Luc Frémiot : "C'est à l'auteur de violences conjugales de quitter le domicile"

L'ancien magistrat Luc Frémiot, réputé pour son engagement contre les violences conjugales, publie le livre "Non-assistance à femmes en danger". Il dresse un état des lieux à France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, et évoque ses méthodes innovantes pour traiter les auteurs de violences. 

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Lorsqu'il était procureur, il a initié une nouvelle approche : en cas de violences conjugales, la femme restait à son domicile, et c'est l'auteur des faits qui quittait les lieux. L'ancien magistrat Luc Frémiot, réputé pour son engagement contre les violences conjugales, publie le livre "Non-assistance à femmes en danger".  Alors que le parquet de Lyon se veut particulièrement actif sur ces questions, il répond, ce mercredi 3 mars, aux questions de France 3 Auvergne-Rhône-Alpes. 

 

F3 : Vous écrivez que vous avez passé 17 ans à être la voix qui crie dans le désert. Mais depuis, il y a eu un grenelle (en 2019) national qui a donné lieu à des mesures pour mieux prévenir, détecter et traiter les faits de violences conjugales. On progresse sur le sujet ?

Luc Frémiot : Le Grenelle est arrivé beaucoup trop tard. Il a fait suite à ce que j'appelle "l'été meurtrier" puisque, en 2019, les mois d'août et de septembre ont été ravageurs ! C'était la première fois qu'une femme mourait tous les 2 jours sous les coups de son compagnon. Tous les 2 jours ! J'ai dénoncé cela tout l'été, ce qui n'a pas empêché certains d'attendre tranquillement la rentrée de septembre pour commencer à réfléchir sur le sujet. Et puis ça a été, comment dire... Un grand moment festif de réunion où chacun est venu déposer toute une série d'idées, qui n'ont d'ailleurs pas toujours été mises en application.

F3 : Mais les féminicides ont baissé en 2020, c'est une bonne nouvelle...

L.F. : C'est une très bonne nouvelle et je m'en réjouis, mais il faut se poser la question de pourquoi. La plupart des féminicides ont lieu lorsqu'une femme s'en va du domicile. Or elles ne pouvaient pas partir pendant le confinement. Et en parallèle, il ne faut quand même pas oublier qu'il y a eu 40 % d'augmentation des violences conjugales durant le premier confinement et 60 % durant le second ! Alors qu'on ne vienne surtout pas nous dire qu'aujourd'hui la parole est libre, que les choses vont bien, c'est archi-faux. On a effectivement des améliorations, mais ce n'est pas le moment de s'endormir.

Un de vos anciens confrères, un procureur, a dit : "je n'ai pas fait autant d'études pour m'emmerder avec des histoires de bonnes femmes." Dans l'institution judiciaire, il y a encore des efforts à faire ? 

L.F. : Oui il y a beaucoup d'efforts à faire. Heureusement, il y a des procureurs qui ont décidé de s'atteler ce sujet, comme le procureur de Lyon notamment. Mais il faut reconnaître que l'état d'esprit encore est très méfiant. Les victimes sont très mal considérées. D'une façon générale, on les suspecte toujours d'arranger les choses, de les modifier, de s'éloigner de leur réalité. Les questions qui sont posées à une femme qui fait l'objet de violences sont parfois extrêmement stigmatisante. 

En l'occurrence, vous avez bousculé l'institution judiciaire, notamment quand vous étiez à Douai. Vous avez pratiqué ce que vous appelez le chantage judiciaire, c'est quoi?

L.F. : C'était très simple : je faisais déférer systématiquement l'auteur de violences devant le parquet, et je lui disais : soit vous quittez le domicile, soit je vous place en comparution immédiate avec mandat de dépôt (en prison, ndlr). Lorsqu’il quittait le domicile, je l'orientais vers un foyer de sans domicile fixe. Ca pouvait provoquer chez lui un choc psychologique en le plongeant dans un univers qu'il ne connaissait pas. Pendant ce temps-là, sa femme restait chez elle. C'est effectivement un chantage judiciaire, et ça fonctionnait. Et par la suite, justement, grâce aux médias qui ont médiatisé un peu mon expérience, j'ai pu accéder à l'Assemblée nationale, au Sénat, et on a fait voter des éléments de lois qui permettent aujourd'hui à tous les procureurs de le faire en toute légalité.

Pourtant, c'est encore souvent l'inverse qui se produit. Souvent, c'est la femme qui doit fuir son domicile...

L.F. : Oui, c'est encore l'inverse qui se produit. Vous me parliez du Grenelle, il y a encore des associations qui ont demandé un milliard d'euros pour créer des centres d'accueil pour les femmes ! Et ces femmes aujourd'hui, elles partent la nuit, avec les enfants sous le bras, elles arrivent dans des lieux d'accueil qui sont pas toujours très agréable, avec un lit, quelques chaises et les enfants jouent par terre. C'est ça qu'on ne veut plus voir ! Et pendant ce temps-là, le tyran domestique reste à la maison tranquillement, tant qu'on ne l'exfiltre pas ! Les auteurs de violences doivent porter de manière systématique un bracelet électronique et il faut les prendre en charge sur le plan psychologique et sanitaire. Tant qu'on ne fera pas ça, on ne résoudra pas le problème.

 

Dans son livre, Luc Frémiot évoque de nombreux autres axes de réflexion, visant notamment à favoriser les signalements ou encore la prise en charge des cas de violences conjugales :  "Non-assistance à femmes en danger", publié aux éditions de l'Observatoire.

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