Justice des mineurs : "on ne peut pas voir un jeune seulement toutes les trois semaines", les éducateurs à bout de souffle

Une quarantaine de personnes ont manifesté ce jeudi 19 septembre 2024 devant le tribunal judiciaire de Lyon pour protester contre la suppression de plusieurs centaines de postes de contractuels au sein de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

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C'est une annonce que les syndicats et des salariés du secteur dénoncent. Le 31 juillet 2024, en pleine olympiade, la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, Caroline Nisand, a annoncé le non-renouvellement de près de centaines de postes de contractuels, plaidant une restructuration des services. Dans le Centre-Est, la CGT a dénombré 27 postes supprimés, alors que dans le même temps 53 autres sont non pourvus. 

Dans ce contexte, une quarantaine de professionnels du secteur ont manifesté devant le tribunal judiciaire de Lyon ce jeudi 19 septembre 2024, soutenu par des magistrats et des avocats. C'est la 4ᵉ fois qu'ils manifestent depuis l'annonce. S'ils ne sont pas nombreux expliquent-il, c'est qu'il leur est très difficile de s'abesenter compte-tenu du peu de temps dont ils disposent pour chaque jeune. 

Les jeunes suivis, premières victimes 

Selon les manifestants, les jeunes suivit sont les premières victimes de cette décision, alors même qu'ils ont besoin de cet encadrement décidé sur une décision de justice.

Les postes de contractuels non renouvelés sont principalement ceux d'éducateurs, de psychologues, d'assistants sociaux ou encore de personnels encadrants selon les syndicats. 

Céline Roy est éducatrice dans une unité éducative en milieu ouvert dans le quartier de Vaise à Lyon. Pour elle, cette annonce fait l'effet d'une bombe. "On a déjà une trentaine de jeunes que l'on ne peut pas accompagner par manque de moyens", dénonce-t-elle. "Personne n'est embauché, il nous manque déjà une psychologue et une secrétaire" explique-t-elle.Conséquence, ce sont des tâches supplémentaires que les éducateurs comme elle doivent traiter au lieu de consacrer leur temps aux jeunes. Cela est d'autant plus délétère pour elle, car ces jeunes sont à stade de leur vie où ils ont particulièrement besoin d'être accompagnés. De plus, une réforme de la justice il y a deux ans et demi a déjà fait passer le temps d'accompagnement par jeune de 18 à 9 mois maximum. 

"Moi, je me retrouve, à faire le ménage, à changer des draps" regrette une éducatrice qui préfère rester anonyme. "Nous n'avons plus personne pour ces tâches ni pour la maintenance, alors, on se retrouve à faire du bricolage au lieu d'accompagner les jeunes". 

"Ce sont des jeunes qu’il faut prendre par la main, notamment pour les amener faire des démarches à l’extérieur. [Cette décision] nous laisse beaucoup moins de temps pour nouer les liens de confiance nécessaires pour accompagner ces jeunes et leurs familles", complète Céline Roy. 

Concrètement moi les jeunes je les vois une fois toutes les 3 semaines au mieux. C’est vraiment très peu. Je n’ai pas les moyens de faire autrement.

Céline Roy, éducatrice à en unité éducative en milieu ouvert à Lyon

Selon l'éducatrice, avant même l'annonce de la PJJ, la situation est déjà très compliquée. Chaque agent a en charge 25 jeunes, mais n'a pas le temps de consacrer plus de quelques heures par mois à chacun. "Concrètement, moi les jeunes je les vois une fois toutes les 3 semaines au mieux. C’est vraiment très peu. Je n’ai pas les moyens de faire autrement.", dénonce-t-elle.

Selon elle, ces jeunes ont besoin de beaucoup plus de temps. "Ils sont tous en situation de mal-être, avec des parcours familiaux très délicats. On ne le règle pas en 3 mois et 5 entretiens", avoue-t-elle. 

La justice ralentie 

Autre conséquence, la justice est fortement impactée par ce manque de moyen. "On est dans un système global", explique Nicole Mollard, élue locale UNSA de la PJJ. "La protection judiciaire des jeunes intervient en aide à la décision des magistrats pour enfant", explique-t-elle.

"Dans cette mission-là, quand un éducateur, une psychologue ou une assistance sociale ne peut pas faire son travail dans les temps, la conséquence, c'est que le magistrat ne peut pas avoir les éléments pour prendre sa décision auprès du mineur qu’il suit", déplore la syndicaliste. 

>>> VOIR OU REVOIR NOTRE ENQUÊTE EXCLUSIVE SUR LA PJJ 

Bataille de chiffres et restructuration 

Dans un communiqué, le ministère de la Justice dont dépend la PJJ conteste le chiffre de 500 postes non renouvelés annoncé par les syndicats. Selon lui, "moins de la moitié était potentiellement concernée". 

Il avance également que le budget de la protection judiciaire de la jeunesse est passé de 740 millions en 2020 à 950 millions en 2024. Sur la même période, 337 postes ont été créés.

Pour le ministère, "Cette accélération, qui a conduit à un dépassement très mesuré sur une masse salariale de 490 millions d'euros, doit être conjuguée avec un pilotage fin et très maîtrisé de sa masse salariale".

En d'autres termes, le ministère justifie le non-renouvellement de ces postes par la nécessité de restructurer ses services et donc de différer dans le temps "le recrutement d'agents publics contractuels ou titulaires".

Selon les manifestants, reporter le recrutement peut avoir d'autres conséquences. "Le problème c’est que nos agents non-renouvelés au 1er septembre, pour beaucoup, ont cherché et trouvé du travail ailleurs. Par conséquent, on ne sait pas si à cette date nous retrouverons les 27 agents dont le contrat n’a pas été renouvelé", déplore Mélanier Letter, secrétaire CGT PJJ centre-est. 

Un problème qui s'ajoute déjà a une difficulté de recrutement dans le secteur. "La PJJ s’est tirée une balle dans le pied. Le monde du social est un petit monde, du coup maintenant tout le monde sait qu'elle maltraite ses agents", déplore la syndicaliste. 

Pour éviter une rupture d'activité, la PJJ a annoncé le dégel de trois millions d'euros pour renouveler rapidement les contrats dans "les situations des agents les plus en difficulté", programmer "le renouvellement de 230 contrats dans les prochaines semaines", et "garantir la continuité de services des établissements de la PJJ". 

Selon le Ministère, le niveau de participation national de la mobilisation s'élevait à 13% de gréviste le 14 août et 13,5% deux semaines plus tard. Une faible mobilisation que les manifestants du jour expliquent par la difficulté de faire un choix entre faire grève et perdre encore du temps à consacrer à ces jeunes dans le besoin.

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