Derrière les magasins "Grand Frais", une autre réalité se cache au-delà des rayons bien connus du public. Les frères Léo et Patrick Bahadourian
intègrent le classement des 300 plus riches de Suisse selon un magazine. Leur fortune se cacherait dans plusieurs sociétés du Luxembourg.
Depuis 5 ans, ils se multiplient en périphérie des villes et sont devenus l'une des enseignes préférées des Français: les magasins Grand Frais, "success story" de la distribution alimentaire, ont fait la fortune de leurs fondateurs.
Avec un patrimoine estimé entre 1 et 1,5 milliard de francs suisses (de 0,9 à 1,4 milliard d'euros), les frères Bahadourian, petits-fils d'un épicier arménien de Lyon devenus actionnaires de la chaîne, intègrent le classement annuel des "300 plus riches de Suisse" du magazine économique Bilan, publié vendredi 27 novembre. "La famille était sous notre loupe depuis quelques années mais nous n'avions jusqu'ici pas réussi à cerner sa fortune logée dans plusieurs sociétés", explique le journal helvète, dont la curiosité fut éveillée par des acquisitions immobilières récurrentes autour du Léman.
Les Lyonnais connaissent surtout l'épicerie du grand-père, Armand, qui ouvre en temps normal ses portes lors des journées du patrimoine. L'établissement dispose de caves sur 1.000 m2, qui s'étendent, sous terre, sous quatre rues.
Un jackpot de plus d'un milliard d'euros
La semaine dernière, le fonds de capital-investissement PAI Partners a racheté à Léo et Patrick Bahadourian 60% d'Euro Ethnic Foods (EEF), société luxembourgeoise via laquelle ils gèrent les rayons épicerie de quelque 230 magasins Grand Frais, où se vendent aussi fruits, légumes, poissons, viandes et produits laitiers. Cette acquisition ayant valorisé EEF au-delà du milliard d'euros, les deux frères ont touché le jackpot. Ils conservent 40% de l'activité, dont le chiffre d'affaires a quintuplé en dix ans, ainsi qu'une grosse partie des murs de la chaîne, contrôlés via une autre société luxembourgeoise, Themis Realty. Leur holding ultime au Grand-Duché, Norkorz Capital, affichait un milliard d'euros d'actifs en 2019.La petite épicerie
Que de chemin parcouru depuis que le grand-père, Djebraïl, chassé d'Anatolie par le génocide de 1915, a émigré à Lyon après avoir sillonné l'Orient. Il y a fondé, en 1929, une boutique aux mille saveurs qui porte toujours son nom. Elle s'est agrandie au fil des décennies et a fait des petits aux Halles Bocuse, temple local de la gastronomie, comme aux Galeries Lafayette.Au fil des ans, l'entreprise a été scindée en deux : l'activité de détail, confiée au fils cadet, Armand, puis à ses filles, et l'activité de gros, revenue à l'aîné, Arthur, dont les enfants Léo et Patrick ont pris la suite. À la fin des années 1990, ceux-ci se sont associés à Denis Dumont, spécialiste des primeurs et créateur de l'enseigne Grand Frais, ainsi qu'à la boucherie industrielle Despi. Objectif : développer des magasins spécialisés où chacun aurait ses rayons et ses salariés, les caisses étant mutualisées. D'une surface moyenne de 1.000 mètres carrés, ils ont poussé comme des champignons, surfant sur la vogue du "frais" et détournant la clientèle de la grande distribution. En 2018, année où Grand Frais a détrôné Decathlon au classement OC&C des enseignes préférées des Français, 16% des foyers de l'Hexagone ont fréquenté la chaîne, selon le panéliste Kantar.
Une fortune exilée ?
Ce succès a profité aux frères Bahadourian, qui ont établi au Luxembourg, dès 2007, le contrôle de leurs activités commerçantes et immobilières, tout en s'installant en Suisse. L'exil, encore, mais d'un autre type. "Le problème qu'ils ont rencontré, c'est la pression fiscale, pas seulement les impôts. Ces gens-là, je pense, vivaient avec un contrôleur fiscal dans leur bureau 'full-time'", expliquait en septembre leur avocat luxembourgeois, Michaël Dandois, au site d'information Mediacités qui a retrouvé leur trace dans les Panama Papers.La Ferrari et le yacht des Iles Vierges
Sollicités par l'AFP, le conseil genevois des Bahadourian et leur principal lieutenant n'ont pas donné suite. Eux-mêmes ne s'expriment jamais dans la presse. Propriétaires d'une Ferrari de compétition et d'un yacht, immatriculé à Malte et géré depuis les Îles vierges britanniques, les deux quinquagénaires ont également investi dans l'immobilier helvète.Selon le registre foncier du canton, la famille a acheté des appartements et villas, à Genève et alentours, pour 84 millions de francs suisses; leur holding Themis a aussi réalisé la deuxième plus grosse opération de la ville, l'an dernier, en acquérant un immeuble de bureaux pour 100,2 millions. Et ils ne sont pas les seuls à avoir fait fortune grâce à Grand Frais : Denis Dumont, qui a vendu sa participation au fonds Ardian, figure depuis plusieurs années déjà parmi les "300 plus riches de Suisse". (AFP)
L'épicérie Bahadourian
En 1929, Djebraïl (Gabriel) Bahadourian (10 octobre 1907, Anatolie - 31 janvier 1991, Lyon), négociant arménien issu d'une famille s'étant exilée en Jordanie à la suite du génocide arménien s'installe à Lyon dans le quartier populaire de la Guillotière, peuplé d'immigrés de toutes origines. Il y monte une petite épicerie spécialisée dans les produits orientaux dont la gamme va peu à peu s'enrichir pour répondre aux attentes de sa clientèle cosmopolite ; il importe notamment des harengs et des cornichons russes pour sa clientèle juive ashkénaze. Son magasin s'étend progressivement et finit par englober 40 ans plus tard tout le pâté de maisons.À cet emplacement historique viennent ensuite s'ajouter trois succursales dont une aux Halles de Lyon.
La place située en face du magasin de la Guillotère est renommée en 2003 place Djebrail-Bahadourian en hommage au fondateur de cette épicerie.