Covid 19 : La recherche en France est-elle à la traîne ? Trois chercheurs de pointe analysent le retard sur les vaccins

De nombreux scientifiques estiment que la France doit sérieusement remettre son système de recherche en question… Rencontre avec trois chercheurs de pointe, sans langue de bois et au constat amer. 

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Dans la course au vaccin anti Covid, la France brille par son absence malgré la réputation d'un système de recherche compétitif. Trois chercheurs de renom ont accepté de décrypter avec notre spécialiste santé les insuffisances du modèle hexagonal qui a pourtant de très grandes potentialités. 

Patrick Mehlen, directeur de la Recherche au Centre de Recherche en Cancérologie de Lyon  est un pur produit de la recherche française et c’est un «Frenchie fidèle» : «On vit dans le plus beau pays du monde !» affirme-t-il, «Et nous avons une recherche d’excellence : vous savez, quand vous voulez rentrer comme chercheur au CNRS ou à l’Inserm, il y a une sélection phénoménale ! Pour 200 candidats, vous n’avez que 4 postes par an et par discipline ! Ceux qui sont recrutés sont donc de très, très haut niveau… Malheureusement, comme on leur donne peu de moyens en France, ils sont parfois recrutés ailleurs… »

C’est ce qu’on appelle la fuite des cerveaux. En 2015, une enquête parlementaire chiffrait de 60 000 à 80 000 le nombre de personnes qualifiées qui s’expatrient chaque année. C’est d’ailleurs ce qu’ont choisi Vincent Laudet et Bruno Lemaitre, deux chercheurs français, lassés justement par ce manque de moyens et une administration jugée obsolète.

"Notre système français n’est pas mauvais en soi, mais il n’attire pas les meilleurs"

Bruno Lemaitre est professeur en Suisse, au Global Health Institute de Lausanne depuis 13 ans. Il enseigne mais supervise également une équipe de 12 personnes pour ses recherches sur l’immunologie de la drosophile, une petite mouche très utilisée en modèle animal. Il est très sévère sur le système de recherche français.

«En France, il y a plusieurs couches administratives et des tutelles multiples, Inserm/CNRS/universités… personne ne s’y retrouve. Et il faut être assez «politique» pour survivre avec une administration aussi complexe. On a l’impression d’un régime calqué sur l’ex-Union Soviétique !» plaisante-t-il. «On est recruté en tant que fonctionnaire chercheur, sans grande visibilité au niveau de la carrière… C’est source de frustration et ça entame la motivation… Moi ça ne me correspondait pas ! A l’inverse, la Suisse a un système à l’anglo-saxonne, un peu plus élitiste : les postes permanents sont obtenus après une période probatoire en tant que chef d’équipe et on est évalué régulièrement… Il y a donc moins d’élus, mais ils sont plus heureux ! De plus, cela fait longtemps que les universités suisses sont autonomes et ont des connexions avec l’industrie. Et si une université innove, les autres doivent suivre ! On n’a pas de blocages généralisés comme en France, où à chaque fois qu’on veut faire une réforme, il y a une grève ! Notre système français n’est pas mauvais en soi, mais il n’est pas du tout compétitif et n’attire pas les meilleurs. Il ne génère absolument pas la réactivité qu’il faudrait dans le monde d’aujourd’hui.»

«Je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette image du fonctionnariat de nos chercheurs !» nuance le lyonnais Patrick Mehlen. «On l’associe trop souvent à une absence d’innovation, ce qui n’est pas complètement vrai : il est important qu’on ait des fonctionnaires chercheurs parce que ça leur donne toute latitude pour la recherche fondamentale : on ne peut pas prédire les découvertes qui changeront le monde dans 5 ou 10 ans ! Le pire serait que nos dirigeants «flèchent» nos recherches en proclamant «c’est ça qu’il faut faire ! Et pas autre chose !» Donc, il est important d’avoir une certaine liberté, et le fait d’être fonctionnaire de la recherche n’est pas un souci forcément. Je le répète, ce qui manque le plus en France, ce sont les moyens.»

 

30 fois plus de budget au Japon pour les mêmes recherches 

Les moyens, c’est le motif principal qui a fait prendre l’avion à Vincent Laudet pour les antipodes. Il y a un an, il se pose au Japon, prend le poste de Professeur en sciences marines à l’OIST, et poursuit les recherches qu’il faisait en France sur l’impact des hormones thyroïdiennes sur la pigmentation des poissons clowns.

Au Japon, son salaire a été multiplié par 3, mais ce n’était pas sa principale motivation : «Les chercheurs français sont moins bien payés en France qu’à l’étranger, soit !  Après, ce n’est pas toujours très facile de comparer avec les niveaux de vie bien différents d’un pays à l’autre ! Pour moi l’important, ce sont les moyens qu’on m’a alloués : aujourd’hui, je n’ai plus à passer 50 % de mon temps à demander de l’argent qu’on ne me donne pas… ici à Okinawa, j’ai huit salaires de permanents, plus l’argent pour les faire travailler correctement : cela représente à peu près 30 fois ce que j’avais en France comme budget pour les mêmes recherches ! Mais attention, ce n’est pas à vie !  Tous les cinq ans, je suis évalué très durement et je peux tout perdre ! Moi, ça ne m’empêche pas de dormir, je trouve ça même plutôt stimulant : j’ai cinq ans pour montrer ce que je sais faire !»

