Laure, victime du père Babolat : «Nous, les victimes, on prend perpétuité. Jusqu’à notre dernier souffle c’est inscrit en nous»

Laure a 53 ans. Cette mère de famille vit aujourd’hui en Isère. Adolescente, elle a été abusée par le père Babolat, l’ancien supérieur des Chartreux, avant d’être à nouveau la victime d'un professeur d’EPS de la même institution. 40 ans après les faits et s’être murée dans le silence, elle souhaite parler publiquement.

Quelques jours après les accusations impliquant le père Babolat dans des faits d’agressions sexuelles une nouvelle victime prend la parole. Laure Golé n’a pas été entendue par la Police dans l’enquête diligentée entre 2019 et 2020 par le parquet de Lyon mais elle souhaite aujourd’hui témoigner. Abusée par l’ancien supérieur de l’institution des Chartreux et un professeur d’EPS alors qu’elle était adolescente elle espère que son témoignage puisse servir d’autres victimes.

Pourquoi parler aujourd’hui ?

«Aujourd’hui j’ai la force de le faire et surtout la force et l’envie de le faire pour les autres. C’est vraiment une démarche qui n’est pas simple, ce n’est pas facile de se dire qu’on va entendre mon nom, voir mon visage. Mais en prenant du recul, je me dis en quoi cela me pose un problème ? Pourquoi c’est à moi que cela devrait poser un problème ? C’est important parce que ça veut dire que je suis celle que je suis et que je n’ai pas à avoir honte d’être celle que je suis. J’aimerais tellement que toutes les victimes n’aient pas honte et peur d’être ce qu’elles sont parce que c’est ce qui vous détruit… C’est tout une vie. Nous, les victimes, on prend perpétuité. Jusqu’à notre dernier souffle c’est inscrit en nous. Je n’ai plus envie d’avoir peur de le dire et je sais que si j’ai la force de le faire il ne faut pas que je la garde pour moi, cette force. Les autres en ont besoin, ils ne l’ont pas forcement».

Aviez-vous conscience qu’il y avait d’autres victimes ?

«Je pensai que j’étais la seule jusqu’au moment où suite à des démarches que j’avais entreprises, j’ai reçu un courrier du diocèse m’informant que je n’étais pas la seule et ça a été un grand choc pour moi.
D’un côté, j’étais soulagée et d’un autre, horrifiée. Soulagée parce que ça voulait dire que si je n’étais pas la seule et que ce n’était pas ma faute… Ce n’est pas à cause de moi, je suis innocente quelque part. Même de le dire c’est bizarre. D’un autre côté, j’étais horrifiée en me disant quelle horreur je ne suis pas la seule».

Le diocèse vous a-t-il apporté des réponses ?

«La seule réponse qu’ils m’ont apportée c’est de me proposer un accompagnement et un soutien psychologique. Je ne les ai pas vraiment attendus et heureusement d’ailleurs ! Ils ont répondu pour être corrects mais, pour moi, ce n’est pas une réponse».

Et les Chartreux ? Vous avez essayé de rentrer en contact avec l’institution ?

«Je n’ai jamais voulu retourner devant les Chartreux. Je n’avais pas envie de me retrouver là-bas mais j’y suis retournée récemment avec une journaliste photographe. C’était très étrange. Je voyais cette grande allée, les grands corps de bâtiment, je voyais la fenêtre, je savais que le bureau du directeur était là. ça repositionne une réalité. 

Finalement on se construit plein de choses pour arriver à survivre avec ça et on se construit des choses dans l’imaginaire pour tenir le coup, pour avancer, vivre, se marier, faire des enfants, faire sa petite recette à soi quoi !

Et d’être face à cet établissement c’est comme si ça avait tout fait redescendre. Je me disais et bien c’est la réalité, malheureusement c’est encore ta réalité…
J’ai croisé une dame là-bas, une responsable de l’établissement. Elle s’est présentée à nous et nous a demandé ce qu’on faisait. Je lui ai expliqué pourquoi j’étais là, devant les Chartreux… Cette personne-là a été très bien, très correcte, je l’ai sentie très sincère dans sa démarche et dans ses mots. Elle nous a dit : on est là pour répondre à vos questions, on est là pour vous accueillir, le directeur des Chartreux vous recevra si vous le souhaitez».

