"Si j'avais su que je risquais la prison, je n'aurais jamais pris de tels risques". Lundi 29 juin, à Lyon, les convoyeurs de fortes sommes d'argent entre la France et l'Italie racontent comment l'appât du gain les a fait basculer dans l'illégalité.
Ouverture lundi 29 juin du procès au tribunal de Lyon d'un réseau de blanchiment et de transferts illégaux dont les ramifications s'étendaient en France, en Algérie, en Italie et à Dubaï. Plus de 70 millions d'euros, auraient transité illégalement selon l'enquête qui s'est déroulée entre 2017 et 2018.
Ibrahim K., issu comme les 12 autres prévenus de la communauté kabyle, raconte à la barre comment "un ami de la famille" l'a sollicité pour effectuer des voyages entre Lyon, Paris, l'Italie et le sud de la France à bord d'un véhicule chargé d'argent liquide puis de bijoux dans une cache située au niveau des ailes arrières.
Un réseau bien organisé
Appelé à la dernière minute, cet homme de 31 ans devait rejoindre au plus vite un "saraf" - "changeur" ou "banquier" - de banlieue parisienne qui lui confiait des "paquets d'argent", estimés selon les voyages entre 300.000 et plus de un million d'euros, qu'il transportait jusqu'à la ville italienne d'Arrezzo, en Toscane.Dans cette localité réputée pour ses orfèvreries, le Lyonnais y rencontrait un individu répondant au surnom de "Moustache" qui lui échangeait l'argent contre des bijoux qu'il devait remettre à d'autres contacts dans le sud de la France, à Antibes ou Marseille. Une grande partie des bijoux étaient ensuite expédiée en Algérie, évitant ainsi des transferts d'argent onéreux et risqués.
Ibrahim K. raconte que les membres du réseau changeaient régulièrement de téléphone portable sur injonction d'un "raïs" ("chef"), devaient voyager avec leurs épouses pour ne pas éveiller les soupçons et utilisaient un langage codé pour désigner le nombre de paquets à transporter.
"On parlait de pointures, de tailles. Taille 42 signifiait 42 paquets. Et pour les bijoux, on parlait de paquets de mozzarella", explique le prévenu.
L'appât du gain plus fort que la raison
"Je savais que c'était interdit mais pas que je risquais la prison. Si j'avais su, je ne l'aurais jamais fait", raconte à son tour l'aîné Belkacem G., 60 ans, qui avoue avoir introduit son "neveu" Ibrahim dans le trafic.Mais il peine à expliquer devant la présidente pourquoi il a continué à voyager "chargé" entre la France, l'Italie et parfois l'Algérie en ferry alors qu'il avait écopé d'une forte amende et d'une peine de prison avec sursis pour des faits similaires en 2013. Au moment de son arrestation en avril 2018, il se trouvait en possession de 700.000 euros en liquide.
Ibrahim, lui, avoue. "C'est l'appât du gain, le fait d'avoir des ressources complémentaires" qui l'empêchaient d'arrêter, malgré un "car jacking" aussi traumatisant que mystérieux subi en mars 2018.
A chaque voyage, au rythme de parfois trois par semaine, il empochait, selon ses dires, 2.000 euros. Et il a même engagé son père Abdelbasset, qui comparaît également, pour assurer des trajets lorsqu'il n'était pas disponible.
Le chef du réseau toujours dans la nature
Au cours de l'enquête, les enquêteurs ont établi qu'au moins une partie de l'argent provenait du trafic de drogue. Ibrahim reconnaît tout juste que "certains remettants ne lui inspiraient pas confiance", alors que Belkacem préfère évoquer à la barre "l'argent de retraités, de commerçants qui travaillent en espèces".Les 13 membres du réseau, dont trois femmes, sont poursuivis pour de nombreux chefs, dont celui de "participation à association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni de 10 ans d'emprisonnement".
Le grand absent du procès est le cerveau présumé du réseau, Mohamed, le "raïs", désigné par tous comme le donneur d'ordres. Malgré un mandat d'arrêt international, il n'a pu être interpellé. Selon les prévenus, il résiderait à Dubaï.
Le procès doit prendre fin ce jeudi 2 juillet.