"Pourquoi est-ce une petite Biotech allemande qui sort un vaccin anti-Covid en premier?"

Patrick Mehlen renchérit sur la frilosité de la France pour la recherche… et le risque : «Nos budgets ne sont pas à la hauteur de nos ambitions : pourquoi est-ce une petite Biotech allemande qui sort un vaccin anti-Covid en premier, et non pas une petite Biotech française ? La réponse est «Angela Merkel» ! C’est une scientifique, une PhD, et ça fait 20 ans que la dirigeante allemande investit massivement dans la recherche… Et voilà le résultat ! Et puis, ajoute-t-il sur le ton de la confidence, vous savez que cette fameuse société allemande BioN’Tech a failli s’associer avec une Big Pharma française ? Et que la Big Pharma en question trouvait la techno de l’ARN messager trop risquée et le prix de BioN’Tech trop élevé ? Du coup, c’est l’américain Pfizer qui récupère les lauriers… Un sacré manque de vision !»

Un système avec trop d’administration, pas assez de moyens alloués à la recherche pure… Les chercheurs français qui ont tourné le dos à la France louent aussi l’ouverture au monde que l’on trouve dans les instituts étrangers.

« L’Okinawa Institute of Science and Technology a été construit il y a une dizaine d’années spécifiquement pour accueillir des chercheurs étrangers, détaille Vincent  Laudet…Sur ce campus, il y a 60% de chercheurs étrangers de 60 nationalités différentes ! Et l’an dernier l’OIST a été classé neuvième en qualité scientifique mondiale par la revue Nature, et premier en Asie… Il y a un autre avantage, l’interdisciplinarité : Il n’y a pas de département de physique, de biologie ou de chimie, où chacun est dans sa case. Ici, on est tous mélangés et on se croise tout le temps !  J’ai même deux recherches en collaboration avec des physiciens, qui sont nées autour d’un café ! C’est franchement une réussite et en plus, c’est super amusant !»

« L’environnement international est en effet très stimulant, ajoute le Suisse Bruno Lemaitre. C’est aussi beaucoup plus facile de recruter des chercheurs étrangers, et de recruter ceux qui vous intéressent… C’est vous, en tant que directeur de recherche, qui avez le dernier mot, pas une administration ! Les salaires qu’on peut proposer sont aussi plus attractifs, du coup, ça génère beaucoup de brassage et de rotation : c’est un système bien plus dynamique.»

Pas de regrets d’avoir quitté la France ?

«Non ! répond Vincent Laudet. Pour moi, le Japon, c’est le paradis ! Vous savez, les Japonais sont très loin de l’image qu’on peut avoir en France : y’a pas plus joyeux, amusant, sympa, rigolo que les Japonais… ça me change des Français avec cet esprit râleur et négatif au quotidien… Après, j’avoue que le vin, le pain et le fromage me manquent… ma famille également, qui est restée en France, et que la crise Covid m’empêche de retrouver aussi souvent que je le voudrais.»

«Je ne regrette pas du tout la France, conclut Bruno Lemaitre, même si je garde de très bons souvenirs de mes années passées en région parisienne. Et je ne suis pas "anti-français", d’ailleurs à Lausanne, j’essaye toujours d’encourager mes étudiants étrangers à aller faire de la recherche en France, car il y a des chercheurs de très grande qualité… malheureusement, je le répète, le système français est très peu compréhensible de l’extérieur, et franchement pas très attractif.»

1800 euros net par mois pour un début de carrière au CNRS 

Patrick Mehlen, le Lyonnais, ne veut pas quitter la France. Après plus d’une décennie, ses recherches ont abouti à un nouveau traitement contre le cancer de l’utérus, actuellement en phase expérimentale. Les résultats sont prometteurs. Lui, n’a pas cédé aux avances de l’étranger et préfère que son futur médicament soit administré en premier à des patientes françaises. Mais il comprend que des chercheurs trouvent l’herbe plus verte ailleurs :

«Vous savez, un chargé de recherche au CNRS démarre sa carrière à 30 ans avec environ 1800 euros net par mois, et un directeur de recherche, au plus haut niveau de l’échelle, gagne 5000 euros par mois : on est très loin du salaire d’un cadre dirigeant d‘entreprise privée alors qu’on a les mêmes responsabilités… Alors oui, je les comprends ! De plus, quand on vous propose des moyens au moins 10 fois supérieurs à ce que vous avez en France, forcément, vous n’allez pas faire la même science… Ensuite, avec l’administration de la recherche «à la française», vous passez plus de la moitié de votre temps à quémander des financements qu’on vous octroie au compte-goutte, et l’autre moitié du temps, vous la passez à écrire des rapports d’activité pour justifier la goutte qu’on vous a distribuée… Vous avez l’impression que ceux qui nous dirigent, ne font pas confiance à leurs chercheurs, c’est épuisant. Après… l’étranger, c’est peut-être mieux au début, parce que pendant quelques années vous allez avoir plein d’argent et de possibilités, mais vous restez quand même français, et vous êtes attaché à certains principes d’égalité, de fraternité… des principes qui ne se trouvent pas forcément dans d’autres pays.»

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