Le phare du Créac’h, symbole de l’identité ouessantine et patrimoine mondial, est au cœur d’une controverse. Une pétition contre le projet de modification de son éclairage a déjà recueilli plus de 2200 signatures en deux jours.
" C’est une lumière exceptionnelle, qui fait partie de ma vie, depuis ma naissance jusqu’à aujourd’hui" résume Louis Cozan.
L’homme âgé de 78 ans est né à Ouessant. D’abord marin puis gardien de phare, il a travaillé au Créac’h et dans les phares d'Iroise pendant 8 ans. Inutile d'en dire davantage pour comprendre son attachement à ce monument.
Une lumière au cœur de l'identité ouessantine
Dès qu’il a eu vent de la menace qui pèse sur le phare, Louis Cozan a lancé l’alerte sur les réseaux sociaux où il est très actif. Un vrai cri du cœur où il s’exclame "mes amis de mer et de terre, ne laissons pas les sombres comptables de bout de chandelle décider de l’avenir de cette lumière exceptionnelle, patrimoine de l’humanité. Crions que nous ne voulons pas de cette régression, partageons notre désapprobation et défendons cette lumière dans la nuit, elle n'a rien de moins que notre Dame de Paris ! ".
Et Louis n’est pas le seul à s’émouvoir du sort que l'administration pourrait réserver au phare du Créac’h.
Le phare du Créac'h est un marqueur de l’identité de l’île, et il fait la fierté des Ouessantins. On parle d'Ouessant comme d’une île sentinelle, mais elle ne le sera plus si ses lumières perdent leur puissance
Elisabeth Coutrot, coprésidente de l'association Ouessant vent de bout'
Le collectif Ouessant vent de bout', constitué d’habitants de l’île, s’est empressé de mettre en ligne une pétition pour empêcher le projet. En, à peine deux jours, celle-ci a récolté plus de 2200 signatures. " Je ne m’attendais pas à ce que ça démarre aussi fort. On voit que la mobilisation va bien au-delà de l’île" réagit Elisabeth Coutrot. Il suffit pour s'en convaincre de lire quelques-uns des commentaires postés par sur la page de la pétition. "Ce projet met en cause la sécurité maritime et représente une atteinte grave au patrimoine" a ainsi écrit M.Roux de Barbentane (Bouches-du-Rhône).
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Une pétition qui dépasse les frontières de l'île
Pour la coprésidente de l’association, comme pour les nombreux signataires et soutiens, le phare du Créac’h est bien plus qu’un phare, "c’est un marqueur de l’identité de l’île, et il fait la fierté des Ouessantins. On parle d'Ouessant comme d’une île sentinelle, mais elle ne le sera plus si ses lumières perdent leur puissance", résume l'ilienne.
Elisabeth ne connait pas les détails du projet "il n’y a pas eu de réunion publique ou quoi que ce soit, on a eu l’information par le bouche-à-oreille et on ne sait pas ce qu’ils veulent faire exactement ". Et la coprésidente du collectif ne comprend pas la logique, alors qu’un musée des phares et balises est en rénovation dans l’ancienne salle des machines du phare. "On met beaucoup d’argent pour refaire le musée, et en même temps, on va mutiler la lumière, ce n’est pas cohérent. Ça va contribuer à la perte de l’identité de l’île et à sa touristification" ajoute-t-elle.
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Un phare unique à l'innovation révolutionnaire
Haut de 55 mètres, le Créac’h envoie deux éclats toutes les 10 secondes. Un code lumineux que lui seul émet, et qui a longtemps permis aux centaines de navires croisant au large, chaque jour, de se repérer.
Mais la particularité de ce phare est surtout le nombre des faisceaux émis : huit faisceaux rendus possibles par un appareil à deux étages avec deux optiques par étage. Une innovation technique révolutionnaire élaborée par Augustin Fresnel. "Augustin Fresnel a eu l’idée de découper la lentille en échelon, ça a été la révolution ! " explique l’ancien gardien de phare.
L’optique du phare du Créac’h a été présentée la première fois à l’exposition universelle de Paris en 1937, puis installée à Ouessant. "C’est une réalisation technologique géniale, ce sont des œuvres d’art" s’enthousiasme le Ouessantin.
Pour rendre la chose plus concrète, Louis Cozan, donne une autre illustration de la puissance du phare : "les rayons du phare sont visibles au-delà de l’horizon. Ce n’est pas rien cette lumière, ça a révolutionné la navigation maritime !" ajoute le passionné, qui en connait un rayon.
En 2023, à l'occasion des 160 ans du Créac'h, François G. déroulait sur X (ex-Twitter) toute l'histoire du plus puissant phare d'Europe.
💡Il y a 160 ans, dans la nuit du 19 au 20 décembre 1863, s’allumait sur l’île d’Ouessant le #phare du Créac’h!🎂
— Gardien de Phare 🌊 (@Gardien2Phare) December 19, 2023
Mais comment ce phare noir et blanc est-il devenu le + puissant du monde?
Réponse dans ce thread qui va nous emmener de Paris à Ouessant.⤵️⤵️⤵️
📸@Gardien2Phare pic.twitter.com/39C3UdscNc
Des solutions alternatives ?
Le projet de changement de l’optique serait motivé par la présence de mercure dans le système actuel. Un composant dangereux dont l’utilisation et la présence sont très encadrés par la réglementation.
Mais pour Louis Cozan, des solutions alternatives peuvent être trouvées. "Si le problème est que le public va pouvoir visiter le phare et se trouver à proximité de la lentille, et donc du mercure, on pourrait peut-être envisager de cloisonner la partie dangereuse pour éviter que le public ne passe à proximité " imagine l’ancien gardien qui connait bien les lieux. Il ne peut concevoir que la lentille du Créac’h soit remplacée par un système quelconque.
" C’est une lumière unique au monde qui constitue une victoire contre l’obscurité ", dit encore le poète et auteur d’Un feu sur la mer : mémoires d'un gardien de phare.
Pour Louis et de nombreux Ouessantins et marins, le combat pour la lumière du plus prestigieux phare du bout du monde est loin d’être terminé.