiment difficile à vivre.  
 
Bon à savoir : le conseil de lecture de Maya Flandin pour l'hiver
"En fait, en librairie, on ne conseille pas un seul livre, qui devrait être lu par tout le monde. Cela n'aurait pas de sens. On fait plutôt de la dentelle, du conseil très personnalisé. On pose des questions au lecteur, on tente de comprendre où il en est dans son chemin de lecture, quels livres il a aimés avant... Mais je peux quand même vous dire quel livre m'a plu personnellement, et m'a marquée pour cette rentrée littéraire.
J'ai beaucoup apprécié "Fille " de Camille Laurens (Gallimard), qui interroge vraiment sur la relation hommes-femmes, ce que c'est que de naître fille dans une famille où on attend un garçon... Ca se passe dans les années 60, mais ça résonne encore très fort aujourd'hui."
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