"J'ai été capable de regarder le monstre en personne", entre larmes et dignité, les victimes Inuits du père Rivoire réclament justice

"Les Inuits méritent justice". C'est ce que sont venus clamer, Steve, Tanya et Jess, membres de la délégation Inuit ce jeudi 15 septembre à Lyon. Ils réclament l'extradition du père Rivoire vers le Canada. Agé de 92 ans, il est accusé d'agressions sexuelles sur des enfants, dans les années 60, alors qu'il était en poste dans le Grand Nord. Une plainte va être prochainement déposée à Lyon contre sa congrégation pour "recel de criminel".

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Le père Joannes Rivoire. Aujourd'hui âgé de 92 ans, il est accusé d'agressions sexuelles perpétrées au Canada dans les années 60 sur de jeunes enfants Inuits. Il fait l'objet d'un mandat d'arrêt canadien pour plusieurs agressions sexuelles. Le religieux était alors en mission dans le Grand Nord canadien. Le nonagénaire conteste. Il refuse aujourd'hui de faire face à la justice canadienne.

Une plainte pour "recel de criminel" va être déposée à Lyon contre la congrégation des Oblats de Marie-Immaculée, à laquelle il appartient. La congrégation l'a-t-elle protégé ?

Plainte pour "recel de criminel"

Me Debbache, l'avocate qui avait défendu les victimes de la Parole Libérée, est venue appuyer la demande d'extradition du religieux. La plainte pour "recel de criminel" sera déposée au nom des victimes et de leurs descendants "dans les prochains jours devant le parquet de Lyon", a précisé Me Debbache. Aide, logement, subsides ... comment la communauté religieuse a-t-elle aidé le père Rivoire ? La demande sera faite au procureur de Lyon d'ouvrir une enquête pour faire la lumière sur l'aide dont le père Rivoire a pu bénéficier de la part de sa congrégation. 

"La plainte concerne directement la congrégation des Oblats. Elle concerne l'aide et l'assistance qui ont pu être apportées au père Joannès Rivoire depuis son départ du Canada en 1993 jusqu'à aujourd'hui. Eventuellement jusqu'à 2018. La congrégation doit donner des informations sur la manière dont elle a aidé Joannes Rivoire durant toutes ces années," explique Me Debbache.

Le provincial des Oblats de Marie-Immaculée (OMI), Vincent Gruber, affirme que sa congrégation en France n'a été avertie qu'en 2013 de ces accusations. La congrégation a annoncé de son côté qu'elle lançait une procédure d'exclusion du père Rivoire. Ce prêtre oblat franco-canadien aujourd'hui retraité, vit actuellement dans un EPHAD lyonnais.

Selon Me Nadia Debbache, l'OMI n'avait pas "effectué de signalement" aux autorités judiciaires françaises en 2013. Seul un "signalement auprès de la congrégation pour la doctrine de la foi" a été effectué. Cette  dernière aurait "donné pour instruction de maintenir Joannes Rivoire en résidence surveillée", sans informer les autorités judiciaires, invoquant "l'âge de Rivoire". Ce n'est qu'en 2018, alors que le prêtre vivait dans une maison de retraite de Strasbourg que Vincent Gruber l'a "signalé au parquet".  Pour l'avocate, la procédure disciplinaire enclenchée apparaît bien tardive alors que les faits étaient connus depuis 2013. "Une congrégation ne peut pas porter aide et assistance à un homme qui fait l'objet de poursuites d'ordre criminel", explique l'avocate.

Pour la congrégation ne fait pas de commentaires sur la plainte de la délégation inuit. 

Vies brisées et omerta

C'est dans une salle bondée mais étonnement silencieuse que Steve Mapsalak, l'une des victimes présumées du père Rivoire, a trouvé la force de témoigner une nouvelle fois. L'atmosphère est pesante et presque solennelle. Dans la salle, François Devaux ou encore Nanou Couturier sont présents, deux figures lyonnaises de la lutte contre la pédophilie dans l'Eglise.

Aluki Kotiert, présidente de Nunavut Tunngavik, est la première à prendre la parole, comme pour galvaniser le petit groupe : "Vous êtes des victimes, vous n'avez rien fait de mal. Vous êtes des survivants".

Assis à côté de Steve, Tanya et Jesse sont silencieux. Ils sont les deux enfants d'une autre victime aujourd'hui décédée. Leur père était un camarade d'école de Steve. Tous trois ont une nouvelle fois pris la parole à tour de rôle pour témoigner de leurs enfances saccagées. Steve Mapsalak peine à retenir son émotion, Tanya est en larmes, son frère Jess, est sombre.  

Steve Mapsalak s'exprime en langue inuit, d'une voix éteinte. Les agressions ont commencé lorsqu'il n'avait que 6 ans. Elles ont duré jusqu'à son adolescence, 13 ans. La honte et le silence durant des années ont miné son existence. 

