La technologie du deepfake au service de la création artistique. Pour la fête des Lumières 2022, les créateurs des Anooki ont eu une idée un peu folle : faire chanter les personnages des toiles du musée des Beaux-Arts. Ils leur ont donné vie grâce aux nouvelles technologies. Cette chorale de musée est une première mondiale.
"Après avoir travaillé des semaines à faire bouger et chanter les visages de ces portraits, on les voit bouger maintenant même en se baladant dans les salles du musée et c'est assez troublant", explique David Passegand avec un petit sourire. "Je pense que les spectateurs de notre projet verront aussi les tableaux chanter quand ils rentreront dans le musée".
Moetu Batlle et David Passegand, les concepteurs des Anooki, n'ont pas perdu la raison et ne sont pas victimes d'hallucinations. Mais leur création pour cette fête des Lumières 2022 pourrait bien en surprendre plus d'un. Le duo a donné vie, ou plutôt a donné la parole, aux personnages de certains tableaux du musée des Beaux-Arts de Lyon.
"Grand Mix" sur la place des Terreaux
Cette année, pour la fête des Lumières 2022, Moetu Batlle et David Passegand ont décroché le spot central : la place des Terreaux. Et ils ont eu une idée lumineuse. Les deux artistes ont délaissé leurs personnages habituels pour dépoussiérer les oeuvres du musée des Beaux-Arts. Plusieurs portraits seront projetés sur la façade du musée de la place des Terreaux. Ces visages peints, habituellement immobiles, vont s'animer et chanter. Cette chorale de musée est une première mondiale. Miracle ou prouesse technologique ?
Le duo de créateurs va faire entonner le refrain de tubes générationnels à plusieurs personnages des toiles du palais Saint-Pierre. Le spectacle durera environ 8 minutes et sera aussi projeté sur la façade de l’Hôtel de Ville. "Certaines oeuvres ont inspiré certains choix de chansons. On a cherché à faire une playlist qui fonctionne comme un mini concert", indique Moetu Batlle.
Technologie bluffante
Cette installation lumineuse utilise la technologie du "deepfake" ou hypertrucage multimédia. Cette technique exploite les ressources de l'intelligence artificielle pour manipuler une vidéo, une image ou un son. Elle est souvent décriée car c'est une démarche frauduleuse visant à créer des canulars et de fausses informations.
Parvenir à faire chanter des images inanimées. Le procédé paraît simple sur le papier. "C'est la magie des algorithmes. Il a absorbé des milliards d'images pour comprendre comment est fabriqué un visage et il va permettre de recréer nos animations, résume David Passegand, ce n'est pas grave si le personnage de Miss Sweating a la bouche fermée. L'algorithme va inventer une bouche au portrait".
"C'est bluffant. Ça nous amuse, c'est une incroyable matière à création mais le deepfake a plutôt mauvaise presse. On peut faire dire à Trump ou Obama des choses qu'ils n'ont jamais dites. Pour nous artistes, c'est un nouvel outil de création", explique David Passegand. "Un tel spectacle n'aurait pas pu voir le jour il y a deux ans, la technologie n'était pas encore là", ajoute-t-il.
"Ils sortent du musée et ils s'éclatent"
Mixer des grandes œuvres picturales et des classiques de la chanson populaire. Comment le duo de créateurs a-t-il choisi les portraits ? Les deux créateurs ont sélectionné 80 visages. "On s'est baladé dans le musée un peu comme des touristes et des portraits nous ont interpellés. On avait déjà établi une playlist avant de visiter le musée, des morceaux populaires et on a cherché dans le musée qui pouvait les interpréter... quel soliste, quel choriste ?" explique David Passegand.
Alors qui pour interpréter la chanson "parole, parole" du duo Dalida-Delon ? "On est tombé devant Miss Sweating, un portrait de Thomas Lawrence. Elle est lumineuse, elle a un côté évanescent, elle nous a inspirés. Ensuite il fallait trouver son Alain Delon," raconte David Passegand, non sans amusement.
On a créé des duos improbables (...) on s'est affranchi de l'Histoire de l'Art ou des mouvements de peinture. On a fait des choix qui reposent plus sur l'attitude, le physique, la couleur ou la coupe de cheveux. On s'est vraiment bien amusés.
Moetu Batlle
Les créateurs des Anooki ont voulu jouer sur le "décalage historique". Une version anachronique et décalée de la fête des Lumières. "On a pris des portraits qui vont du Moyen-Age au 19e siècle pour des questions de droits. C'est beaucoup plus compliqué d'utiliser des oeuvres d'art modernes", explique David Passegand.
Donner vie à ces portraits, c'est aussi donner vie à cette collection et donner envie aux gens de la découvrir.
David Passegand
Cette installation lumineuse sera visible sur les façades de la place des Terreaux durant quatre jours. Mais elle a aussi une vocation pédagogique. Les créateurs espèrent que les spectateurs auront ensuite envie de se rendre au musée des Beaux-Arts de Lyon pour en admirer les chefs-d'œuvre.