Vouz irez ?

«Je ne sais pas ? Je me suis posée la question parce qu’être dans ce même bureau… Je le vois encore ce bureau, cette fenêtre à gauche, ce grand bureau, lui, assis dans son fauteuil. Je rentrai c’était sombre, vraiment je ne sais pas si j’ai envie d’y mettre les pieds».

Votre histoire est particulière parce qu’il y a eu le père Babolat mais aussi le professeur de sport…

«J’ai eu l’impression de passer d’une main à l’autre en fait. Ce professeur avait beaucoup de charisme. Il était très apprécié tout comme le père Babolat. Dans cette passation, moi j’étais un objet et là effectivement ça a duré des années. Sachant que ce professeur et ses agissements n’étaient pas méconnus du père Babolat et n’étaient pas méconnus apparemment des autres professeurs».

Comment le père Babolat a réagi quand vous lui avait fait part des agissements de ce professeur ?

«Dans un premier temps il a eu une réaction humaine. Il a dit qu’il fallait faire quelque chose et dans un deuxième temps il s’est rétracté. Je voulais juste être la dernière, comme avec le père Babolat. Je voyais les gamines de 12 -13  ans et je me disais il faut que ça s’arrête. Le père Babolat minimisait ces agissements-là. Il n’y avait pas de preuves. On vous demande de donner des preuves qui sont tellement aberrantes. Et puis la différence d’âge… Ce professeur avait pris des photos de moi dénudée et on ne m’enlèvera pas de la tête que le père Babolat le connaissait suffisamment bien et l’avait suffisamment bien informé qu’il y avait une plainte déposée et que la police allait venir le chercher».

Aujourd’hui deux anciens prêtres des Chartreux sont mis en cause, un professeur d’EPS a été condamné. On a l’impression qu’il y avait une sorte de chape de plomb autour de cette institution, que tout le monde savait et se couvrait…

«C’est une évidence ! Ce sont les non-dits, les tabous qu’on accepte et puis… On prie ! On aime Dieu. Peu importe les âmes finalement. Tout cela est couvert… Ce sont des bienpensants, des bienfaisants et toutes ces apparences sont tellement plus importantes que la vérité.

Ce qui est vrai, c’est qu’il y a des monstres à l’intérieur de ces hommes-là, des démons et que ces démons ont des proies. Nous sommes ces proies.

Le père Babolat savait très bien faire. Ce sont de très bons acteurs. C’est très perturbant pour une jeune fille, une pré-ado de vivre ça avec un homme qui vous parle avec gentillesse, avec douceur, avec un regard qui semble aimant. C’est très compliqué après à gérer dans sa vie. Il m’a fallu du temps quand un ami ou une amie posait la main sur moi pour que je ne l’associe pas dans mon esprit à un danger».

Aujourd’hui qu’attendez-vous de ce témoignage ?

«Je me dis que ça donnerait la force à certaines et certains de se lever même si on peut retomber. On le droit de retomber, de se relever d’avoir la force de dire moi aussi, moi aussi j’ai été abusé, violé par le père Babolat. Peut-être qu’ils retomberont mais ils l’auront dit et c’est une force supplémentaire qu’ils auront en eux pour avancer dans leurs vies et refuser que tout ça les détruise.
Je suis contente que vous soyez-là mais je ne sais pas si je ne vais pas me casser la gueule derrière, si je ne vais pas retomber. Mais ce n’est pas grave car je suis assez tombée. Je me relèverai et je continuerai. Ce n’est pas grave de tomber, l’important c’est de se relever. Il y a un moment où nous on assume notre vie telle qu’elle est avec nos blessures. L’Eglise a beaucoup de choses à assumer pour permettre à beaucoup d’entre nous d’accepter une réparation. L’Eglise s’est tue pendant tellement longtemps. L’Eglise a des actes à poser, ce sont des actes qui nous ont détruits, pas les mots».

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