Un sentier grillagé est envisagé par la ville de Lyon à travers les jardins familiaux des 9ᵉ et 5ᵉ arrondissements de Lyon. Une initiative qui provoque la colère de l'association du Jardin des Églantiers. De son côté, la mairie met en avant "un projet d'intérêt général".
Situés entre Gorge-de-Loup et le tunnel de Fourvière, des potagers cultivés par des jardiniers amateurs depuis plus d'un siècle dominent la ville. Ces jardins ouvriers sont installés sur 2,5 hectares à flanc de coteau, tout près du fort de Loyasse. La vue sur Gorge-de-Loup et les monts du Lyonnais est imprenable. Une vue que la municipalité aimerait faire partager au plus grand nombre en faisant passer à travers les potagers un sentier de randonnée.
Mais, sur les 90 parcelles du site, quinze pourraient être amputées par le passage de cette voie verte. Regroupés au sein de l'association du Jardin des Églantiers, les jardiniers amateurs sont vent debout contre ce projet de la mairie écologiste de Lyon. Ils dénoncent un projet "contre-nature" de la municipalité écologiste.
Des jardins centenaires "menacés"
"Nous sommes sur le point de voir se dégrader lourdement ce patrimoine inestimable. En effet, la mairie de Lyon, bien qu'écologiste, projette d'importants travaux de terrassement dans ces jardins afin d'y faire passer une voie verte grillagée, ce qui risque de défigurer à jamais ce poumon vert et d'affecter gravement la biodiversité qu'il abrite", estime l'association dans un communiqué daté du 15 juin dernier.
Nous nous inquiétons de voir cette bulle de biodiversité mise à mal dans un projet d'artificialisation.
Association du Jardin des Eglantiers
"Ça va nous impacter directement. Cette voie va passer à travers les jardins, elle va passer aussi dans des zones dans lesquelles il y a une faune et de la flore. Notre principale crainte : que la mairie crée du vert en détruisant du vert. Ce qui nous semble complètement paradoxal. Forcément, ça va dénaturer et artificialiser le lieu", résume Laurence Guilloud, une des jardinières.
"Ce projet va empiéter sur une partie de ma parcelle," déplore de son côté, Christelle Gatto, inquiète pour ses cultures, les petits arbres fruitiers et une mare voisine. "Les cultures permettent de maintenir le sol vivant et elles permettent de maintenir la colline", assure-t-elle. Un tel projet, "c'est aussi nier le travail qui a été fait depuis toutes ces années", selon la Lyonnaise.
"Écologie de bureau"
"Quand la mairie évoque comme modèle à son projet de voie dite "verte", la High Line de New York et la Coulée verte René Dumont à Paris, c'est oublier de dire que ces deux promenades ont été créées sur d'anciennes voies de chemin de fer désaffectées (..) le projet lyonnais reviendrait à artificialiser un espace naturel, en construisant au niveau des jardins une voie "verte" grillagée au détriment de la nature qu'elle est censée valoriser !", assure l'association. Pour ces jardiniers, le projet revient à pratiquer "une écologie de bureau", en totale contradiction avec la réalité du terrain.
L'association lance aujourd'hui "un appel urgent à la préservation et à l'intégrité de ces jardins historiques". "En altérant ces jardins partagés, la mairie de Lyon trahirait les valeurs mêmes qu'elle défend", martèle l'association dans son communiqué.
"Projet d'intérêt général"
Ce projet d’intérêt général a pour ambition la mise en valeur du patrimoine historique et végétal des balmes.
Ville de Lyon
"Ce projet majeur du mandat s'appuie sur la création de sentiers, jardins et belvédère au sein des balmes de Fourvière, entre le 5ᵉ et le 9ᵉ arrondissement", avait expliqué le 19 janvier dernier, lors d'un conseil municipal, Nicolas Husson, adjoint à la biodiversité, nature en ville et protection animale. Le projet vise à découvrir, "une succession de panoramas exceptionnels sur la ville", à "se promener sur un grand espace naturel préservé en milieu urbain". "Ce parc promenade valorisera le foncier délaissé, à l'instar des célèbres coulées vertes, René Dumont à Paris, ou de la High Line new-yorkaise", avait alors ajouté l'adjoint.
