"Arménie, les temps du sacré" : la fondation Bullukian à Lyon présente l'œuvre monumentale de l'artiste Pascal Convert. Des photos de Khatchkars, pierres à croix arméniennes, un patrimoine en danger dans l'ancienne Arménie historique, aujourd'hui l'Azerbaïdjan.
"Quand je me suis rendu sur place, en Azerbaïdjan, je voulais voir s'il y avait les traces d'un passé, voir ce qui était vivant dans cette mémoire arménienne. Il y avait la question de ces croix ailées, un ensemble considérable. La destruction d'un cimetière, c'est comme une humanité qui disparaît."
Pascal Convert, historien et artiste, expose à Lyon une œuvre monumentale inédite. Un regard politique contre l'oubli.
2024 est l'année exceptionnelle pour l'Arménie en France. À Lyon, la fondation Bullukian, qui promeut la culture arménienne, a souhaité mettre en valeur le travail de ce plasticien. " Arménie, les temps du sacré " : Des photos de Khatchkars, croix en pierre du VIIIème et IXème siècle, imprimées sur des bâches, sur toute la hauteur d'un échafaudage.
C'est une mémoire menacée, une mémoire qui tente sans cesse de renaître, grâce à des historiens ou des artistes. Plus de 100 ans après le génocide arménien, le patrimoine est menacé : dans les territoires sous contrôle de l'Etat azerbaïdjanais, les traces du passé sont méthodiquement effacées. Monastères, églises, cimetières.
Dans les années 2000 dans le Nakhitchevan, enclave azérie, située au sud-ouest de l'Arménie, à la frontière de l'Iran, le cimetière de Djoulfa avec ses milliers de stèles à croix médiévales, les Khatchkars, a été anéanti, par les autorités d'Azerbaïdjan. Un trésor inestimable. L'UNESCO a proposé d'inscrire ces sculptures sur sa liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité, avec la dénomination " l'art des croix de pierre arméniennes, symbolisme et savoir-faire des Khatchkars ".
La profanation d'une culture, d'une civilisation
Pascal Convert, crée des œuvres sur la question de la mémoire et de la spiritualité. Après son travail sur la destruction des bouddhas de Bamiyan, il s'est rendu en Azerbaïdjan, pour tenter de filmer les décombres du cimetière de Djoulfa. La zone a été transformée en terrain militaire, alors pas moyen de s'approcher. Il a donc envoyé un drone survoler le fleuve Arax, car les pierres tombales ont été jetées dans le cours d'eau. Mais l'engin n'est jamais revenu.
Comment ne pas ressentir une vive émotion, une douleur, face à la disparition de 3000 stèles, témoins de siècles d'histoire.
Pascal Convert, historien et artiste
Témoigner d'un péril
Pour redonner à ces sépultures, une place dans la mémoire collective, l'artiste a réalisé des photos sur le site d'un monastère, joyau de l'architecte, le monastère de Geghard en Arménie. Grâce à un procédé photographique à très haute définition il restitue la qualité exceptionnelle de ces Khatchkars : des entrelacs et arabesques ornés de végétaux et motifs géométriques et des ailes typiques de cet art arménien. Des stèles de pierre, à fonction votive, commémorative ou destinées à combattre le mauvais sort. Pour l'église apostolique arménienne, elles incarnent la nature divine du Christ en un arbre de vie.
Dans la cour de la fondation Bullukian, l'œuvre trouve parfaitement sa place, les reproductions sont comme des pierres à flanc de montagne. Pour les admirer, il faut lever les yeux. Pascal Convert a voulu restituer l'ambiance des monastères en Arménie. De petits édifices noirs, inaccessibles, nichés près des falaises devant l'immensité du paysage.
L'exposition gratuite, à voir à la Fondation Bullukian, à Lyon, jusqu'au mois d'août, rend hommage aux voix qui se sont tues. Le plasticien qualifie son travail d'archéologie de la mémoire.