Après un week-end de violences à Sainte-Soline lors des manifestations anti-bassines, 10e jour de mobilisation contre la réforme des retraites. 13000 policiers et gendarmes vont être déployés ce 28 mars 2023 en France. Mais que signifie aujourd'hui maintenir l'ordre ? Analyse d'un sociologue.
Le dispositif est inédit : 13.000 policiers et gendarmes sont déployés ce 28 mars 2023 dans toute la France pour encadrer les manifestations contre la réforme des retraites. Mais qu'est-ce exactement que la doctrine du maintien de l'ordre en France ? Sébastian Roché est sociologue, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des questions policières. Interview au lendemain d'un week-end de violences à Sainte-Soline.
Comment qualifier le maintien de l'ordre en France ?
Sébastian Roché : c'est un maintien de l'ordre qui, par rapport à nos voisins européens, se caractérise par son agressivité. Les instructions qui sont données aux policiers - ce ne sont pas les policiers qui sont agressifs, ce sont les responsables politiques qui donnent des instructions -, et bien ces instructions ont été d'aller au corps-à-corps, de disperser la foule, ou de la ''nasser'' (il s'agit d'un encerclement NDLR), et de placer des centaines de personnes en garde à vue. Ça, c'est la première caractéristique.
La deuxième, c'est l'utilisation des armes. La plupart des pays européens n'utilisent pas de LBD ou les grenades qui ont une forte charge explosive et qui peuvent arracher une main ou un pied. Les pays du Nord, l'Allemagne, le Royaume-Uni, etc, n'utilisent pas des armes qui peuvent mutiler des personnes qui exercent leur droit fondamental de protester.
Une doctrine générale ?
On sait d'où sont venus les coups, les injures, le matraquage injustifié, mais ces unités là, les BRAV-M, les brigades motocyclistes, elles sont décidées par le pouvoir politique. Elles sont mises en place par le pouvoir politique qui décide de la police. La police ne décide pas qui elle est, ce qu'elle fait. C'est le pouvoir politique qui décide. Elles sont ensuite envoyées sur les lieux par le pouvoir politique.
On avait vu que Monsieur Laurent Nuñez (le préfet de police de Paris NDLR) les avait gardées en retrait dans un premier temps. Là, il les a mis au contact direct des manifestants. Ce sont des forces de police faites pour ça, entraînées pour ça : pour aller au corps-à-corps. Donc, forcément, il y a des dégâts.
Quid des éléments violents au milieu de ces manifestations ?
Les mutilés et les morts sont uniquement du côté des manifestants depuis 2018 en France. Zéro policier mort en maintien de l'ordre.
Mais ce que vous dites est vrai. Il y a des groupes qui viennent pour en découdre avec la police, pour démontrer que la police est liberticide, les fameux ''black blocs'' qui sont tout à fait réels. C'est le travail des polices démocratiques de ne pas gazer tout le monde, et d'être capable de cibler les auteurs de débordements, des cassages, des agressions, et de les neutraliser.
Mais comment et quand intervenir alors ?
Oui, il faut intervenir. Mais la violence contre des familles qui transportent leurs enfants en poussette, le fait de gazer des personnes qui sont "nassées" (encerclées NDLR), c'est un non-sens total d'un point de vue policier. C'est à la police de rechercher les bons moyens. Ce sont des professionnels : ils sont formés, ils sont entraînés. C'est à eux d'appliquer la règle. La règle européenne, c'est d'être discriminant, c'est-à-dire de réserver la force aux black blocs. Des black blocs blessés, on en a vu zéro. Par contre les femmes giflées, les journalistes avec la main fracturée, on en a vu. C'est ça qu'il faut corriger.
En quoi consiste cette technique des "nasses" ?
Les nasses, ce sont des encerclements. Ils sont légaux en France. Simplement, lorsqu'ils sont utilisés pour pêcher n'importe qui, on voit que l'utilisation de la nasse a été détournée. C'est une technique de police tout à fait logique. Mais, si elle est détournée, elle fait que les gens sont privés de liberté pendant 24 à 48 heures.