Ci-dessous l'extrait du Conseil municipal du 19 janvier dernier
"Ces 2,3 km de cheminement piéton, qui complèteront les 2,1 km de la boucle du parc des Hauteurs et les 2,1 km de la voie verte sur notre arrondissement, accompagneront les déplacements du quotidien, mais aussi un usage récréatif, de promenade, d'activités ludiques ou sportives", avait assuré Nicolas Husson.
Lors de ce conseil municipal, l'adjoint a en outre indiqué que les études de programmation qui déterminent notamment le tracé étaient achevées. La ville de Lyon précise aujourd'hui qu'une phase de concertation est prévue prochainement. Une concertation citoyenne avec "les riverains, les conseils de quartiers et les jardiniers". "Il s'agit d'un projet qui se construit pour et avec les habitants", avait aussi souligné l'adjoint à la biodiversité en janvier dernier. La mairie promet que les jardiniers seront pleinement associés à la réalisation de ce chemin de randonnée.
Mais, du côté des jardiniers des Églantiers, on ne cache pas une certaine méfiance : "on est dans la crainte, car il n'y a pas forcément de dialogue en face. Je m'attendais à plus de dialogue et de démocratie participative", explique Laurence Guilloud.
Mémoire lyonnaise
"C'est un petit patrimoine populaire qui est né pendant la première guerre mondiale", rappelle Laurence Guilloud. Un patrimoine à préserver qui en dit long de la vie des Lyonnais. Ces jardins sont régulièrement ouverts au public.
Dès 1916, le maire de Lyon Edouard Herriot avait fait voter au conseil municipal la création de l'œuvre des jardins ouvriers municipaux. À Lyon, plusieurs "sections" de jardins ouvriers avaient été créés dès 1918. Avec le retour des combattants de la 1ʳᵉ guerre mondiale, ces jardins ouvriers se développent. Certains de ces espaces cultivés vont notamment s'installer sur du foncier disponible au pied des forts de Lyon entourant la ceinture lyonnaise, des forts militaires déclassés.
C'est ainsi que le Jardin des Églantiers voit le jour le long de la rue du Bas-de-Loyasse et de la montée de l’Observance, sur la face ouest de la colline de Fourvière. Les 2,5 hectares situés à flanc de coteau rassemblent aujourd'hui 90 familles de jardiniers. Certains patientent parfois des années avant d'obtenir le droit de cultiver une parcelle.
Laurence Guilloud souligne aujourd'hui le paradoxe du projet porté par la mairie écologiste : "Ces jardins ouvriers existent depuis une centaine d'années. Ils ont été mis à disposition des ouvriers pour pouvoir produire, nourrir leurs familles et là, on vient empiéter sur des cultures pour pouvoir faire un chemin de balade, ce n'est pas très cohérent".
Pour Fabrice Le Dantec, "artificialiser une zone qui est naturelle depuis des décennies" est même "contre-nature et presque anti-écologiste".
Les jardins vivent depuis 104 ans sans problème et c'est une mairie verte qui arrive avec un projet d'altération d'un écosystème social et vert ! Ici, on cultive non-stop depuis plus de cent ans. Les anciens passent le relais quand ils partent, c'est très beau comme histoire !
Fabrice Le Dantecjardinier
Par-dessus tout, l'idée d'une voie verte "grillagée" choque Laurence Guilloud. "Déambuler dans des jardins pour regarder des gens jardiner derrière un grillage, quelque chose me dépasse dans la démarche. Ça évoque le zoo, le spectacle, avec nous en tenue de jardinier, en train de gratter la terre ! C'est étrange".
Pour les jardiniers de l'association du Jardin des Églantiers, il existe sans doute des solutions alternatives, par exemple avec un chemin qui passerait par le fort de Loyasse.