Devant les journalistes, il évoque aussi sa rencontre avec le père Rivoire. Cet habitant du Nunavut est encore bouleversé par ce face-à-face. Contre toute attente, l'ancien missionnaire avait accepté la veille, après de longues négociations, de rencontrer cette délégation venue du Grand Nord. Steve Mapsalak à propos de cette confrontation : "Je voulais lui dire tout le mal qu'il m'a fait, tout le mal qu'il nous a fait. Il a répondu qu'il ne savait pas de quoi je parlais. J'ai répondu : vous mentez, vous savez exactement ce que vous avez fait à moi et à mon jeune frère". Et son témoignage est aussi une supplique :

Rivoire doit être renvoyé au Canada, il doit affronter la justice et les tribunaux et nous implorons votre aide pour que cela se réalise.

Steve Mapsalak

victime présumée du père Rivoire

Après un soupir, Steve Mapsalak termine en guise de remerciement pour les organisateurs de ce périple en France : "je vais retourner au Canada auprès de ma communauté et de mes enfants, un tout petit peu plus léger". La confrontation a apporté un certain soulagement mais peu de réponses.

Dans la petite pièce, pas un bruit, pas un souffle. Certains membres de la délégation pleurent, c'est le cas de Tanya Tungilik. Il faut plusieurs dizaines de secondes avant que la jeune femme ne parvienne à son tour à prendre la parole. Un récit entrecoupé de sanglots contenus.

"Comme Steve, mon père a été éduqué par les Oblats dés l'âge de 5 ans. Il a été sexuellement et physiquement abusé dans cette école. Jusqu'à l'âge de 12 ans," explique-t-elle. "Il a été abusé par Rivoire dans la même petite pièce", ajoute-t-elle en jetant un regard à Steve Mapsalak. "Ces expériences ont hanté mon père durant le reste de sa vie. Il ne pouvait pas oublier".  Elle poursuit : "Mon père voulait venir en France et affronter Rivoire une fois de plus, une dernière fois pour lui dire à quel point il avait ruiné sa vie. Mais il n'a pas eu cette chance, il est mort avant...". Ce sont les enfants de Marius Tungilik qui ont voulu accomplir cette mission.

Chez la jeune femme, c'est aussi la colère qui l'emporte. Elle n'a pas de mots assez durs pour Rivoire.

Mon père est mort sans avoir obtenu justice, sans obtenir de réponses. J'ai été capable de regarder le monstre en personne. J'ai regardé le diable dans les yeux. Il n'a aucun remords !

Tanya Tungilik

fille de victime présumée du père Rivoire

Lorsqu'elle s'est retrouvée dans la même pièce que Joannes Rivoire, elle a évoqué son père hanté jusqu'à sa mort par les agressions et les sévices, sa famille brisée par la violence et l'alcoolisme. "Je lui ai dit qui j'étais et qui était mon père et ce qu'il lui avait fait, où et quand ! Je lui ait dit qu'il avait ruiné la vie de mon père, qu'il était devenu alcoolique à cause de lui, que mon père battait ma mère à cause de ce qu'on lui avait fait subir, à cause du traumatisme ! Mon père est mort à cause de lui !", explique-t-elle en larmes. "Je lui ai dit qu'à sa mort, il irait en enfer ! Que je lui souhaitait de ne pas avoir un jour de repos jusqu'à la fin de sa vie !"

"Et je suis partie ! Je ne voulais rien entendre de ce qu'il avait à dire ! Je ne voulais entendre aucun des mensonges. Je savais que tout ce qui sortirait de sa bouche ne serait que mensonges !" 

Extradition impossible : que dit la loi ?

Si la délégation Inuit est venue jusqu'en France, c'est pour réclamer justice et tenter d'obtenir l'extradition du prêtre vers le Canada. Mais pour l'heure la France refuse d'extrader Joannes Rivoire. Mardi, la Chancellerie avait en effet réaffirmé à la délégation que la France, "conformément à sa tradition constitutionnelle, n'extrade pas ses nationaux".

Ce matin, Me Debbache, l'avocate de la délégation a battu en brèche les arguments avancés par le ministère la Justice français pour refuser l'extradition de Joannes Rivoire.  

S'appuyant sur un avis du Conseil d'Etat du 24 novembre 1994 qui avait été sollicité par le Premier ministre sur cette question, Me Debbache a assuré qu'il "n'y a aucun empêchement de nature constitutionnelle" à refuser l'extradition d'un Français, et que "ce motif n'est pas un argument juridique recevable". "Le gouvernement canadien doit désormais mettre les points sur les +i+ auprès des autorités françaises".

La délégation Inuit n'a plus qu'un espoir : que Joannes Rivoire accepte de son plein gré de monter dans l'avion qui le ramènera au Canada. La délégation a même pris un billet Lyon-Montréal pour ce vendredi au nom de Rivoire.

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