C'est la 2è fois que se produit un feu d'artifice non autorisé au centre de Lyon. Techniquement possible, mais particulièrement risqué. Un artificier professionnel, dont l'activité est totalement stoppée actuellement pour cause sanitaire, alerte sur ces pratiques. Divertissantes, mais dangereuses.

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Le 31 décembre dernier, un homme d'une vingtaine d'années a trouvé la mort dans la nuit dans le village de Boofzheim (Bas-Rhin) en manipulant un mortier de feu d'artifice. Selon la préfecture du Bas-Rhin, le jeune homme a eu "la tête arrachée" dans l'accident. Son ami, un homme de 24 ans a eu lui "le visage abîmé" et est hospitalisé. Ce type de drame, loin de la douce euphorie générale -notamment dans la presse- qui a suivi le premier feu d'artifice improvisé à Lyon le 8 décembre dernier, ou encore récemment le deuxième feu tiré ce samedi 16 janvier, rappelle tout simplement à quel point ce genre de spectacle improvisé par des amateurs peut s'avérer dangereux. Pour eux-même d'abord, mais aussi pour le public.

Un véritable marché parallèle, sans règle de sécurité élémentaire.

Pour Romain Schonfeld, directeur général de la société Pyragric, l'un des plus gros prestataires en feux d'artifice de France, dont la maison-mère est basée à Rillieux-la-Pape, cette forme de "divertissement" n'est pas étonnante. L'artificier estime que cela est effectivement à la portée d'éventuels "aficionados" peu scrupuleux quant aux régles sécuritaires de base dans sa profession. "Lorsque l'on respecte les consignes de sécurité, normalement, c'est compliqué. Après, on peut imaginer que si quelqu'un fait une sorte de pré-installation sur des palettes, ou des remorques, il peut arriver, débâcher et tirer en l'espace de 5 minutes."

Un professionnel n'est donc pas forcément indispensable pour y parvenir. Il suffit d'acquérir les explosifs. "Cela fait partie des choses que je dénonce, au nom de mon entreprise : un véritable marché parallèle de l'artifice de divertissement s'est créé". Il est en effet possible d'acheter un grand nombre de pièces d'artifice sur internet, dans certains pays de l'Est, comme la Pologne, ou la République Tchèque, entre autres. "Il s'agit de pièces qui ne sont pas toujours homologuées. Dans les pays de commercialisation, les certificats de qualification, par exemple, ne sont pas forcément exigés. En France, ils sont obligatoires. Vous recevez tout ça par colis postal, au mépris de toutes les règles de sécurité élémentaires".

"J'ai pu facilement acquérir des bombes... destinées en France uniquement à des personnes majeures titulaires d'une formation particulière ... et cela m' a été livré en 72 heures dans ma boite aux lettres."

Romain Schonfeld, artificier professionnel

Des achats sur internet contre lesquels ce chef d'entreprise a décidé de déposer plainte. Il a notamment fait constater ces dérives, en passant ce type de commandes anonymement devant un huissier. "Par exemple, j'ai pu facilement acquérir des bombes de 100 milimètres -des produits du groupe F4 destinés en France uniquement à des personnes majeures titulaires d'une formation particulière (un certificat délivré par la préfecture après une formation correspondant à la dangerosité de ces produits)- et cela m' a été livré en 72 heures dans ma boite aux lettres." Il a signalé ce constat au Ministère de l'intérieur. De fait, Romain pointe du doigt le paradoxe entre cette facilité à importer de tels produits et, en France, des arrêtés préfectoraux qui interdisent la vente d'artifices de divertissement. "Ce qui n'empêche pas certains vendeurs peu scrupuleux installés dans des pays limitrophes d'inonder le marché français avec des produits qui peuvent causer de graves accidents." précise-t-il.

Parmi les régles du métier, la première est la distance imposée en fonction des artifices utilisés. Des distances à respecter par rapport au public, aux habitations, aux rues..." Dans n'importe quel cas, pour pouvoir tirer un feu d'artifice sur la voie public comme ici à Lyon, il est obligatoire d'obtenir des autorisations en mairie et en préfecture." Dans le cas du feu d'artifice récent, samedi 16 janvier, comme pour le 8 décembre, aucune autorisation n'a été délivrée. La préfecture, discrète sur ces faits, a tout de même déposé un signalement pour "danger pour la vie d'autrui" auprès du Procureur de la République. En évitant de donner trop de publicité à ces actes, les services de l'Etat oeuvrent en parallèle activement, selon nos informations, pour identifier les auteurs de ces tirs. 

Une activité à l'arrêt et des charges qui se poursuivent

S'il avertit sur la dangerosité des ces phénomènes, cet expert parvient à comprendre qu'ils aient pu connaître une certaine... popularité. "Globalement, on a l'impression que le peu de personnes qui a pu y assister accueille cela plutôt positivement. C'est le signe que tout le monde en a un peu ras-le-bol, et a envie de fête." Et pourtant, les artificiers sont une des professions les plus impactées par les mesures sanitaires. "Notre art s'expose en plein air. Il est tout à fait possible de l'effectuer dans le respect les gestes-barrière. Et malgré cela, on a été associés au même traitement que tout le monde de la culture, concerts et salles de cinéma. Je pense qu'il est plus risqué d'aller faire ses courses dans un supermarché que d'assister à un feu d'artifice dehors, masqué, en petits groupes, pendant 20 minutes" regrette Romain.

Ce leader du marché français en artifice réalise habituellement 14 millions d'euros de chiffre d'affaire par an. Parmi ses activités, la prestation de tir de feux d'artifice pour les collectivités locales en représente une partie non-négligeable. Et tout est à l'arrêt, depuis des mois. "En mars, au moment du premier confinement, on était en pleine période de réception de nos marchandises. Juste après, sont arrivés les appels d'offre pour les collectivités locales, et nous avons travaillé avec les mairies pour monter des événements. Lesquels ont subitement été abandonnés. On a fait le travail sans engranger de recettes." Résultat : un chiffre d'affaire "proche du néant". Romain prend l'exemple de la ville de Rillieux-la-Pape, où se trouve le siège de son groupe. "On avait monté un grand projet pour le 31 décembre. Il était prévu de tirer des feux dans toute la ville, visible de chez soi, et donc dans le respect du couvre-feu, sans regroupement de public. Mais cela, au final, nous a été refusé par la préfecture".

Comme bon nombre d'entreprises, Pyragric a eu recours à un PGE (Prêt garanti par l'Etat) et au chômage partiel. Mais cela ne suffit pas, car il faut poursuivre le stockage de ces produits potentiellement dangereux. "J'ai un site Seveso dans l'Ain et un autre dans le Rhône. Cela implique du personnel de gardiennage, et des assurances. Ces charges fixes continuent à courrir. Impossible de fermer un site pareil sans maintenir du personnel sur place." réagit le chef d'entreprise.

En attendant patiemment un retour aux activités, Romain Schonfeld donne tout de même une recommandation essentielle au public "séduit" par ces feux improvisés : "Mieux vaut toujours rester à bonne distance. Je ne sais pas quelles pièces ont pu être tirées à nouveau le week-end dernier, mais, même avec quelques notions, personne n'est jamais à l'abri d'un produit qui présente un défaut de fonctionnement. Surtout quand on ne connaît ni l'origine de ces artifices, ni la qualité de leur installation. Ce serait dramatique que cela puisse engendrer un accident"

 

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